Les images, diffusées en ligne et relayées par différents médias, montrent des vagues d'hommes sortir de la prison de Saidnaya, considérée comme l'une des pires du monde. Sur les vidéos, on voit des personnes incrédules, des femmes et même un enfant, être libérés dans la nuit de samedi 7 à dimanche 8 décembre par les rebelles après la chute du régime Assad. «N'ayez pas peur, vous pouvez partir, il n'y a plus de gouvernement», scandent-ils aux détenus.
Surnommée «l'abattoir humain» de Bachar al-Assad, la prison de Saidnaya était la plus grande, la plus crainte et la plus meurtrière du pays. Construite en 1987 à quelques 30 kilomètres au nord de Damas, le lieu – devenu le symbole de la tyrannie des Assad – était d'abord utilisé pour enfermer les détenus politiques, retrace Le Nouvel Obs. Elle a remplacé celle de Palmyre, prison emblématique sous le règne d'Hafez al-Assad.
A l'époque, les djihadistes constituaient la majorité de la population carcérale de Saidnaya. Ils seront libérés en masse au printemps 2011, date du début de la révolution syrienne et de la guerre civile. Une partie des prisonniers rejoindra alors les rebelles opposés au régime et certains deviendront, par la suite, des cadres importants de groupes djihadistes, comme l'Etat islamique ou le Front al-Nosra.
Parallèlement, «des dizaines de milliers de manifestants qui exigeaient la fin de la dictature sont raflés dans toutes les villes du pays». Dès 2011, le régime de Bachar al-Assad enfermera des détenus politiques mais aussi toute personne arbitrairement assimilée «membre de l'opposition» ou «dont la tête ne revenait pas». Des journalistes, des avocats, des étudiants, des indépendants Kurdes, des Syriens, des Libanais, des Palestiniens, des membres d'Al-Qaïda mais également des civils – en grande majorité – seront emprisonnés.
Dans ce bâtiment en forme de Y, situé à plus de 1300 mètres d'altitude et entouré de champs de mine pour empêcher l'évasion, plus de 30 000 personnes ont péri entre 2011 et 2018, selon l'association des détenus et disparus de la prison de Saidnaya (ADMSP). Entre 2018 et 2021, 500 décès viennent s'ajouter à ce chiffre. De son côté, Amnesty International dénonce des crimes de guerre et contre l'humanité approuvés au plus haut niveau du gouvernement syrien.
Chaque semaine, entre 2011 et 2015, des dizaines de prisonniers ont été exécutés, selon les informations de l'ONG. Les pendaisons de masse étaient réalisées dans le plus grand secret et avaient en grande partie lieu la nuit, le lundi et le mercredi. Près de 150 techniques de torture auraient été utilisées, comme l'électrocution, la pendaison au plafond par une jambe ou un bras, le supplice de la roue ou l'arrachage d'ongles et de dents. Les détenus auraient également subi des viols.
Pour mieux saisir ce qu'il se passait derrière «les portes de l'enfer», Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages d'anciens détenus, mais aussi de gardiens de prison ou de juges ayant assisté aux exécutions. En une seule nuit, jusqu'à 50 personnes pouvaient être pendues. On annonçait aux prisonniers qu'ils allaient être transférés dans une prison civile. Les yeux bandés, ils étaient en réalité emmenés dans une cellule au sous-sol, battus puis déplacés dans un autre bâtiment de la prison. Ce n'est qu'une fois la corde au cou qu'ils apprenaient qu'ils allaient mourir.
Au quotidien, les détenus étaient souvent privés d'eau et de nourriture. Lorsqu'ils recevaient à manger, les vivres étaient balancés au sol, se mêlant à la saleté et au sang. Ils n'avaient pas le droit de parler, ni même de chuchoter, et le simple fait de regarder un gardien pouvait conduire à la mort.
En 2023, la Cour internationale de Justice a ordonné à la Syrie de mettre un terme à ces pratiques. Ces dernières n'ont toutefois pas cessé.
Depuis la libération de la prison de Saidnaya, des milliers de personnes ont afflué pour rechercher leurs proches arrêtés. Des fouilles sont toujours en cours pour retrouver des cellules souterraines cachées dans lesquelles se trouveraient encore des prisonniers.
Parmi les équipes dépêchées sur place se trouvent notamment des spécialistes de l'abattage de murs et des personnes chargées d'ouvrir les portes en fer. Les premiers détenus à avoir été libérés se trouvaient dans la «prison blanche», située en surface. Une autre, appelée «prison rouge», se trouve sous terre sur trois étages, précise Mediapart. Des heures de travail seront nécessaires pour «défoncer les entrées». Les gardiens et les officiers ont quant à eux pris la fuite.
A ce jour, l'étendue de la barbarie commise dans la prison de Saidnaya ainsi que son fonctionnement interne ne sont pas encore connus.