A l'origine, tout était censé se dérouler très vite. Lorsque les troupes du Kremlin ont envahi l'Ukraine, le 24 février 2022, de nombreux experts occidentaux s'accordaient à dire que le pays ne pourrait se défendre que pendant quelques jours, si tant est qu'elle puisse le faire. Mais les choses se sont déroulées bien différemment.
La guerre en Ukraine fait rage depuis plus de deux ans maintenant. La Russie n'a encore atteint aucun de ses objectifs, mais son armée semble dans une phase relativement ascendante. Dans l'est du pays, elle a gagné un peu de terrain. Selon plusieurs experts militaires de l'Institute for the Study of War (ISW), l'indécision de l'Occident est en partie responsable de cette situation. En effet, pour défendre leur pays, les troupes de Kiev dépendent de l'aide militaire des alliés. Un soutien qui a récemment diminué. Et c'est là une bonne nouvelle pour le maître du Kremlin.
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«La Russie ne peut pas battre l'Ukraine ou l'Occident – et perdra probablement – si l'Occident mobilise ses ressources pour résister au Kremlin», estiment, pourtant, les spécialistes Nataliya Bugayova, Frederick W. Kagan et Katerina Stepanenko dans une récente analyse pour l'ISW. Ils estiment:
Ils s'accordent à dire que la faute revient surtout à la campagne russe de manipulation de l'opinion publique dans les pays occidentaux. La Russie sait que «l’Occident a l’avantage», mais surtout qu'il doit «décider de l’utiliser». C'est pourquoi elle mène une guerre hybride incluant de la désinformation.
L'affirmation selon laquelle la guerre ne peut être gagnée en raison de la domination et de la puissance russe fait précisément partie de cette campagne russe très complète, expliquent les auteurs. La guerre hybride de Moscou donne un aperçu de la véritable stratégie du Kremlin et «de son seul véritable espoir de succès». Pour parvenir à ses fins, la Russie tente d'une part de mettre les Etats-Unis – plus gros fournisseur d'équipement militaire de Kiev – à l'écart et d'autre part d'isoler l'Ukraine.
La manipulation de la perception constitue un aspect clé de la stratégie de compensation de Poutine – un moyen d'atteindre des objectifs au-delà des limites de la puissance russe. En 2020, l'ISW estimait déjà que la force de Poutine réside dans sa capacité à façonner la perception des autres et à projeter l'image d'une Russie toute-puissante malgré une force réelle limitée.
Aux Etats-Unis, les républicains et les démocrates se disputent depuis des mois sur la poursuite de l'aide militaire à l'Ukraine. A la Chambre des représentants, un paquet d'armes de 60 milliards de dollars est actuellement bloqué par les républicains. Cela est également dû au fait que Donald Trump, candidat républicain à la présidence, soit fondamentalement opposé à toute nouvelle aide à l'Ukraine. Les experts de l'ISW admettent:
Sa priorité serait d'imposer à l'Occident sa vision du monde et de prendre ainsi des décisions qui favorisent les objectifs du Kremlin. Et ce avant même une victoire sur sol ukrainien.
Ainsi, Poutine et des hommes politiques russes qui lui sont proches, comme Dmitri Medvedev, ont déjà menacé à plusieurs reprises d'utiliser des armes nucléaires. Poutine l'a répété encore une fois dans son discours sur l'état de la nation en février. Les experts jugent «peu probable» l'utilisation effective d'armes nucléaires en réponse à d'éventuelles frappes de l'Ukraine avec des missiles conventionnels occidentaux. Mais selon eux, les déclarations du chef du Kremlin selon lesquelles la Russie serait menacée par l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan s'insèrent peu à peu dans l'esprit de certains en Occident.
De l'avis de nos spécialistes, le Kremlin procède habilement. Il associe dans le débat public «des sentiments réels et même quelques arguments légitimes» aux intérêts de la Russie. Ce faisant, il s'adresse aussi bien à la droite qu'à la gauche de l'échiquier politique. Cette manipulation frappe désormais «de plein fouet» l'opinion publique occidentale, estiment les experts:
Pourtant, les alliés de l'Ukraine ont derrière eux une puissance économique considérable. Le produit intérieur brut combiné de tous les Etats soutenant l'Ukraine s'élève à environ 63 billions de dollars américains. La Russie à elle seule ne peut opposer que 1,9 billion de dollars américains. L'Iran et la Corée du Nord fournissent certes encore une aide matérielle à Moscou, et la Chine soutient la Russie sur le plan politique. Mais l'Occident pourrait s'imposer en s'engageant résolument, estiment les spécialistes.
Il s'agirait donc surtout pour la Russie de retarder davantage les aides de l'Occident – en particulier celles des Etats-Unis. Et sur le champ de bataille, le plan semble fonctionner. Après la contre-offensive réussie de l'Ukraine à l'automne 2022, l'Occident aurait manqué l'occasion de fournir à temps des aides supplémentaires.
Il en va ainsi de la crainte des pays occidentaux de livrer à l'Ukraine des systèmes d'armes à longue portée. Moscou ne cesse d'affirmer que l'Ukraine utiliserait de telles armes contre des cibles en Russie et menace d'une escalade non précisée en retour. Cet argument a également été avancé à plusieurs reprises par des décideurs allemands dans le cadre du débat sur la livraison de missiles de croisière Taurus à l'Ukraine.
Face à ce qu'ils considèrent comme une campagne de propagande très réussie jusqu'à présent, les experts mettent en garde et appellent l'Occident à faire preuve de fermeté: «Une Russie victorieuse est un chemin plus rapide vers une guerre Russie-Otan qu'une Ukraine victorieuse». Moscou poursuivrait ses menaces nucléaires contre l'Occident même après une victoire militaire contre l'Ukraine, estiment les spécialistes, pire selon eux:
Les analystes de l'ISW demandent aux alliés occidentaux de prendre trois mesures en priorité:
Ce dernier point pourrait surtout être mis en œuvre si l'Occident se détachait des communications russes et exploitait les faiblesses militaires du régime de Poutine.