Après le renversement du dictateur syrien Bachar al-Assad par des groupes rebelles dirigés par le groupe islamiste HTS, un débat sur le retour des réfugiés syriens s'est ouvert en Europe et en Suisse. Murat Erdogan est le principal chercheur en migration en Turquie. Son champ d'étude englobe la question de la communauté syrienne en exil.
Sur les 12 millions de réfugiés syriens dans le monde, environ trois millions vivent en Turquie. Ces derniers vont-ils maintenant retourner en Syrie?
Murat Erdogan: C'est ce qu'on espère en Turquie. D'après des sondages que j'ai menés, 89% des Turcs veulent que les Syriens rentrent chez eux. Certains vont partir maintenant, surtout s'ils ont des difficultés en Turquie ou s'ils ont encore des biens en Syrie. Mais pour la majorité, il est trop tôt pour le dire, car personne ne sait quel type de structures, ils trouveront en Syrie.
La Syrie est très différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a dix jours – qui sait à quoi elle ressemblera dans dix jours ou dans quelques mois?
Quels sont les autres obstacles à un retour en Syrie selon vous?
Les infrastructures détruites, la situation économique, tout un ensemble d'incertitudes. Ce n'est pas facile. Si les exilés syriens ont un logement et un emploi, si leurs enfants vont à l'école, alors il est encore bien trop risqué pour eux de faire leurs bagages pour retourner maintenant en Syrie. Je ne suis donc pas optimiste à ce sujet.
La Turquie va-t-elle tenter d'organiser un retour en Syrie?
La question la plus urgente pour la Turquie est désormais la position des Kurdes syriens et des Américains (réd: sur la domination kurde au nord de la Syrie). C'est désormais le problème le plus important pour Ankara, et c'est sur cette question que le gouvernement va se concentrer. Il va certainement essayer d'organiser quelque chose pour le retour, donner des subventions, par exemple, mais vu la situation économique de la Turquie, cela ne sera pas facile non plus.
Les réfugiés venus en Turquie ne voulaient pas vivre sous le régime de Bachar al-Assad, mais voudront-ils vivre sous la direction des nouveaux groupes? Ce n'est pas certain.
Les réfugiés syriens du reste de l'Europe et de la Suisse vont-ils retourner en Syrie?
Cela fait maintenant plus de trente ans que je travaille sur la migration et la fuite, et je pense que c'est un fantasme complet de penser que les personnes pourraient fuir un pays où leur vie est meilleure et où elles sont en sécurité. Ils en parlent certes, mais c'est tout. Regardez les Turcs en Allemagne, ils sont là-bas depuis soixante ans.
Ils n’y vont que pour les vacances. Ce n'est pas réaliste. C’est un pur fantasme de penser que des Syriens des pays européens vont quitter ces pays pour rentrer chez eux. Cela n'arrivera pas, en tout cas pas volontairement.
Est-ce également le cas pour les Syriens qui ont fui vers les pays voisins?
Cela vaut aussi pour les Syriens en Turquie, où le nombre de retours sera faible.
Les autres resteront en Turquie pour toujours. Car, vu la situation actuelle en Syrie, à Gaza et au Proche-Orient, il est vraiment irréaliste de penser que beaucoup de gens y retourneront.
Traduit de l'allemand par Anne Castella