On annonce 200 000 loyalistes dans le stade Loujniki à Moscou. Alors qu'il ne peut officiellement en contenir que la moitié. Ils sont venus soutenir Vladimir Poutine et la Russie. Cinq ans plus tôt, c'est la France qui y remportait sa deuxième Coupe du monde, face à la Croatie.
Ce mercredi après-midi, dans les gradins, de jolies jeunes femmes, des chérubins à croquer, des crinières blondes, des pupilles bleues. Sans oublier une flopée de doudounes et de bonnets, puisque la propagande ne peut rien contre les -16 degrés qui lacèrent la capitale russe.
C'est en tout cas ce que le réalisateur de l'événement veut (peut?) bien nous offrir à l'écran. Des larmes aussi. De tout un peuple au chevet du Kremlin. En l'honneur de Vladimir Poutine. De nos pères massacrés par les nazis ukrainiens. De notre belle nation sans cesse agressée par le démon occidental.
Voilà pour le menu officiel. Mercredi, veille du «Jour du défenseur de la patrie», la désinformation usuelle s'est muée en gigantesque festival. Sorte de Paléo patriotique à la gloire du tyran, cette kermesse militaire à paillettes rassemble tout ce qui se fait de mieux en Russie dans le monde merveilleux de la pop. Durant deux longues heures, des dizaines de stars nationales se passent le micro pour souffler un vent de nostalgie romantico-soviétique.
Enfin, les stars qui ne sont ni en taule ni en fuite.
A la présentation, un ersatz de Paris Hilton moscovite. Le reste des festivités nous prouvera d'ailleurs qu'il faut se méfier des gueules d'ange à sourires glaciaux. Même si les cheveux paraissent propres, la guerre est toujours aussi sale.
Parmi les animations musicales, on y trouve de la pop, de la variété russe, des chœurs de mioche bien coiffés, du rock et... même du rap (ce style musical pourtant inventé par l'infâme oncle Sam). Arrêtons-nous d'ailleurs sur cette minute hip-hop. Le flow est balancé en treillis, béret sur le crâne et main sur le cœur, par un militaire mélancolico-désabusé, accompagné de la chorale Alexandrov.
Selon le média Nexta, ce Grand Corps Malade de Poutine serait le commandant de l'Unité de reconnaissance Nikolay Romanenko.
Le refrain? Un célèbre hymne soviétique baptisé Katioucha. En russe dans le verbe, il évoque la prière d'une jeune fille à son amant, parti au front au début de l'hiver. Mais les couplets sont de son propre cru. Jugez plutôt:
C'est là que réside toute la dangerosité d'une propagande musicale. On est contraint d'y trouver une certaine tenue. L'émotion a toujours été une arme de séduction massive et les poils sont susceptibles de se dresser sur l'épiderme des foules, aussi vite qu'un lance-missile sur un champ de bataille.
S'enchaîneront quelques éphèbes du Top 50 russe, dont l'émo-boy Shaman. Ex-vainqueur de la version moscovite de l'émission X-Factor et considéré comme l'une des voix les plus importantes du paysage pop moscovite, le jeune homme avait sorti un dernier tube quelques heures avant le début de l'agression russe, le 24 février 2022. Une vidéo qui avait cumulé 35 millions de vues en quelques jours, sur Youtube.
Vladimir Poutine est venu faire coucou, bien sûr. En manteau cintré, sourire en coin et larme à l'œil. Celui dont on prédit une mort prochaine semblait plutôt alerte. Une petite dizaine de minutes ont suffi pour bénir un peuple congelé par tant d'amour feint. C'est court pour un jour supposé être aussi important pour le Kremlin.
200 000 fidèles, aussi enjoués que des groupies de Justin Bieber, dans une atmosphère bon enfant. Louche? Un peu. Les experts de la Russie sur Twitter, mais aussi plusieurs médias indépendants n'ont pas attendu le feu d'artifice final pour venir gâcher la fête. Moscow Times affirme par exemple que les spectateurs ont été payés 500 roubles (6 francs suisses) pour agiter des drapeaux en rythme. Tout autour du stade du stade, des stands de bouffe où la soupe et les saucisses se distribuaient gratuitement et en masse.
Mais pas que.
«Comme les précédents rassemblements officiels de ce type, la majorité de la foule semblait être composée d'employés d'entreprises publiques ou d'agences gouvernementales, à qui leurs patrons avaient dit de se présenter», explique encore Moscow Times.
Il n'empêche. Pour les millions de citoyens russes plantés devant leur téléviseur, ce raout patriotique fait toujours office de pilule du bonheur. Il faut bien s'accrocher à une version de l'histoire quand les époux se font dézinguer au front pour les beaux yeux du tyran.