Volodymyr Zelensky n'a attendu que quelques heures après le début de l'invasion russe de l'Ukraine pour abandonner son costard et se glisser dans un T-shirt kaki. Cette tenue militaire, qu'il n'a plus abandonnée depuis, y compris lors de ses récentes visites à l'étranger, est sans doute devenue l'une des images marquantes de cette guerre.
Ce choix vestimentaire a rapidement été adopté par d'autres responsables politiques ukrainiens, du ministre de la Défense Oleksiy Reznikov au premier ministre Denys Chmyhal, en passant par le très bavard conseiller présidentiel Mykhaïlo Podoliak.
Si les vêtements kaki se multiplient dans les couloirs de Kiev, il semblerait que cette habitude a désormais traversé les frontières ukrainiennes. Ces derniers mois, le ministre anglais de la Défense Ben Wallace s'est affiché à plusieurs reprises habillé d'une grosse veste de l'armée britannique, tout comme son homologue allemand, Boris Pistorius.
Les vêtements militaires semblent donc faire leur retour dans l'univers politique occidental, jusqu'à présent dominé par l'austère costard-cravate. C'est également ce que pense Alexandre Eyries, Enseignant-chercheur HDR en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université de Lorraine:
«En portant une veste de treillis dans leurs interventions publiques, les ministres de la Défense britannique et allemand affirment leur rôle de premier plan dans le conflit», développe le chercheur. «Il ne s'agit pas seulement d'une fonction diplomatique, mais également militaire, les deux pays ayant envoyé une grande quantité d'armes à Kiev.»
En effet, ces vêtements militaires ont commencé à surgir à peu près au moment où l'aide militaire anglaise et allemande franchissait une étape supplémentaire avec l'envoi des chars d'assaut Leopard et Challenger. «Avec leurs tenues, ces ministres matérialisent et légitiment le rôle de leurs pays respectifs dans la guerre et montrent qu'ils ne sont pas uniquement des diplomates», complète Alexandre Eyries.
Plus encore que la guerre, faut-il voir dans ces choix vestimentaires une volonté d'émulation, voire un «effet-Zelensky»? «Dans l’imaginaire collectif, le président ukrainien s’est imposé comme chef de guerre, ce qu’il n’était pas à l'origine, étant donné qu'il n'avait aucune expérience militaire avant le conflit», explique Alexandre Eyries. «Il a imposé une marque de fabrique qui a fait école chez d’autres responsables politiques en Europe.»
Cela ne veut pas dire pour autant que Ben Wallace ou Boris Pistorius essayent de jouer un rôle de chef de guerre qui n'est pas le leur. Pour Alexandre Eyries, leurs choix vestimentaires sont tout à fait légitimes: «Ces ministres ne portent pas ces vêtements pour être perçus comme des militaires de carrière: ce n'est pas comme si une personne s'habillait en médecin sans avoir fait la moindre étude: il n’y a pas d’abus de titre».
De plus, poursuit le spécialiste, «en tant que ministre des armées, le ministre de la Défense incarne la défense du territoire national».
Défense de la nation, voire de l'Europe, légitimation de l'aide militaire; faut-il voir également dans la veste militaire un lien avec la virilité? Oui, selon le chercheur: «Cet éthos vestimentaire participe à une affirmation de la virilité».
Parallèlement, continue Alexandre Eyries, la virilité a une dimension ambivalente dans ce contexte: elle est une posture adoptée à des fins très précis. «En se montrant viril, en montrant qu’il n’a pas peur et qu'il ne doute pas, Zelensky affirme que l’Ukraine ne se rendra pas, qu’elle arrivera à libérer son territoire et à gagner la guerre», explique-t-il. «C’est une forme de solidité et de stabilité rassurante pour les troupes.»
Une chose est sûre: la ministre espagnole de la Défense Margarita Robles ou sa collègue néerlandaise Kajsa Ollongren, dont les pays ont également contribué à l'effort de guerre en Ukraine, n'ont pas encore franchi le pas.