Un rire. Un rire bruyant et moqueur que Maria Lvova-Belova a du mal à retenir. Penchée en arrière sur sa chaise, la femme de 38 ans semble détendue dans l'émission Westi diffusée lundi 20 mars, sur la chaîne publique russe Rossija-1. Pourtant, trois jours plus tôt, la Cour pénale internationale de La Haye a non seulement lancé un mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, mais également contre sa «déléguée aux droits de l'enfant». Le tribunal reproche à ce duo improbable d'être responsable de l'enlèvement et du déplacement d'enfants des territoires ukrainiens occupés par la Russie.
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«Pour l'Occident, sauver des enfants est désormais un crime de guerre», se moque Lvova-Belova dans l'émission, avant de déclarer:
Peu avant le début de la guerre, le Kremlin avait commencé à faire sortir des enfants d'Ukraine afin de les placer dans des maisons de repos, des orphelinats et des familles d'accueil à travers le pays. Une équipe de recherche de la Yale School of Public Health a recensé au moins 43 établissements de ce type.
L'objectif étant d'y «inculquer l'amour de la Russie» aux enfants, explique le portail d'information russophone Vjorstka. Ces derniers apprendraient notamment à démonter et remonter des fusils Kalachnikov, écrire des lettres au front, ou encore fabriquer des bougies pour les tranchées.
La femme politique, surnommée «Macha» par son entourage, semble obsédée à l'idée d'aider les enfants du Donbass à leur offrir «un avenir heureux en Russie». Si pour Moscou, cette aide se révèle être une «évacuation», pour l'Ukraine, l'acte s'apparente davantage à un «kidnapping».
Russian politician shares video of Crimea schoolchildren learning to load rifles in classroomhttps://t.co/x48M2fFE2x
— The Independent (@Independent) March 17, 2023
Selon Lvova-Belova, seuls 15 enfants issus de huit familles ont été renvoyés chez leurs parents en Ukraine. «N'est-ce pas un sentiment patriotique qu'il n'y ait pas d'enfants étrangers dans le pays et que tous soient les nôtres?», a demandé Lvova-Belova lors d'un forum en novembre dernier à Moscou. Or, le droit international considère le déplacement d'enfants dans le but de les rééduquer comme un crime.
La Russie considère les enfants du Donbass comme ses propres citoyens. Poutine a déjà facilité en mai dernier les naturalisations d'enfants ukrainiens. Ils peuvent ainsi être adoptés plus facilement par des familles russes.
Au moins 16 000 enfants ukrainiens se trouveraient en Russie. Il s'agit d'enfants d'orphelinats et de foyers pour enfants, d'enfants ayant perdu leurs parents dans la confusion de la guerre et des lignes de front en constante évolution, d'enfants emmenés par leurs mères et leurs pères hors de la zone de guerre pour «se reposer» et qui ne sont pas rentrés chez eux. Nombre d'entre eux se retrouvent encore aujourd'hui dans des sanatoriums ou des foyers pour enfants en Russie. Lvova-Belova affirme que 380 enfants ont été placés dans des familles d'accueil russes.
Dans un reportage de la chaîne ultraconservatrice proche de l'Etat Zargrad, dans lequel la ravisseuse d'enfants recherchée internationalement est décrite comme un «surhomme qui sauve des enfants d'une pluie de balles».
A côté d'elle se tient son mari, qu'elle appelle constamment «Père Pavel». L'ancien programmeur est devenu prêtre orthodoxe en 2019. Ils se sont rencontrés dans une église de Penza — à l'époque soviétique, cette ville située à 500 kilomètres au sud de Moscou était une plaque tournante du commerce des armes chimiques. Lvova-Belova avait alors 14 ans; à 17 ans, elle a épousé Pavel Kogelman.
Lvova-Belova, qui a suivi une formation de cheffe d'orchestre de musique légère et a travaillé comme professeure de guitare à l'école de musique locale, s'est engagée très tôt à Penza en faveur des enfants abandonnés par leur mère à l'hôpital après leur naissance.
En octobre 2021, Poutine l'a nommée commissaire aux droits de l'enfant. Cette mère de famille nombreuse et photogénique correspond bien au récit russe des «valeurs traditionnelles». Des sources ukrainiennes décrivent avec mépris son ascension au rang de confidente de Poutine comme un projet de l'Eglise orthodoxe russe.
Avec la guerre, elle semble finalement avoir trouvé sa vocation définitive — et ne trouve rien à redire au fait que son «amour des enfants» prive de nombreuses filles et garçons d'Ukraine de leur identité.