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Voici à quel point «l'axe du mal» est dangereux

L'Occident doit enfin reconnaître le nouveau danger que représente l'alliance formée par la Chine, la Russie et l'Iran, appelée également l'«axe du mal».
Image: watson

Voici à quel point «l'axe du mal» est dangereux

L'Occident doit enfin reconnaître le nouveau danger que représente l'alliance formée par la Chine, la Russie et l'Iran, appelée également l'«axe du mal». Explications.
21.07.2024, 07:02
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
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Un récent documentaire ArteRussie, Chine, Iran: le front contre l'Occident – montre l'avancée de la collaboration entre les trois pays et la détermination de ce nouvel «axe du mal» à atteindre ses objectifs. Leur principal moteur? La vengeance et les représailles. Mais quelles sont les raisons qui poussent ces états à vouloir régler leurs comptes avec l'Occident? Eclairage.

La Russie et son complexe d'infériorité

Les Russes sont d'éternels offensés qui pensent que l'Occident ne les prend pas au sérieux. Ils ont l'impression d'être ceux qui se voient systématiquement attribuer la pire table lors des conférences internationales, celle juste à côté des toilettes. Ils compensent ce complexe d'infériorité par des fantasmes de grande puissance.

Comme le décrit la prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch dans La Fin de l'homme rouge, non seulement l'élite russe, mais aussi les citoyens, souhaitent que leur pays soit à la fois puissant et redouté. C'est pourquoi Vladimir Poutine reste soutenu dans sa guerre contre l'Ukraine, et c'est pourquoi plus de la moitié des Russes considèrent toujours Joseph Staline comme le plus grand homme d'Etat de tous les temps.

An elderly woman holds a portrait of aSoviet leader Josef Stalin as other people gather to march with flowers and portraits of those who were killed during the 1993 bloody clashes between government f ...
Joseph Staline est encore et toujours vénéré.Image: keystone

Dans le même temps, les Russes se perçoivent comme un modèle pour le reste du monde. L'«homo sovieticus» de l'ère communiste est désormais périmé. Mais aujourd'hui, les Russes s'emparent du mysticisme, des écrits d'Ivan Ilyin par exemple, recommandés par le chef du Kremlin. Ce philosophe, décédé en Suisse en 1953, défendait un mélange cru de christianisme, de fascisme et de charabia eurasien. Le démagogue Aleksandr Dugin, toujours en vie, propage les mêmes idées. Il plaide avec passion pour que la «puissance terrestre» russe mette enfin au pas les «puissances maritimes» anglo-saxonnes.

La civilisation russe est jeune. Elle a commencé avec Pierre le Grand, modèle de Poutine. Celui-ci a régné au tournant des 17ᵉ et 18ᵉ siècles. Et c'est justement la «jeunesse» de leur civilisation qui incite les Russes à vouloir dominer le monde et à chasser de leur trône l'Occident, décadent à leurs yeux.

La Chine, deuxième économie mondiale

Contrairement à la Russie, la civilisation chinoise est très ancienne et se mesure depuis des millénaires à celle de l'Occident. Au milieu du 19e siècle, une période de 150 ans d'humiliation a toutefois débuté pour les Chinois. Ils ont perdu les guerres de l'opium contre les Britanniques et n'ont pu que regarder les colons commerçants engranger des bénéfices énormes grâce à cette drogue.

L'empire chinois s'est ensuite effondré et le pays a sombré dans des guerres atroces entre différents seigneurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ont commis des atrocités innommables en Chine, puis les communistes et les nationalistes se sont livrés à un conflit civil sanglant, jusqu'à ce que Mao Zedong finisse par réunifier la nation.

Grâce à un miracle économique historique au cours des 40 dernières années, la Chine dispose aujourd'hui de la deuxième économie mondiale et s'est hissée à la pointe de la technologie. C'est pourquoi sa population se sent en mesure de venger l'humiliation d'autrefois. Elle cherche aussi à redevenir une puissance respectée par le reste de la planète et capable de réclamer un tribut.

L'Iran, de la puissance à l'humiliation

L'histoire de l'Iran est tout aussi longue et glorieuse. Dans l'Antiquité, la Perse figurait parmi les grandes puissances. Les Iraniens ont à leur tour été humiliés par l'Occident. Les Britanniques ont fait des zones pétrolières leurs propres réserves de matières premières. Avant la Première Guerre mondiale, Winston Churchill a mené la transition du charbon au pétrole grâce à ce stock.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis sont devenus la puissance protectrice du shah, détesté par la population. Parce qu'il voulait nationaliser l'industrie pétrolière, le premier ministre légitime Mohammed Mossadegh a été renversé en 1953 avec l'aide de la CIA. Le shah et ses sbires du célèbre service secret Savak pouvaient dès lors compter sur le soutien des Américains, y compris sur celui du Mossad, les services secrets israéliens.

Aujourd'hui encore, l'étiquette de «Grand Satan» colle aux Etats-Unis alors que celle de «Petit Satan» continue de poursuivre Israël.

Les Chinois donnent le ton

Pékin joue la cheffe de file de l'«axe du mal». En termes de puissance économique et de savoir-faire technique, la Chine reste bien supérieure à ses deux partenaires. L'axe a toutefois besoin de la Russie et de l'Iran pour mettre l'ordre mondial occidental à genoux.

Parallèlement, de gros efforts sont faits pour attirer d'autres états, surtout ceux du Sud. Cela passe par exemple par l'adhésion de nouveaux pays au groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). C'est l'économiste en chef de la banque d'investissement Goldman Sachs de l'époque qui avait inventé cet acronyme. Aujourd'hui, il est de plus en plus synonyme d'alliance contre l'Occident et de lutte contre la suprématie du dollar.

L'Organisation de coopération de Shanghai gagne également en influence. On ne sait pas vraiment si cette association placée sous l'égide de la Chine est une alliance militaire ou un groupement d'intérêts économiques. Ce qui est sûr, c'est qu'elle fait barrière à l'Occident.

La Chine déploie toute une série d'autres efforts pour étendre son influence géopolitique. La plus connue d'entre elles est la Belt and Road Initiative, un programme d'infrastructure qui reliera économiquement la Chine au monde entier. S'y ajoutent la Global Development Initiative, une sorte de concurrente de la Banque mondiale, et, depuis 2022, la Global Security Initiative (GSI). Elle est «conçue de manière à subvertir le système d'alliance américain», constate à ce sujet la politologue Elizabeth Economy dans le magazine Foreign Affairs.

Ces efforts portent déjà leurs fruits. Des pays comme le Brésil ou l'Afrique du Sud se montrent même très favorables au dirigeant du Kremlin. Même au sein des alliances dominées par l'Occident, des doutes apparaissent. La Turquie, par exemple, prend ses distances avec ses partenaires de l'Otan. La Hongrie, membre de l'UE, fait tout pour saboter l'aide à l'Ukraine.

La coopération se renforce

Pendant ce temps, les membres de l'«axe du mal» renforcent leur coopération. La Chine achète du pétrole et du gaz à bon prix à la Russie et lui fournit en contrepartie des puces et autres technologies. Les ayatollahs iraniens peuvent réprimer plus efficacement encore leur peuple grâce à un système de surveillance chinois doté d'une intelligence artificielle. Ensemble, ces pays coordonnent leur propagande et la manière dont ils peuvent influencer les élections dans les états démocratiques.

Dans cette propagande, il s'agit avant tout de dénoncer les actions honteuses et passées des Etats-Unis. Difficile de les nier. Leur liste est longue, de l'esclavage à la guerre du Vietnam en passant par un génocide aux Philippines ou le soutien au dictateur chilien Pinochet.

Malgré tout, le soft power des Etats-Unis et de l'Occident reste inébranlé. Peu de migrants cherchent leur salut en Russie ou en Chine – et pas seulement parce qu'ils n'ont aucune chance de s'y rendre. Même ceux qui crient haut et fort «Death to America» et déplorent la décadence de l'Occident ne rêvent pas de Russie et de Chine, mais d'Amérique du Nord et d'Europe. Et on ne parle même pas de l'Iran.

On considère volontiers l'État de droit et la démocratie comme acquis. Mais bien aveugle celui ou celle qui ne voit pas que ces deux composantes sont en danger. «Le monde est en train de changer comme cela n'était pas arrivé depuis 100 ans. Concrétisons ces changements ensemble», avait dit Xi Jinping à Vladimir Poutine en mars 2023.

Les conséquences d'un retrait américain

Si Donald Trump remporte la prochaine présidentielle, cette révolution s'accélèrera encore un peu. Les Etats-Unis se replieront dans un nouveau réflexe isolationniste, et ils en ont les moyens. «Les Etats-Unis supporteraient une fragmentation de l'économie mondiale bien mieux que la plupart des autres pays», constate Hal Brands dans Foreign Affairs.

Un retrait des Américains aurait des conséquences dramatiques, surtout pour nous, Européens, car «le vide qui en résulterait sera à coup sûr très vite comblé par les états les plus agressifs du monde», poursuit Hal Brands.

L'ordre mondial dominé par les Etats-Unis était et reste par conséquent loin d'être parfait. Mais peut-on sérieusement croire à un monde plus juste et plus vivable si les Chinois, les Russes, les Iraniens et les Nord-Coréens prennent les commandes?

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

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source: corbis news / view press
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