Pour l'œil averti, ils étaient là depuis le début du conflit. Mais pour de plus en plus d'observateurs amateurs de la guerre, c'est depuis quelques semaines qu'on remarque, dans des vidéos et des photos du conflit, ces curieuses armes à l'air futuriste.
Ce sont des fusils anti-drones. Leur présence sur le champ de bataille ukrainien est destinée à augmenter en parallèle à l'intensification de l'utilisation de ces engins par les deux armées, pour des buts de combat ou d'observation.
La semaine dernière, le compte Twitter de la Défense ukrainienne, toujours prompt à poster mèmes, images de combat et autres salves acerbes et ironiques contre Poutine, a publié une photo d'une petite escouade de soldats anti-drones.
Dronebusters.
— Defense of Ukraine (@DefenceU) November 2, 2022
They're Here To Save The World pic.twitter.com/CjEFcXE1WW
L'un d'eux tient une antenne de brouillage dans chaque main. Il est accompagné de deux opérateurs qui portent des écrans de contrôle de drones, tandis qu'un autre engin trône fièrement au premier plan. Pour l'illustration, derrière eux, trois petits appareils volent de manière stationnaire.
Une photo de propagande soft telle que l'armée ukrainienne en inonde le net depuis des mois. Mais surtout, elle démontre l'intégration croissante de ce genre d'unités de chaque côté des belligérants. Du côté russe, des engins similaires existent aussi, bien que les modèles soient différents.
Russian Rosgvardia soldier carrying a Russian Stupor man-portable drone jammer in Energodar, #Zaporizhzhya #Ukraine #UkraineWar #Kherson pic.twitter.com/gh3TKqOyP0
— UkraineNews (@Ukraine66251776) October 19, 2022
Ces armes sont en fait des brouilleurs montés sur des chassis de fusils, parfois avec une crosse et une poignée. Les fusils anti-drones ne datent pas d'hier. Mais leur utilisation sur le terrain s'intensifie bel et bien, explique Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse:
Elles sont utilisées pour contrer les UAV, comme on dit dans le jargon militaire, pour unmanned aerial vehicle, un «véhicule aérien sans équipage». Ce ne sont pas les seuls: comme l'a démontré l'attaque ukrainienne contre la flotte russe à Sébastopol, des drones marins sont aussi en train d'être déployés dans le conflit.
«Il s'agit d'un système brouillant la réception des ondes électromagnétiques», nous explique l'expert Markus Höpflinger, directeur du Centre suisse des drones et la robotique (CSDR) chez Armasuisse, le centre technologique du Département fédéral de la défense (DDPS).
Ces ondes électromagnétiques perturbent la communication entre le pilote et le drone ainsi que la réception des signaux de navigation par satellite (GPS). Pour ce faire, l'opérateur oriente le fusil et l'antenne vers le drone et déclenche celle-ci, via un bouton ou une détente.
Il faut maintenir l'arme en direction du drone pour que l'effet perdure, ce qui peut être difficile en fonction de l'environnement, notamment si le drone passe derrière des obstacles (des arbres, un rocher, etc), explique Markus Höpflinger. Des capteurs ou des observateurs de l'espace aérien peuvent aussi aider à localiser l'engin.
Pour ce faire, la fréquence utilisée par le drone joue un rôle important et doit être identifiée au préalable, nous confirme Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse:
«Certains drones plus rapides, comme les Shahed iraniens, sont difficiles à intercepter, mais ça reste possible», explique l'expert.
Selon Markus Höpflinger, la portée de ces fusils anti-drones va de 500m à 1 kilomètre. L'efficacité du brouillage va aussi dépendre de la distance entre le drone ennemi et son pilote.
Sa position dans l'espace ainsi que le contrôle précis de son altitude seront impactés. Le but est de compliquer la conduite du drone par son pilote jusqu'à ce que celui-ci perde le contrôle.
Le pilote peut, toutefois, configurer la manière dont le drone réagit en cas de rupture de liaison. Les drones multicoptères (avec les hélices) peuvent par exemple:
... une solution qui peut d'ailleurs permettre de localiser l'ennemi.
Toutefois, l'efficacité de ces outils est limitée. En effet, le brouillage doit être effectué dans la gamme de fréquences correspondante. Si le drone communique avec des fréquences qui ne sont pas couvertes par le brouilleur ou navigue de manière autonome, l'arme perd complètement de son efficacité.
De plus, un risque de dommage collatéral reste présent, en déstabilisant ses propres drones dans la zone ou, par exemple, l'équipement électronique d'un hélicoptère allié à proximité.
Et encore faut-il bien utiliser ces armes sur le champ de bataille:
«Mais c'est un peu une arme du pauvre», tient à préciser Julien Grand. «Leur portée et leur efficacité sont de quelques kilomètres. Avec un essaim de 20 ou 25 drones qui attaque, il est difficile de tous les intercepter sans en laisser passer un seul.»
Et de préciser: «Et toucher un drone au fusil, c'est possible, mais difficile. Ce sont de petites cibles qui peuvent bouger rapidement.»
La meilleure méthode pour contrer les drones? Utiliser des «brouilleurs omnidirectionnels», qui fonctionnent à 360°, nous indique Markus Höpfinger. Un tel système analyse les signaux électromagnétiques de l'environnement, détecte et identifie les drones, ce qui permet un brouillage ciblé et automatisé.
Ces antennes, souvent montées sur des véhicules, «ont une portée théorique de plusieurs kilomètres». D'autres, fixes, sont également utilisés sur des infrastructures sensibles, civiles comme militaires, telles que des aéroports ou des centrales nucléaires.
Selon l'expert, ces antennes utilisées pour brouiller les signaux des drones sont fabriquées aussi en Suisse par des entreprises privées. Car de nombreux constructeurs se sont profilés sur le créneau de cette technologie.