Une circulaire envoyée à toutes les écoles françaises pour proscrire l'utilisation du point médian, la préparation d'une initiative populaire en Suisse pour interdire l'écriture inclusive... Le temps de votre crédibilité est-il passé?
Pascal Gygax: Avec ces actualités, on assiste au réveil des gardiens du patriarcat. En gros, le ministre français Jean-Michel Blanquer, le conseiller national valaisan Benjamin Roduit et d'autres pensent que tout est centré autour des hommes. Ce qui me frappe et m'inquiète, c'est le manque total de connaissances de ces gens qui devraient normalement être bien informés sur les sujets dont ils s'emparent.
Ils défendent tout simplement une autre vision que vous, non? De quelles méconnaissances parlez-vous?
Ces personnes confondent l'écriture inclusive avec les points médians. Les 180 pages du livre que nous avons publié ce jeudi 6 mai, avec Sandrine Zufferey et Ute Gabriel, Le Cerveau pense-t-il au masculin?, sont écrites en langage inclusif, mais elles ne comptent aucun point médian. Celui-ci a été demandé à la base par des gens du Web ou des journalistes (réd: pour éviter d'avoir à répéter les mots au féminin). Et ce n'est pas tout:
Vous reprochez aux opposants à l'écriture inclusive d'être dans une démarche idéologique. Or, la vôtre l'est aussi.
Oui. Une démarche est de toute façon politique. Même le choix de mon domaine de recherche l'est. La différence, c'est que nos adversaires défendent un système androcentré (réd: centré sur l'homme) et que nous, nous défendons l'évolution de la langue. A force de vouloir la figer, Blanquer, Roduit et consort risquent de la faire disparaître, comme ont disparu le grec ancien et le latin du fait d'avoir été trop immobilisés.
Tout le monde est d'accord sur le fait que la langue évolue. Mais son évolution se base sur l'usage, pas sur la politique.
Justement, la démarche dans laquelle je m'inscris ne consiste pas à vouloir imposer une politique de la langue, mais à observer deux choses: l'effet de notre langage sur notre pensée et l'évolution de l'usage. Il faut rappeler que le pronom neutre «hen» en suédois a été introduit dans l'usage il y a plusieurs années et qu'il est maintenant le troisième pronom officiel en suédois. Du coup:
Blanquer n'a-t-il pas raison de s'inquiéter de la complexité de l'écriture inclusive, qui peut être un frein dans l'apprentissage de la langue, notamment par les dyslexiques?
Cela me réjouit qu'on s'intéresse enfin aux personnes en situation de dyslexie. Cela fait des années que les groupes qui s'en soucient recherchent des financements, probablement. J'appelle ces derniers à profiter de l'occasion pour faire valoir leurs revendications! Il y a bien d'autres priorités dans l'examen de la structure de la langue française, qui est particulièrement difficile – ne songeons qu'aux accents, aux accords avec l'auxiliaire avoir, à l'opacité de la prononciation, etc.
De la même manière, n'y a-t-il pas d'autres priorités que l'écriture inclusive dans le combat pour l'égalité et la justice?
Il n'existe aucune mesure politique, linguistique ou autre qui va à elle seule établir une égalité entre les genres. Cela étant dit, tout doit être fait pour en finir avec la dimension androcentrée et inégalitaire de notre société. L’écriture inclusive est un répertoire d'outils, dont par exemple le langage épicène («personne» est un mot épicène au même titre que l’expression «corps estudiantin» ou le néologisme «iel»), et n’est qu’un moteur de progrès parmi d’autres.