Comme toujours, quand un animal domestique est au cœur d'une tragédie, les faits, les règles et les procédures ne suffisent pas à rassasier le cœur d'un être humain. Ces derniers jours, c'est la mort d'un chat, en France, qui scandalise l'opinion publique.
Le 2 janvier dernier, gare Montparnasse à Paris, Neko est décédé. La petite boule de poils de Georgia et de sa fille Melaïna a été littéralement coupée en deux par les essieux d'un train. Et pas n'importe quel train: le TGV qu'elles étaient censées prendre pour rejoindre Bordeaux. Le traumatisme est réel et l'affaire a scandalisé la France entière (ou presque), ce week-end.
Stationnée sur le quai, cette famille attendait sagement son train. Avec elle, quelques valises, mais aussi son chat, Neko, sagement couché dans une caisse de transport. Soudain, Georgia prend une décision qu'elle regrettera sans doute toute sa vie. Avant de monter dans le wagon, elle ouvre la grille de la caisse pour caresser et rassurer son petit Neko. Pris de panique, l'animal s'enfuit alors de sa caisse pour aller se réfugier au pire endroit imaginable quand on se trouve dans une gare: sous les essieux du train.
Depuis le quai, les deux propriétaires ont encore le chat dans leur champ de vision. Mission? Sauver Neko. Après avoir alerté des employés de la SNCF, Georgia et sa fille comprennent très vite que ce sera (bien) plus compliqué qu'espéré.
Les agents dépêchés sur place refusent d'entrer en matière et interdisent aux propriétaires de descendre elles-mêmes sur les voies. Hors de question, également, de dépêcher des employés pour sauver l'animal. «Il est formellement interdit de descendre sur les voies, ce qui mettrait en danger la vie des deux voyageuses ou de notre personnel», se défend la société ferroviaire à BFM TV.
Des négociations tendues s'engagent tout de même pendant près de vingt minutes. Neko, lui, n'a toujours pas bougé de sa (dernière) cachette. Il ne sait pas qu'il vit ses derniers instants. Car les discussions s'avèrent vaines. Le TGV a été autorisé à se mettre en route à l'heure prévue et le drame survient. Melaïna, 15 ans, est inconsolable au micro des journalistes.
Elle décrit avec une précision romanesque les derniers instants de son Neko: «On l'a vu en train de courir en dessous du train, c'est la dernière fois que je l'ai vu en vie, il m'a regardé dans les yeux car il a dû m'entendre, il a continué à courir puis c'était fini.»
Depuis, le service de presse de la SNCF a déclaré «regretter ce triste incident» et «se préoccuper de la condition animale». Non seulement cette mère et sa fille ont vu, en direct, leur Neko se faire couper en deux par un TGV, mais la société ferroviaire a fait un geste qui mettra le feu aux poudres. Une fois que le train avait quitté la gare Montparnasse, les agents ont proposé aux propriétaires de récupérer... le cadavre de Neko. «Je ne comprends pas: on ne pouvait pas descendre pour sauver notre chat vivant, mais il est maintenant possible de le récupérer mort.» Georgia et sa fille ont «fermement» refusé cette proposition.
Trois semaines plus tard, les réseaux s'emparent de l'affaire et la tragédie prend une ampleur émotionnelle nationale. Devait-on, pouvait-on sauver Neko? Internet est tiraillé, même s'il est difficile de trouver des défenseurs de la SNCF. D'un côté, certains spécialistes ferroviaires brandissent «procédures officielles» et démarches «compliquées». Sur Twitter, en prenant le cas d'un «doudou tombé sur les voies», un cheminot explique, par exemple, que «pour un conducteur, ça passe par une procédure PERS. C’est un document que le conducteur doit remplir avec le poste d’aiguillage. Cela garanti qu’il n’y aura pas de train qui arrive sur l’autre voie.» Résultat, insultes et menaces de mort en message privé.
Car, de l'autre côté du dilemme, se trouve l'émotion, qui parasite souvent toute réflexion rationnelle.
La SNCF aurait «pu faire peur au chat», il se serait «tiré en moins de deux». Il fallait le sauver d'une manière ou d'une autre «car leurs trains sont toujours en retard de toute façon». La fondation Brigitte Bardot est montée au créneau, suivie de près par le multimilitant le plus médiatisé de France, Hugo Clément.
Honte aux employés de @GroupeSNCF qui ont refusé d’attendre quelques minutes que ce chat ait été récupéré avant de faire redémarrer le train. Les cruautés sur animal de compagnie, et bien sûr la mise à mort, sont interdites par la loi. Là rien n’a été fait pour éviter le pire. https://t.co/bPgAvCHJ1M
— Aymeric Caron (@CaronAymericoff) January 20, 2023
Lundi, la Fondation 30 Millions d'Amis est allée encore plus loin, en portant plainte contre la SNCF pour acte de cruauté. Selon elle, «l’animal était en règle puisque ses maîtresses s’étaient acquittées d’un billet pour qu’il puisse voyager en toute légalité. C’est donc un passager de la SNCF qui a été sciemment écrasé!»
Le sujet est sensible. Sans doute trop pour que les CFF se prononcent sur le déroulement exact de l'accident. Contacté par watson, le porte-parole Frédéric Revaz nous dit aussi qu'il n'est «pas non plus possible» pour les CFF «de spéculer à ce sujet».
En revanche, un conducteur de train suisse nous a offert son sentiment, après avoir bien précisé que, pour l'heure, nous n'avons que le son de cloche précis des maîtresses de l'animal. Le professionnel est du même avis que son confrère de la SNCF: «Dans l'ensemble de l'affaire, je pense sincèrement que ce chat aurait pu être sauvé 1000x plutôt que de se faire ouvrir en deux devant sa propriétaire.» Et s'il avait été au manettes du train?
(Très) maigre consolation, Georgia et Melaïna ont pu prendre le train suivant... aux frais de la SNCF. En pleine période de grève(s) et compte tenu de la réputation déjà fragile de la société de transport, on pourrait aujourd'hui penser qu'un retard d'une petite demi-heure pour sauver Neko aurait été moins dommageable que de le sectionner froidement sous les yeux de ses maîtresses.