Derrière les tailleurs Chanel et les escarpins Louboutin, les études à Londres et le CV brillant sur papier glacé, l'horreur. Un pays meurtri. Des crimes de guerre. Des millions de déplacés. Autant de réfugiés. Des centaines de milliers de morts. En Syrie, Asma al-Assad, l'épouse du dictateur, est passée d'idole à paria. L'ancienne idole des médias occidentaux aura préféré «vendre son âme au diable», comme l'écrit si justement le Telegraph ce lundi.
Née en 1975 dans la famille d’un cardiologue reconnu d'origine syrienne, Asma Akhras grandit dans le quartier huppé d’Acton, à Londres. La jeune femme qui préfère se faire appeler «Emma» et s'exprime dans un anglais presque aristocrate ne se rend dans son pays d'origine, la Syrie, que pendant les vacances d’été.
Sa biographie officielle sur Wikipedia, par ailleurs remise en cause par plusieurs médias, ne tarit pas d'éloges sur ses bonnes notes - les «meilleures» de sa promotion au King's College - en économie, mathématiques, informatique ou encore littérature française. Sitôt diplômée, elle débute une courte mais prometteuse carrière dans la finance internationale, forgeant ses armes à la Deutsche Bank et chez JPMorgan Chase.
La «légende» raconte que c'est lors d’une soirée à l’ambassade syrienne de Londres, en 1992, qu’elle croise le chemin de Bachar al-Assad, fils du président syrien Hafez al-Assad. S'il est âgé de dix ans de plus qu'elle, ils se connaissent depuis leur enfance. Bachar, un jeune homme volontiers décrit comme «modeste» et «travailleur», est venu étudier l'ophtalmologie au Royaume-Uni. Une enfance sans histoire, un diplôme de médecine, aucun destin politique particulier en vue. C'est son frère aîné, Bassel, qui est voué à régner sur le pays en tant que futur président.
Sa mort, deux ans plus tard, dans un accident de voiture, change la donne. Bachar al-Assad devient alors l’héritier officiel du régime familial. Et contrairement à ce qu'elle prétendra bien des années plus tard dans un reportage pour Paris Match, affirmant qu'elle n'a jamais «prévu d'épouser un chef d'Etat», Asma a certainement conscience que leur liaison, longtemps restée secrète, est loin de relever du simple hasard amoureux.
Officialisée en 2000, peu après l’accession au pouvoir de Bachar al-Assad, leur union marque le début d’une stratégie politique. Asma, une sunnite issue d'une famille de Homs, devient un atout dans un pays dominé par la minorité alaouite. Un visage modernisé et glamour du régime syrien.
Dans les premières années de présidence, le couple Assad se pose comme moderne et accessible. Il dîne sans escorte à Damas et cultive un fantasme de proximité avec son peuple. Contrairement à son défunt père, autocrate au style glacial, le jeune président se veut despote bienveillant, à l’écoute de ses concitoyens. Asma, elle, se pose comme un moteur de changement, à travers ses ONG et ses initiatives caritatives diverses et variées.
Son style sobre et élégant contraste avec l’opulence de nombreuses premières dames du Moyen-Orient, lui valant des comparaisons flatteuses avec Carla Bruni ou Rania de Jordanie - une comparaison qui lui a sans doute hérissé le poil, puisqu'elle aurait résumé l'actuelle reine comme un «joli minois futile», selon une responsable associative dans Le Point.
Pendant que la presse internationale l'encense, Asma refuse avec obstination le statut de «femme-trophée», lui préférant une réputation d'intellectuelle, libérale et influente. En 2001, lors de sa première visite officielle, elle préfère visiter HEC Paris et la Banque de France plutôt que s'attarder sur le plateau du «Journal de 20 heures» de TF1 et à la boutique Hermès qui l'avait conviée.
Un style qui coïncide avec un retour en grâce de popularité du régime à l'international. Dans les capitales occidentales, Bachar al-Assad redevient fréquentable - et sa femme n'y est pas pour rien, s'affichant devant les caméras aux côtés d'autres first ladies, dont les époux préfèrent éviter le président syrien.
Habilement, patiemment, la première dame manœuvre pour renforcer sa position au sein du régime, jusqu’à devenir l’une des personnes les plus influentes de Syrie.
Derrière cette vitrine savamment entretenue par de grandes sociétés de relations publiques anglaises et américaines, la réalité se fissure. Le «printemps de Damas» avancé par le couple présidentiel ne tient pas ses promesses.
Perché dans sa tour d'ivoire et son loft de trois niveaux à Damas, dans le quartier huppé d’Al-Malki, le couple présidentiel ne voit pas venir la révolte et le Printemps arabe.
Plus populaire que ne l’étaient ses homologues Ben Ali et Hosni Moubarak, tombés avant lui, Bachar al-Assad se croit immunisé. Le temps fera son œuvre, songe-t-il. Les manifestations pacifiques se transforment pourtant bientôt en conflit sanglant, réprimé avec férocité par le régime du président. Son image internationale s'effondre.
Quant à Asma, initialement perçue comme une figure modératrice, un espoir de réforme, un rempart face à son mari, voire une épouse opprimée et condamnée au silence, elle affiche un soutien total à son époux. En janvier 2012, elle défile avec deux de ses enfants dans une cérémonie en faveur du régime. Pour ses partisans, la déception est amère. Et la désillusion totale lorsque, tandis que le bilan des morts s'élève à 110 000 personnes, celui des déplacés à 5 millions et de réfugiés à 2 millions, Bachar et Asma organisent pour l’anniversaire d’un de leurs trois enfants, un lâcher de ballons qui laisse leur quartier «pantois».
En public, Asma al-Assad continuera longtemps de se présenter comme la «mère de la nation», une madone multipliant les visites auprès des familles endeuillées et des soldats blessés.
En privé, on la dit plus volontiers détachée, insensible, voire «anesthésiée». En 2012, dans un article baptisé «Killing and shopping», le Guardian achève d'entériner cette idée en publiant des correspondances par email de la première dame. Alors que son pays sombre dans la guerre, Asma al-Assad dépense des milliers de dollars en escarpins, vaisselle, chandeliers et autres objets décoratifs pour sa maison de vacances à Lattaquié.
Une loyauté inébranlable envers son mari qu'Asma al-Assad maintiendra durant plus de dix années de guerre. Une unité familiale à toute épreuve que le couple continue de projeter dans les années 2020. Qu'importent les enquêtes pour crime de guerre dont il fait l'objet en 2021. Le fantasme que le temps joue en sa faveur et viendra à bout des résistances de l'Occident subsiste longtemps dans l'esprit de l'autocrate. Trop longtemps.
Emblème des contradictions du régime syrien, quelque part entre modernité affichée et archaïsme politique, charme mondain et brutalité sans bornes, Asma al-Assad fait face depuis ce printemps à un nouveau combat personnel contre la leucémie, après avoir vaincu un cancer du sein en 2018.
Ce week-end, le parcours improbable de l'ex-première dame syrienne vient de connaître un nouveau développement décisif, avec la chute du régime dans lequel elle s'était lovée depuis plus de vingt ans. Alors qu'elle a trouvé refuge à Moscou avec son mari et leurs trois enfants, le prochain chapitre est plus qu'incertain. Mais la perspective de passer le reste de ses jours dans un exil sans joie, dans la Russie de Vladimir Poutine, elle, est bien réelle.