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Russie: Le «miracle économique russe» prend des airs de mirage

Sanctions, guerre, fuite des cerveaux: l'économie russe souffre des conséquences de l'invasion en l'Ukraine. Pourtant, l'économie russe fonctionne.
Sourire de façade pour le tsar: sous le vernis, l'économie russe vit des heures difficiles. Keystone

Le «miracle économique russe» révèle les faiblesses du Kremlin

Sanctions, service militaire, fuite des cerveaux: l'économie russe souffre des conséquences de la guerre lancée contre l'Ukraine. Pourtant, le pays se dirige vers le plein emploi.
12.08.2023, 08:0412.08.2023, 12:49
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Clara Lipkowski / t-online
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La Russie mène depuis plus d'un an une guerre contre l'Ukraine et subit, de ce fait, les lourdes sanctions de l'Occident. De nombreux pays ont cessé depuis longtemps de s'approvisionner en gaz et en pétrole auprès de ce pays. Les groupes énergétiques, moteur économique du pays, ont perdu des milliards de commandes.

Et pourtant, les statistiques russes le montrent: l'économie se porte relativement bien. Actuellement, la Russie devrait même s'orienter vers le plein emploi. Le revenu réel de la population devrait également augmenter de 3,4% en 2023. Comment cela se fait-il? N'y a-t-il aucune trace de crise en Russie?

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Pour répondre à ces questions, il faut d'abord savoir que le travail et le chômage ont une grande importance pour maintenir la société en Russie.

Depuis des décennies, il existe, dans le pays, une sorte de contrat social tacite selon lequel le gouvernement garantit aux gens un certain niveau de vie après les années de transition turbulentes suite à la fin de l'Union soviétique. Les emplois sont assurés, tout comme les retraites (même si elles sont faibles). En contrepartie, les gens se tiennent largement à l'écart de la politique.

En Russie, le chômage n'a jamais été aussi faible depuis 30 ans

En clair, cela se traduit par le fait que les autorités exigent des entreprises qu'elles gardent leurs collaborateurs même dans les périodes les plus difficiles. C'est également le cas dans la crise que traverse la Russie depuis que le Kremlin a décidé d'envahir le pays voisin, l'Ukraine. Même au milieu de grandes turbulences, les gens peuvent continuer à travailler et à vivre leur vie – bien que cela soit souvent dans des conditions modestes, car le salaire minimum russe est assez bas par rapport au coût de la vie.

Les statistiques officielles du chômage sont donc plutôt bonnes, et ce, depuis près de six mois déjà, comme l'explique le média russe iStories: actuellement, le nombre de personnes sans emploi n'a jamais été aussi faible depuis plus de 30 ans.

Le chômage s'élevait à 3,2% en mai. Cela ne s'était jamais produit dans toute l'histoire des observations depuis 1991, d'après l'analyse. Le ministre de l'Economie Maxim Rechetnikov s'est lui aussi récemment réjoui:

«Nous avons un taux de chômage historiquement bas, et il est fort possible que nous voyions d'autres records historiques de chômage bas»

Normalement, un faible taux de chômage signifie que la prospérité augmente parce que davantage de personnes gagnent de l'argent qu'elles peuvent à leur tour dépenser, ce qui entraîne à nouveau une croissance et une augmentation du produit intérieur brut (PIB).

Voici le problème du «miracle économique russe»

Mais en réalité, l'économie russe s'est contractée de plus de 2% en 2022. Les économistes prévoient également une récession pour l'année en cours. Cela montre qu'en dépit d'un taux d'emploi élevé, il n'est guère question de prospérité économique.

Normalement, d'après l'analyse d'iStories, chaque pourcentage de PIB en moins signifie deux points de pourcentage de chômage en plus. C'est ainsi que les choses se passent dans les pays industrialisés développés. Or, en Russie, le PIB s'est contracté de 1,9% au premier trimestre 2023 par rapport à la même période de l'année précédente et le chômage a également diminué. «En ce sens, l'état de l'économie russe est phénoménal», explique le professeur d'économie à l'université de Californie, Oleg Itskhoki, à iStories.

Un miracle économique russe? Des doutes subsistent quant à cette lecture. Car les observateurs et les experts sont unanimes: le gouvernement russe manipule les chiffres. Il n'y a certes pas de licenciements massifs, mais les gens sont mutés à temps partiel ou mis en congé sans solde, écrit iStories.

En Russie, l'anecdote d'un patron d'usine exigeant un droit d'entrée dans son usine circule même. Il en résulte un «chômage déguisé». Beaucoup en sont conscients, mais pour de nombreux employés, c'est toujours mieux que de perdre son emploi.

La guerre crée de l'emploi

Le chômage n'est bas qu'en apparence pour d'autres raisons. iStories a analysé des chiffres selon lesquels, dès le mois de novembre, la part des entreprises qui perdent des collaborateurs pour des «raisons formelles», par exemple en cas de conscription, de procédure judiciaire ou de décès, a nettement augmenté: de 38% jusqu'à présent, ce chiffre est passé à 60%.

Les postes vacants sont alors pourvus par des personnes qui n'avaient pas de travail auparavant, ce qui a un effet positif sur les statistiques, mais n'entraîne pas automatiquement une augmentation de la croissance économique.

Un déclin programmé

L'économiste moscovite Natalia Subarewitsch parle plutôt d'un «déclin» de l'économie russe, en quelque sorte de l'intérieur.

«L'économie ne dispose presque plus de ressources humaines, or celles-ci font partie des conditions essentielles de la croissance»
Natalia Subarewitsch

La main-d'œuvre nécessaire n'est donc pas disponible. En effet, des centaines de milliers de personnes ont été enrôlées dans le service militaire, des centaines de milliers ont pris la fuite et ont émigré - des centaines de milliers manquent donc sur le marché du travail. De plus, les immigrés, qui atténuent habituellement le manque de main-d'oeuvre qualifiée en Russie, ont quitté le pays en raison de la guerre.

Il s'avère que le problème du personnel est plus profond que les sanctions qui agissent de l'extérieur sur l'économie. Alors que les sanctions peuvent être contournées en remplaçant, par exemple, les machines allemandes par des chinoises ou en achetant via des pays tiers, les ressources humaines ne sont pas si facilement remplaçables.

Vassili Osmakov, premier vice-ministre russe de l'Industrie et du Commerce, le reconnaissait déjà fin mai:

«Les collaborateurs de projets, les managers et les ouvriers - c'est ce qui compte en fait (...), c'est le plus grand défi ici et maintenant»

Selon lui, les difficultés ne concernent pas seulement les spécialistes en informatique qui ont quitté le pays en masse. Il y a également une grande pénurie dans l'industrie, a-t-il déclaré lors du Forum eurasien.

Maxim Oreschkin, conseiller économique du président russe, s'est exprimé dans le même sens:

«Dans de nombreux secteurs, il existe une "grande faim de personnel", la situation est ici très différente de celle que nous avons connue entre 2020 et 2021.»

Comment l'économie russe vit la situation?

Comme le rapporte iStories, les entreprises réagissent différemment: le constructeur automobile AwtoWas, par exemple, procède de manière «particulièrement radicale». Des détenus seraient engagés pour le montage de la Lada Vesta NG. Une entreprise chimique de la région Volga-Vyatka aurait embauché davantage de managers, qui ne seraient là que pour fournir du personnel. Dans l'Oural, les entreprises auraient commencé à mettre en place des mesures d'incitation pour la main-d'œuvre:

  • Primes de déménagement
  • Remboursement des frais de déplacement
  • Formation continue
  • Augmentation des salaires

Mais c'est justement cette dernière solution - utilisée en cas de besoin - qui s'avère problématique: «les salaires augmentent plus vite que la productivité du travail», souligne iStories, ce que répète également régulièrement la banque centrale russe: cette évolution inégale doit alors être compensée par des hausses de prix. Cela peut à son tour faire grimper l'inflation. Ce qui est à nouveau préjudiciable à l'économie russe.

Le tableau qui se dessine pour l'avenir est donc moins rose. Selon l'économiste Subarewitsch, la baisse du nombre de travailleurs ralentira inévitablement la reprise économique. Et plus encore, elle pourrait entraîner une augmentation de la pauvreté.

Les employés qui ne sont pas licenciés, mais qui sont moins payés, peuvent moins se permettre de vivre et leur niveau de vie pourrait baisser considérablement. Cela recèle des explosifs sociaux et pourrait même ébranler le contrat social si bien établi dans l'empire poutinien.

Traduit et adapté par Chiara Lecca

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