Comment Poutine met en scène son «chien sanguinaire» en Ukraine
Vladimir Poutine a apparemment promu le gouverneur de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov. Dans le même temps, ce dernier a affirmé mardi se trouver dans la ville ukrainienne de Marioupol. «L'opération militaire spéciale», comme le Kremlin qualifie la guerre contre l'Ukraine, se déroule comme prévu, a écrit Kadyrov dans la nuit sur son canal Telegram. Il s'est personnellement fait une idée de la situation lors d'une visite sur place.
Kadyrov, à la tête de cette république du Caucase du Nord, officiellement autonome, mais appartenant à la Russie, se décrit lui-même comme le «fantassin de Poutine». Les médias internationaux l'ont également baptisé le «limier de Poutine». A plusieurs reprises déjà, on a rapporté qu'il était personnellement sur place lors de la guerre en Ukraine. Est-ce vrai cette fois-ci?
«Contrairement à son séjour en Ukraine à la mi-mars, que l'on peut presque certainement juger comme une mise en scène, Kadyrov semble cette fois s'être réellement rendu à Marioupol», explique à t-online la politologue Miriam Katharina Hess, de la Société allemande de politique étrangère.
Kadyrov n'est probablement plus à Marioupol
Mais l'accent est mis sur «était»: il faut partir du principe que Kadyrov, qui aime se mettre en scène comme un combattant téméraire, a déjà quitté l'Ukraine et préparé les vidéos et les images diffusées.
Un autre indice va dans ce sens: la télévision russe a montré des images sur lesquelles on peut prétendument voir Kadyrov rencontrer le lieutenant-général Andreï Mordvichev à Marioupol. Selon les autorités ukrainiennes, ce dernier serait toutefois déjà tombé le 19 mars.
La preuve que la fidélité à Poutine est récompensée
Son prétendu séjour à Marioupol n'est toutefois pas la seule nouvelle concernant Kadyrov. Avant son voyage, l'homme de 45 ans aurait été élevé au rang de lieutenant-général par Poutine, selon son ministre Akhmed Dudaev. Auparavant, il était major général.
Miriam Katharina Hess y voit une décision stratégiquement intéressante pour trois raisons.
- Promouvoir Kadyrov serait un «merveilleux instrument pour Poutine afin de se protéger contre d'éventuelles tentatives de coup d'Etat venant des cercles internes». Kadyrov n'aurait prêté allégeance qu'à Poutine personnellement, et non à l'appareil gouvernemental russe.
- Sa promotion servirait de signal à d'autres pays et régions historiquement liés à la Russie pour leur montrer que la fidélité à Poutine est payante. Il s'agit également pour Poutine de promouvoir le modèle d'un gouvernement «fantoche», tel qu'il existe en Tchétchénie et qu'il espère établir en Ukraine. «La promotion de Kadyrov et l'estime ainsi exprimée doivent rendre le résultat de la guerre plus attractif pour d'éventuelles forces politiques», selon Miriam Katharina Hess.
- Poutine se protège, avec l'aide de Kadyrov, contre le risque que le monde arabe se retourne contre lui. L'islam, que Kadyrov met en scène dans sa propagande, permet de créer une sorte de lien, ce que Poutine ne peut pas faire, selon Miriam Katharina Hess.
Kadyrov, le lien de Poutine avec le monde arabe
Kadyrov divertit régulièrement ses 1,5 million de followers sur Telegram avec des vidéos de propagande censées montrer des marches en Tchétchénie et de prétendus actes de guerre en Ukraine, le tout sur fond de chants islamiques traditionnels. Des images montrant Kadyrov en train de prier dans une mosquée s'y mêlent.
Dans son prétendu message de Marioupol, il a également justifié l'engagement de ses guerriers en Ukraine non seulement par le fait qu'il s'agissait d'un «devoir en tant que citoyen et patriote de la Russie», mais aussi par sa foi. La population tchétchène, qui dépasse à peine le million d'habitants, est majoritairement musulmane. Kadyrov se définit lui aussi comme musulman et adepte du soufisme sunnite.
Kadyrov et son image
On ne sait pas combien de combattants de ses forces spéciales paramilitaires sont réellement engagés en Ukraine. Mais Marioupol serait désormais «pratiquement sous le contrôle total de la Russie», écrit Kadyrov. Et cela serait dû aux guerriers de Tchétchénie. Une photo le montrerait à Marioupol avec une vingtaine d'entre eux.
Même si la ville portuaire est aujourd'hui en ruines, les observateurs militaires doutent que les unités tchétchènes jouent un rôle significatif dans la guerre contre l'Ukraine.
Les combattants tchétchènes sont en tout cas précédés d'une réputation de brutalité: Certains ont appris à tuer dès l'adolescence, lors des guerres de Tchétchénie, sous la direction du père de Ramzan Kadyrov, Akhmat Kadyrov. Lors de la première guerre de Tchétchénie (1994 à 1996), il a combattu en tant que mufti adjoint contre l'armée russe qui voulait empêcher l'indépendance de la Tchétchénie après l'effondrement de l'Union soviétique.
Lors de la deuxième guerre de Tchétchénie, en 1999, Akhmat Kadyrov a toutefois tourné le dos aux rebelles - et s'est battu aux côtés des troupes russes. Celles-ci ont reconquis la région au cours d'une guerre qui a duré dix ans et fait de nombreuses victimes parmi la population civile. En remerciement, Vladimir Poutine a nommé le père de Ramzan Kadyrov chef de l'administration de la République de Tchétchénie. Il est resté au pouvoir jusqu'à son assassinat en 2004 par des rebelles islamistes. En 2007, son fils Ramzan Kadyrov lui a succédé au poste de chef de la république russe sur proposition de Poutine. Il est depuis considéré comme le gouverneur de Poutine.
Avec sa dernière apparition, Kadyrov veut probablement aussi faire sa propre publicité. Après que son prétendu séjour en Ukraine ait été révélé comme étant un faux à la mi-mars, son image a été ternie. Selon la politologue Miriam Katharina Hess, Kadyrov a donc un autre objectif: