Ils étaient isolés. Pendant des années, presque personne ne voulait avoir affaire à eux. Mais aujourd'hui, une porte est ouverte pour certains dictateurs et régimes autocratiques et elle s'appelle Russie.
Le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, a mis à l'écart de la communauté internationale son pays après la guerre lancée contre l'Ukraine. Même de nombreux Etats qui dépendent massivement de la Russie se sont distanciés d'elle. Certes, ils maintiennent des relations diplomatiques avec elle et affichent à tout le moins un profil neutre dans le conflit, mais derrière, des portes closes, ils ne font pas mystère de leur opposition à l'invasion et à l'impérialisme russe. C'est ce que le journal t-online a appris lors de nombreuses conversations avec des diplomates occidentaux.
👉Suivez en direct la guerre contre l'Ukraine👈
Pour Poutine, la situation est plus que délicate. Même le président chinois Xi Jinping, qu'il qualifie d'«ami» après de nombreuses rencontres ces dernières années et avec lequel il s'était juré un «partenariat sans frontières» début 2022, ne souhaite pas soutenir officiellement la Russie en lui fournissant des armes. La Chine envoie certes à la Russie des biens à «double usage» comme des semi-conducteurs, mais le Kremlin a dû arriver à la conclusion que le partenariat avec la Chine avait tout de même des limites.
C'est pourquoi la Russie a besoin d'autres partenaires. Des dirigeants qui achètent des matières premières russes et qui fournissent à l'armée des munitions, des drones et d'autres systèmes d'armement. Car l'armée russe n'était pas préparée à un conflit qui se prolonge, l'industrie d'armement doit désormais produire pour contrer celles de l'ensemble des pays de l'Otan et de leurs alliés qui équipent l'Ukraine.
Pour Poutine, la situation militaire à moyen terme n'est donc pas vraiment bonne. Le chef du Kremlin ne voit qu'une seule issue: il cherche à s'allier avec des Etats dit «voyous» comme la Corée du Nord ou l'Iran. La Russie reçoit des armes de ces pays. En contrepartie, Poutine aide ces régimes à sortir de l'isolement international qui oppriment, torturent et assassinent une partie de leur propre population. Une perte de face historique et un signal d'alarme pour la Russie.
Bon, il faut tout de même dire que le Kremlin n'a pas attendu la guerre contre l'Ukraine pour se lier a des régimes autocratiques. La Russie n'a guère de «soft power», c'est-à-dire qu'elle n'a pas vraiment la possibilité d'exercer une influence dans le monde sur la base de l'attrait culturel, de l'idéologie et à travers des institutions internationales. Par contre, Moscou a utilisé des contrats d'armement pour rendre les Etats les moins en odeur de sainteté dépendants du Kremlin. La Russie a rarement trié les clients à qui elle vendait des armes.
Désormais, la Russie exporte nettement moins d'armes et de matériel militaire, car son armée en a besoin. C'est pourquoi des puissances régionales comme l'Inde se tournent vers l'Occident et se détachent lentement de l'alliance avec le Kremlin.
Il y a, toutefois, quelques Etats qui étaient tellement mis au ban de la communauté internationale avant la guerre qu'ils n'ont en fin de compte plus rien à perdre et qui ne font pas mystère de leur soutien à Poutine.
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, s'est rendu par exemple, en Corée du Nord fin juillet et a participé à Pyongyang à la cérémonie célébrant les 70 ans de l'accord d'armistice sur la péninsule coréenne.
Pendant de nombreuses années, la Russie a pris ses distances avec le régime de Pyongyang, ne voulant pas avoir plus de contacts que nécessaire avec les dirigeants nord-coréens, qui suscitaient régulièrement l'ire internationale avec leurs essais nucléaires et leurs lancements de missiles intercontinentaux. Mais cela a apparemment changé.
La visite de Choïgou a été exploitée au maximum par la propagande nord-coréenne. Des fleurs ont été distribuées. Des images de liesse filmée. Une grande photo de Vladimir Poutine a été montrée lors de la cérémonie. A cela s'est ajouté un défilé militaire nocturne et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un a présenté personnellement au ministre russe de la Défense son système d'armes, y compris des drones. Choïgou a remis à Kim une lettre de Poutine.
Le Russe s'est entretenu personnellement avec le dirigeant Kim sur des «questions d'intérêt mutuel dans le domaine de la défense et de la sécurité nationales, ainsi que sur l'environnement sécuritaire régional et international», ont rapporté les médias officiels nord-coréens.
La Corée du Nord rejette la responsabilité du conflit ukrainien sur l'Otan et s'est proposée comme alliée à la Russie. Poutine ne peut apparemment plus refuser. Pourtant, l'armée nord-coréenne dispose surtout de vieilles technologies. Il s'agit probablement pour la Russie de munition pour l'infanterie et l'artillerie. Selon des informations ukrainiennes, des lance-roquettes nord-coréens datant de l'époque soviétique ont déjà été capturés dans l'est de l'Ukraine. Si la Russie devait dépendre de ces systèmes d'armes, ce serait un signal fatal pour Poutine.
Mais le danger est ailleurs: la Chine ne souhaite pas soutenir directement la guerre de Poutine avec des armes, mais Pékin pourrait utiliser la Corée du Nord pour dissimuler ses propres livraisons à la Russie. «Elle est définitivement devenue un partenaire junior de la Chine et, l'année dernière encore, les Nord-Coréens n'auraient pas pensé que les Russes passeraient pour acheter des armes», explique l'expert en sécurité militaire Christian Mölling dans un entretien avec t-online.
Souvent, ce ne sont pas seulement des raisons idéologiques qui poussent les régimes à soutenir la guerre de Poutine. Des Etats voyous comme la Corée du Nord ou l'Iran tentent également de profiter de la situation critique de Poutine. Les dirigeants autocratiques de Pyongyang et de Téhéran ont surtout un point commun: leurs économies souffrent des sanctions internationales et de programmes nucléaires coûteux. Ils flairent désormais des devises grâce au commerce d'armes avec la Russie.
Les mollahs sont également considérés comme des parias au niveau international. Depuis que le président américain Donald Trump a annulé l'accord nucléaire avec l'Iran en 2018 et que le régime a fait preuve de la plus grande brutalité contre les protestations féministes en 2022, de nombreux partenaires internationaux qui avaient envisagé une ouverture de l'Iran ont tourné le dos à ce pays.
Poutine est certes considéré comme un adversaire du terrorisme islamiste, mais il n'a pas peur des contacts avec le régime iranien. En Syrie déjà, des soldats et des mercenaires russes ont combattu aux côtés de milices iraniennes pour soutenir le dictateur Bachar el-Assad. Désormais, le Kremlin est également allé acheter des armes à Téhéran.
Il s'agissait tout d'abord de drones kamikazes de conception iranienne, à l'aide desquels la Russie terrorise toujours les villes ukrainiennes. Ensuite, l'Iran aurait également envoyé des munitions, des obus de chars et d'obusiers à la Russie. C'est ce qu'a rapporté la chaîne britannique Sky News en se référant à un contrat de 16 pages qui prouverait la livraison.
Mais le soutien de Téhéran n'est pas non plus gratuit pour Poutine: lors des négociations sur les drones, il y aurait eu des divergences sur le prix appelé par Téhéran. De plus, le régime des mollahs voulait que le montant soit payé en liquide. En outre, la Russie a dû faire accepter à l'Iran le contrat d'armement en investissant dans l'infrastructure iranienne – par exemple dans un projet de chemin de fer reliant Saint-Pétersbourg au Golfe persique.
L'Iran et la Corée du Nord tentent donc de faire valoir leurs intérêts. Il en va tout autrement de la Biélorussie et de son dictateur Alexandre Loukachenko. Pour Poutine, la Biélorussie est particulièrement précieuse: d'une part, il utilise le pays comme zone de déploiement pour les troupes russes et, depuis là, la Russie peut menacer le territoire de l'Otan via la brèche de Suwalki (lire ci-dessous). D'autre part, les stocks de l'armée biélorusse contiennent des armes et des munitions de conception soviétique.
Après la défaite électorale de Loukachenko, en 2020, Poutine l'a aidé à rester au pouvoir. Pour cela, le régime biélorusse a, semble-t-il, renoncé à sa pleine souveraineté. Entre-temps, Loukachenko a accueilli sur son territoire, à la fois des soldats russes et les mercenaires de Wagner. En conséquence, Poutine dispose d'un dangereux moyen de pression sur Loukachenko. Il ne peut plus se permettre de refuser les exigences de Moscou.
En fin de compte, la Russie a encore d'autres alliés. Des Etats sur le continent africain ou des régimes autoritaires au Nicaragua ou au Venezuela - également des autocraties. Poutine mise certes sur un axe de voyous pour ne pas paraître isolé sur la scène internationale. Mais en réalité, seuls quelques Etats sont utiles au Kremlin sur le plan militaire.
Au contraire, la Russie doit envoyer des mercenaires pour soutenir des régimes comme celui du Mali. Elle doit envoyer des soldats au Nicaragua ou en Syrie pour des manœuvres communes. Et Moscou doit continuer à livrer des armes pour maintenir des pays dans sa sphère d'influence. Mais même les livraisons en provenance d'Iran ou de Corée du Nord ne peuvent probablement aider la Russie qu'à court terme. A long terme, Poutine dépend de la livraison de sous-composants – comme les semi-conducteurs de Chine – et de sa production nationale d'armements. Mais celle-ci continue de rencontrer des problèmes.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)