Le crématorium du village Krazna Zorka, en Crimée, tourne à plein régime. Des soldats russes morts y sont brûlés 24 heures sur 24 afin de dissimuler les pertes subies par l'armée du Kremlin. C'est, du moins, ce qu'affirme mercredi l'Etat-major général ukrainien dans son rapport quotidien, citant «une file constante de 10 camions apportant des cadavres», dont aucune image n'a été diffusée.
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Au premier abord, l'information semble crédible. Moscou ne communique que très rarement sur ses morts, et ne reconnaît toujours pas officiellement être impliquée dans une guerre, particulièrement sanglante par ailleurs.
Pas plus tard que ce dimanche, les services secrets britanniques ont déclaré que, ces deux dernières semaines, la Russie a souffert de son plus haut taux de pertes depuis les premières phases de l'invasion, avec une moyenne de 824 victimes par jour. Plus de 60 000 soldats russes auraient déjà perdu la vie, selon les dernières estimations du renseignement américain, datant de fin janvier.
Pourtant, ce n'est pas la première fois que la Russie est accusée de recourir à des crématoriums pour cacher ses pertes. Des rumeurs de ce type ont circulé à plusieurs reprises depuis le début de l'invasion, sans qu'il n'ait jamais été possible de les confirmer de façon sûre. Ou de les infirmer.
C'est la conclusion à laquelle est arrivé le site de fact-checking Snopes, qui qualifie ces accusations de «pas prouvées». Retour sur une rumeur persistante.
Cette rumeur a commencé à se propager avant même que les premiers chars russes ne franchissent la frontière ukrainienne. Le 23 février, soit un jour avant le début de l'invasion, le Telegraph britannique rapportait que l'armée du Kremlin était accompagnée de crématoriums mobiles, censés brûler les corps des soldats morts au combat pour cacher ses pertes. L'article était accompagné d'une très macabre vidéo montrant un camion équipé d'un incinérateur.
Le ministre de la Défense, Ben Wallace, affirmait dans les colonnes du Telegraph que la Russie avait déjà utilisé cette technique auparavant. «Si j’étais un soldat et que je savais que mes généraux avaient si peu confiance en moi qu’ils me suivaient sur le champ de bataille avec un crématorium mobile (...), je serais profondément, profondément inquiet», avait-il commenté.
La vidéo en question ne datait pas de fin février. Il suffit d'une rapide recherche sur Youtube pour tomber sur les mêmes images, publiées en 2015. On y retrouve la même accusation, mais cette fois-ci relative à la guerre dans le Donbass. A l'époque, le chef de la sécurité ukrainienne avait affirmé que sept crématoriums mobiles avaient été amenés dans la région de Donetsk.
L'équipe de Snopes a identifié la source de la vidéo, qui date, en réalité, de 2013. Il s'agit d'une publicité d'une entreprise russe, à l'origine du fameux «crématorium mobile». Celui-ci est présenté comme «une installation unique de destruction thermique de déchets biologiques».
Cela n'a pas empêché aux images du camion de ressortir plus tard, cette fois-ci dans le contexte du siège de Marioupol. Le 7 avril, Vitali Klitschko a affirmé sur Twitter que la Russie utilisait des crématoriums mobiles pour couvrir les traces de ses crimes de guerre. Pour prouver ses dires, le maire de Kiev avait accompagné le tweet d'une image: une capture d'écran de la même vidéo de 2013.
Tout cela ne veut pas dire que les accusations sont forcément fausses, souligne TF1, mais qu'il n'existe pas d'images permettant d’attester de l'utilisation d'incinérateurs mobiles en Ukraine par l’armée russe.
Et puis, en novembre, l'armée russe est de nouveau accusée de brûler ses morts. Pas à l'aide d'incinérateurs sur roues; cette fois-ci, la méthode serait plus pratique. Les corps seraient rassemblés dans une décharge à ciel ouvert de la région de Kherson, et incendiés. C'est ce que les habitants de la région ont assuré au reporter du Guardian.
Les résidents n'ont pourtant rien vu, la décharge étant strictement surveillée par les soldats russes. Le reporter non plus, car, après la libération de ville, les envahisseurs ont probablement miné la zone, ce qui rendait une vérification directe trop dangereuse.
Les dernières affirmations de l'Etat-major ukrainien s'inscrivent donc dans ce contexte un peu flou, où rien ne peut être affirmé avec certitude, encore plus si les accusations émanent d'un belligérant.
Remarquons finalement que l'armée russe n'a pas forcément besoin de brûler ses morts pour les cacher. Lors de conversations téléphoniques interceptées, des soldats racontaient que leurs camarades tués étaient entassés dans des fosses communes.