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Comment Vladimir Poutine est est devenu le leader de la Russie

Ce 7 octobre, Poutine fête ses 70 ans: retour sur sa vie
Depuis trois semaines, comme depuis vingt ans, difficile de déchiffrer ce qui se passe derrière ces traits impassibles. image: keystone

L'homme le plus puissant de Russie

Il a été réélu ce dimanche, sans surprise, avec une écrasante majorité. Vladimir Poutine régnera sur la Russie jusqu'en 2030. Retour sur le parcours d'un homme que rien, ou presque, ne prédestinait à devenir l'homme fort de Moscou.
17.03.2024, 20:0918.03.2024, 09:04
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Depuis des décennies, dirigeants, médias et diplomates du monde entier ne rêvent que d'une chose. S'immiscer dans les méandres et les recoins de l'indéchiffrable cerveau de Vladimir Poutine. Comprendre ce qui peut bien se tramer derrière ses yeux de glace. Faute de pouvoir lire dans la tête la plus scrutée de la planète, on peut toujours se plonger dans la vie mouvementée du dirigeant russe, âgé de 71 ans, réélu ce 17 mars pour un mandat de six ans supplémentaire.

Le gamin au milieu de la pègre

Comme le veut la formule, rien ne prédestine Vladimir Vladimirovich Putin à devenir le dirigeant de la Russie, lorsqu'il voit le jour à Léningrad (Saint-Pétersbourg, aujourd'hui) le 7 octobre 1952, au sein d'une famille extrêmement modeste. Des trois fils de Maria Ivanovna et Vladimir Spiridonovitch, il est le seul survivant. Ses deux frères aînés sont décédés en bas âge. Sa mère est ouvrière, son père, ancien combattant. On aime à lui rappeler que son grand-père, Spiridon Poutine, a été cuisinier au service de la famille impériale des Romanov, puis de Lénine et Staline.

Maria Ivanovna et son fils Vladimir, en juillet 1958.
Maria Ivanovna et son fils Vladimir, en juillet 1958. image: commons.wikimedia.org

Au coeur de la Léningrad des années 50 et 60, aux mains de la pègre, le chemin du petit Vladimir Poutine semble tout tracé. C'est un élève «médiocre et bagarreur», admet sa propre biographie officielle. Les règles de conduite qui régissent ce milieu brutal, mafieux, lui forgent toutefois un caractère et une discipline de fer. Il se passionne pour le judo, qu'il découvre à l'âge de 11 ans et maîtrise au point de devenir ceinture noire. Une pratique sportive intense, nécessaire, qu'il pratiquera tout au long de sa vie.

Vladimir Poutine se passionne pour le sport, notamment le judo, qu'il pratique assidument (ici, en 1971).
Vladimir Poutine se passionne pour le sport, notamment le judo, qu'il pratique assidument (ici, en 1971).image: keystone

De l'espionnage à la mairie

Tout jeune déjà, Poutine se rêve en espion. Après un échec à intégrer les rangs du KGB vers l'âge de 16 ans, il poursuit donc des études de droit à l'université de Leningrad, où il se révèle l’un des meilleurs élèves. Diplôme en poche, la porte des services secrets s'ouvre enfin. D'abord comme subalterne, puis au contre-espionnage. Au sein de la police politique, on le charge notamment de la lutte contre les dissidents et autres «éléments anti-soviétiques».

En 1982, Vladimir Poutine rencontre Lyudmila Alexandrovna Chkrebneva, une hôtesse de l'air qu'il épouse l'année suivante. De cette union naîtront deux filles, Maria, en 1985 et Ekaterina, en 1986. Universitaires chevronnées, toutes les deux brillent par leur absence de la scène médiatique. Vladimir Poutine cultive une discrétion maladive autour de sa vie de famille. «Peut-être parce qu’il voit sa femme, ses enfants, comme des vulnérabilités», analyse Vladimir Fédorovski, diplomate, historien et écrivain, au quotidien Le Parisien.

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Vladimir Poutine et sa femme, Lyudmila, en 2000. Image: EPA

Trente ans plus tard, le couple présidentiel confirme son divorce à la presse et met fin à des années de spéculations. Deux autres femmes, au moins, marqueront la vie sentimentale de Vladimir Poutine: Svetlana Krivonogikh, qui donne naissance à leur fille, Elizaveta, en 2003, suivie de la gymnaste Alina Kabaeva, de trente ans sa cadette, et avec laquelle il aurait eu au moins trois enfants.

A partir du mois d'août 1985, Poutine officie à Dresde, en RDA, pour son premier poste à l'étranger. Officiellement, comme employé consulaire. Officieusement, pour recruter des espions en tant que commandant des services secrets russes. A son retour en Russie, à la fin des années 80, un évènement historique le marque profondément. La chute de l’Allemagne de l’Est. Un véritable traumatisme pour le futur leader russe, selon l'historien Vladimir Fédorovski:

«[Poutine] trouve que Mikhaïl Gorbatchev est nul dans sa gestion de la crise et dans les négociations. Qu’il ne se bat pas suffisamment pour faire respecter les accords passés avec les Américains et l’Otan, qui promettent de ne pas s’étendre vers l’Est».

Les années 1990 marquent l'ascension de l'ancien espion de 37 ans comme l’une des personnalités les plus influentes de la politique municipale de Léningrad, fraîchement rebaptisée Saint-Pétersbourg. Autour de lui, il érige un véritable «modèle de corruption», un entourage fidèle qui le suivra jusqu'au Kremlin.

Tout s'accélère lorsque le maire de la ville, Anatoli Sobtchak, le choisit comme secrétaire. En 1994, Poutine devient même son premier adjoint. Malin, il joue à merveille le second docile, fidèle, inoffensif. Un pantin sur qui l’édile peut compter.

Anatoli Sobtchak et Vladimir Poutine, en 1994. Sobtchak est décédé en 2000 d'une crise cardiaque.
Anatoli Sobtchak et Vladimir Poutine, en 1994. Sobtchak est décédé en 2000 d'une crise cardiaque.image: keystone

Un pantin dont l'ascension se poursuit, discrètement, inexorablement. En mars 1997, avec l'aide d'influents oligarques, il intègre l’administration du président de la Russie, un certain Boris Eltsine. Un président alors englué dans les scandales, soupçons de corruption, vidéos sulfureuses avec de jeunes femmes. Sa réputation est catastrophique. Poutine, lui, est écœuré par les abus d'alcool, la grossièreté et la faiblesse flagrante de son supérieur. Un dégoût qui marque, aujourd'hui encore, ses habitudes quotidiennes. Le président russe, presque abstinent, ne s'accorde un verre d'alcool qu'à titre exceptionnel.

«C'était un nouveau traumatisme pour Poutine de découvrir que son pays est dirigé par un tel crétin»
Vladimir Fédorovski, au Parisien

En trois ans au service du président Eltsine, le «pantin choisi par les oligarques» est devenu un marionnettiste. Sans que personne ne le voie vraiment venir, Poutine gravit tous les échelons. Responsable de la sécurité, chef des services secrets, puis, finalement, premier ministre. Le deuxième homme du pays. Et donc successeur tout désigné de Boris Eltsine.

L'ex-président russe, Boris Eltsine, et son ancien Premier ministre, Vladimir Poutine, le 27 décembre 1999.
L'ex-président russe, Boris Eltsine, et son ancien Premier ministre, Vladimir Poutine, le 27 décembre 1999.

Une anecdote en dit long sur son influence: en 1999, lors d’une conférence de presse, Poutine arrache le micro des mains du président et lâche cette punchline célèbre:

«Nous poursuivrons les terroristes partout et on les butera même dans leurs chiottes»

Une phrase choc plus tard et le voilà propulsé à plus de 40% d’opinions favorables. Le 31 décembre 1999 marque la démission surprise de Boris Eltsine pour des raisons de santé. Et la nomination de Vladimir Poutine comme président par intérim.

Président tout-puissant

Avec la complicité des gouverneurs, des oligarques et des médias, Vladimir Poutine se pose officiellement comme président de la Fédération de Russie, dès le premier tour de l'élection présidentielle. Très vite, le ton est donné. Le soir de sa victoire, il réunit une vingtaine de ces milliardaires venus fêter avec lui.

«Si vous essayez d’entrer dans mon bureau et de bloquer la porte avec le pied, comme vous l’avez fait avec Eltsine, vous êtes des hommes morts»
Vladimir Poutine.

L'effet est immédiat. Tous se hâtent de prêter allégeance et de se mettre au pas.

Dès le début de son mandat, Vladimir Poutine donne le ton.
Dès le début de son mandat, Vladimir Poutine donne le ton.image:commons.wikimedia.org

Dès le début de son mandat, le président engage des réformes socio-économiques et politiques profondes qui transformeront son pays. Concentration du pouvoir. Renforcements des services de renseignements, de la police et de l'armée. Relance de l'économie. Lutte contre la mafia paraétatique et les fraudes des oligarques. Réformes fiscales. Durcissement du contrôle et de la pression sur les médias.

Sur le plan international, Poutine nourrit le fantasme de replacer durablement son pays sur la scène mondiale. Le 11 septembre 2011, il distingue une opportunité. Alors qu'il est en train de s'adonner à sa séance de sport quotidienne, sur son écran de télévision, les tours du Wall Trade Center sont en train de s'effondrer. Une aubaine pour le président russe: celle d'une nouvelle ère de cordialité et d'entente entre les deux grandes puissances, où Russie et Occident se ligueraient contre un nouvel ennemi commun, le terrorisme islamiste.

WASHINGTON - SEPTEMBER 16: U.S. President George W. Bush (R) and Russian President Vladimir Putin (L) hold a press conference in the East Room of the White House September 16, 2005 in Washington, DC.  ...
Vladimir Poutine n'a jamais pardonné aux Etats-Unis le rejet de sa main tendue, en 2001, après les attentats du 11-Septembre.Getty Images North America

Il décroche aussitôt son «téléphone rouge» pour proposer son aide aux Etats-Unis. Le désenchantement sera brutal. Amer. George W. Bush rejette cette main tendue – blessant définitivement, au passage, l'ego de son homologue russe. Et qui marquera à tout jamais ses relations avec l'Occident.

Poutine durcit le ton. Il renonce à une adhésion à l’Otan, qu’il a pourtant envisagé d'intégrer sous la présidence de Bill Clinton, puis brandit la menace de l'arme nucléaire si les Etats-Unis se déploient aux frontières russes. Cette même année, le maître du Kremlin est nommé personnalité de l'année par le Time.

Titre hautement controversé du fait de l'assassinat en 2006, à Londres, d'Alexandre Litvinenko, que plusieurs journalistes et enquêteurs britanniques imputent au pouvoir russe.
Titre hautement controversé du fait de l'assassinat en 2006, à Londres, d'Alexandre Litvinenko, que plusieurs journalistes et enquêteurs britanniques imputent au pouvoir russe.time magazine

En mars 2008, alors qu'il approche du terme de son deuxième mandat présidentiel, Vladimir Poutine n'est pas contre la perspective de conserver un certain pouvoir. Le début d'un formidable tour de passe-passe avec son premier ministre, Dmitri Medvedev. Vainqueur de l'élection, son ancien second lui offre son poste de premier ministre du gouvernement.

En 2012, rebelote. Vladimir Poutine est élu au premier tour pour un mandat de six ans, après avoir raflé 63,6% des suffrages. Le jour de son investiture, le «nouveau» président de la Fédération russe soumet la candidature de son prédécesseur au titre de premier ministre du gouvernement. Enième retour d'ascenseur.

De «personnalité de l'année» à «criminel de guerre»

De retour au pouvoir, les années 2010 sont l'occasion de renforcer le rôle de son pays sur l’échiquier politique international. Entre manœuvres diplomatiques autour de la Syrie et Jeux olympiques de Sotchi, qu'il rêve symbole d'une Russie moderne et puissante. Une véritable opération de séduction. L’investissement est colossal, le plus lourd jamais alloué pour accueillir une compétition olympique.

En 2014, le président russe doit faire face au soulèvement inattendu du peuple ukrainien contre son dirigeant prorusse, Viktor Ianoukovitch. Poussé dans ses retranchements, Poutine enterre l'idée d'une paix avec les Occidentaux et envoie des troupes pour annexer la Crimée. Son rêve d'un trait d’union entre la Russie et l’Occident est un échec. Si cette crise vaut au chef du Kremlin la désapprobation durable de l'Occident, déclenchant la pire crise depuis la fin de la Guerre froide, dans son propre pays, elle augmente nettement sa cote de confiance: 87% en août 2014.

En près de vingt ans aux commandes, l'autocrate a réussi la prouesse de se maintenir en bonne posture dans l'opinion publique russe, malgré une réforme des retraites discutée, les contestations, la baisse du pouvoir d’achat, les complots dénoncés par l’opposition. Qu'à cela ne tienne. Vladimir passe outre. Toujours. «Le chef de l'Etat est un homme fort», comme il aime à l'affirmer lui-même dans sa campagne électorale. Une image d’homme puissant, sportif, charismatique, imposant, qu'il travaille au corps. La raison même, peut-être, de son succès.

Sitôt son quatrième mandat en poche, sa mainmise sur le pouvoir encore confortée par une victoire suspecte du parti présidentiel Russie unie aux élections législatives, Poutine se projette déjà sur la suite. Alors que l'opposition dénonce fraudes électorales, «bourrages d'urnes» et «manipulation du vote en ligne», il se lance de son côté les révisions constitutionnelles qui lui permettront de rester au pouvoir jusqu’en 2036.

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Les années 2020 ont définitivement entériné le statut de «paria» de Vladimir Poutine aux yeux des Occidentaux. Getty Images Europe

Son statut de paria occidental est définitivement entériné le 24 février 2022. Lorsque, au cours d'une allocution télévisée désormais mondialement célèbre, Vladimir Poutine annonce l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Quelques minutes plus tard, les forces armées de la Fédération de Russie pénètrent en territoire ukrainien. Une invasion qui lui vaut pour la première fois le titre «criminel de guerre» de la part de son homologue américain Joe Biden, le 16 mars. Un titre qui tranche sèchement avec celui d'«homme de l'année», décerné quinze ans plus tôt par le Time Magazine.

En deux ans de guerre, on a tout prédit à Vladimir Poutine: un soulèvement, la chute, la fin, la mort, les maladies, la déchéance. Ce 17 mars 2024, force est de constater que le leader tout-puissant de Russie est toujours là. Peut-être plus fort que jamais. Au terme d'un parcours jalonné d'autant de coups de chance que de coups de maître, il est passé de joueur d’échecs, à sportif, tacticien, espion, marionnette et marionnettiste. Un parcours voulu, calculé, pour cet homme convaincu qu'il a été envoyé à la Russie par la providence. Déterminé à ne rien lâcher. Surtout pas le pouvoir.

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Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
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Guerre en Ukraine: un couple se marie en pleine guerre
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