Les habitants de Kherson ont été avertis: ceux qui n'auront pas accepté un passeport russe d'ici le 1er juin 2023 seront «déportés», et leurs biens seront saisis. C'est ce qu'affirme lundi le ministère britannique de la Défense dans son rapport quotidien. Ce faisant, Moscou cherche à «accélérer l'intégration des régions occupées dans la bureaucratie étatique, dans le but de présenter l'invasion comme un succès».
Dans ce contexte, les passeports sont utilisés comme un outil de «russification», poursuit le ministère. Ce n'est pas le seul. Deux jours plus tôt, le groupe de réflexion américain «Institute for the Study of War» (ISW) rapportait que les autorités d'occupations continuaient d'«opprimer» les catholiques vivant dans les régions contrôlées par Moscou. Eglises fouillées, prêtres emprisonnés, car accusés de cacher des armes ou de collaborer avec les résistants: ces exactions cachent la volonté de «réduire la concurrence des autres confessions vis-à-vis de l'Eglise orthodoxe russe, affiliée au Kremlin», souligne l'ISW.
Les exemples de russification sont nombreux dans les territoires ukrainiens passés sous le contrôle de l'armée du Kremlin. Avant que la ville de Kherson soit libérée, les occupants y avaient introduit leur monnaie, leurs médias et leurs services internet. A Marioupol, les panneaux routiers ont été substitués, et sont désormais en russe.
Il s'agit donc d'une stratégie délibérée, qui constitue «la plus grande menace à long terme pour la stabilité de l'Ukraine». C'est l'avertissement lancé par le think tank basé à Washington «Middle East Institute» (MEI) dans un récent rapport sur le sujet.
Comme le ministère britannique de la Défense le remarque également, ce n'est pas une nouveauté: Moscou se sert de cette stratégie depuis 2014, en Crimée et dans les régions du Donbass contrôlées par les rebelles prorusses. Depuis le début de l'invasion en février 2022, les choses ont pourtant changé, affirme le MEI.
En 2014, la Russie a appliqué une approche «subtile». Le Kremlin a essayé de déstabiliser le régions ciblées de l'intérieur. En exploitant la corruption endémique gangrenant le pouvoir ukrainien et la confusion provoquée par les protestations de l'Euromaïdan, Moscou a réussi à éviter les affrontements directs avec les forces de Kiev. Poutine s'est appuyé sur les séparatistes et a ainsi pu maintenir un certain niveau de «déni plausible». Maintenant, c'est différent:
Moscou contrôle actuellement un peu plus de 16% du territoire ukrainien, soit 100 490 km2, ce qui correspond à plus de deux fois la taille de la Suisse. Le 30 septembre 2022, quatre territoires ont été annexés à la Fédération de Russie, même si l'armée russe ne les contrôlait pas dans leur intégralité: les régions de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia.
Dans tous ces territoires, la stratégie de russification a été caractérisée par «des niveaux extrêmes de dureté et de violence à l'égard de la population locale», poursuit le MEI. Les principales pratiques que le centre de réflexion a répertoriées sont les suivantes:
Ces pratiques mettent en lumière la tentative russe de colonisation de l'Ukraine, commente le MEI. La russification poursuit l'objectif suivant: «Modifier les régions ukrainiennes et la population locale pour qu'elles ressemblent davantage à la Russie». Et d'ajouter:
Plus concrètement, la russification des régions occupées risque de compliquer la tâche des forces ukrainiennes en vue de leur éventuelle libération. Le MEI détaille: «Les déportations forcées, les enrôlements illégaux dans l'armée russe et les nombreuses autres violations commises à l'encontre de la population locale» rendent impossible la formation de tout mouvement clandestin de résistance, qui peut contribuer de manière significative à la libération d'une zone urbaine occupée.
Et même si l'Ukraine parvient à libérer tous ces territoires, leur réintégration et leur reconstruction prendront des années. La transition s'annonce également tendue, le danger de conflit interne réel. Pour toutes ces raisons, estime le MEI, l'occupation russe devrait constituer la première priorité des alliés occidentaux de Kiev sur le long terme.