Lorsque Monika Hauser parle des femmes qui ont subi des violences sexuelles, elle prend soin de respecter les subtilités linguistiques:
La Suissesse soutient les femmes et les enfants maltraités pendant la guerre. Depuis 30 ans, cette gynécologue lutte contre la violence sexualisée, qui n'est pas seulement courante dans les situations de guerre. C'est justement parce que la violence sexualisée est également très répandue en temps de paix qu'elle est encore plus massive en temps de guerre, explique-t-elle.
«Arrêtez de présenter les femmes comme des victimes, après tout, ce sont les hommes qui vont à la guerre» - des commentaires comme celui-ci nous sont parvenus lorsque nous avons évoqué la manière dont les femmes sont menacées dans les guerres. Ce récit vous est-il familier?
Monika Hauser: Je ne peux absolument pas comprendre ce discours. Ce sont en grande partie des hommes qui déclenchent des guerres pour asseoir leur pouvoir, et c'est toute la population civile qui en souffre. Les femmes vivent elles aussi la terreur de la guerre. Elles courent un risque extrêmement élevé de subir des violences, à l'intérieur du pays, mais aussi dans des pays prétendument sûrs où elles se réfugient.
Minimiser cette réalité est une réaction typique pour ne pas avoir à aborder ce sujet douloureux. Une réaction qui dévalorise extrêmement les femmes.
Pourquoi y a-t-il des violences sexualisées dans les guerres?
Cela n'a rien à voir avec le sexe, mais avec la violence et le pouvoir. C'est pourquoi Medica mondiale ne parle pas de violence sexuelle, mais de violence sexualisée, afin de mettre en avant le caractère de la violence et non le plaisir sexuel. La violence sexualisée ne se produit pas seulement dans la guerre. C'est justement parce que la violence sexualisée est également répandue en temps de paix qu'elle est encore plus massive en temps de guerre.
Pourquoi est-ce que les soldats démontrent leur pouvoir de cette manière?
Les hommes sont violents à la guerre parce qu'ils ont déjà du mépris pour les femmes à la maison. Cela est fortement lié aux structures patriarcales que nous connaissons dans la plupart des sociétés. Pour moi, il est toujours important de ne pas seulement considérer le contexte de la guerre, mais aussi les structures patriarcales dans lesquelles une grande violence est exercée sur les femmes et les filles. Dans un contexte de guerre, les hommes pensent qu'ils peuvent prendre ce qu'ils veulent parce qu'il n'y a pas de restrictions. La sécurité publique s'effondre, la police et les forces de l'ordre ne fonctionnent pas comme avant.
Quel message ces violences envoient-elles?
Cette stratégie vise à humilier les adversaires et à détruire la cohésion sociale d'une société. Et si cette force de destruction est aussi grande, c'est parce que les valeurs sont similaires dans les deux camps: chez l'agresseur comme chez le père ou le frère de la victime, l'honneur de l'homme et de la famille est lié à la pureté de la femme. C'est pourquoi, outre les traumatismes psychologiques, la stigmatisation sociale est forte.
Le viol est-il délibérément utilisé comme arme de guerre?
Chez Medica mondiale, nous évitons d'utiliser le terme «arme de guerre».
Pourquoi?
Durant la guerre en ex-Yougoslavie, les viols ont été considérés comme des dommages collatéraux, parfois même comme des peccadilles. Le viol est un élément stratégique de la guerre. Mais parler «d'arme de guerre» rétrécit le champ de vision et ignore l'ampleur de la violence qui se produit indépendamment de l'action directe de la guerre, dans l'environnement proche, dans les abris, lors de la fuite. Les femmes sont exposées à ces violences sexualisées en dehors du champ de bataille – ce qui augmente les risques.
Durant la guerre, est-ce qu'on donne l'ordre d'infliger ces violences?
Les soldats n'ont pas besoin d'ordres pour savoir que leur commandement tolérera tacitement les crimes contre les droits de l'homme.
Cette stratégie de guerre est aussi vieille que la guerre elle-même. Là où des crimes de guerre graves sont perpétrés, des viols de masse ont également lieu. Ces crimes sont souvent documentés, mais il est difficile de les prouver juridiquement. Cela permet aux auteurs de se sentir en sécurité et de ne pas craindre de poursuites judiciaires.
Les dirigeants russes ne sont pas avares de déclarations misogynes. Par exemple, Vladimir Poutine a cité publiquement la phrase d'une chanson dans laquelle une femme est abusée: «Que cela te plaise ou non, ma belle, tu dois le subir». Encourage-t-il ainsi les soldats à commettre des violences sexuelles?
Il n'encourage pas seulement les soldats, mais aussi toute une société. En rendant hommage aux soldats russes qui ont torturé, tué et violé à Boutcha, il a fait passer à son peuple un message sans équivoque: il est légitime de faire cela. On est même honoré pour cela.
Armes, tanks, combats, soldats: ces thèmes dominent dans la guerre. Pourquoi entend-on relativement peu parler des femmes traumatisées par la guerre?
Par expérience, Medica mondiale reçoit de nombreuses demandes d'interviews à la suite d'événements majeurs, par exemple la prise pouvoir des talibans, lors desquels les femmes subissent des violences avant, pendant et après. Pourtant, on ne parle guère de cette thématique. Elle ne semble pas intéressée.
Suite à la couverture médiatique des viols de masse pendant la guerre en Yougoslavie, vous vous êtes rendue, en 1992, en tant que gynécologue en Bosnie pour aider les femmes concernées. Etait-ce une réaction à chaud?
Non. A l'époque, je travaillais comme gynécologue dans un hôpital allemand. Déjà à l'époque, j'avais été confrontée au thème de la violence sexualisée et j'avais réalisé à quel point les femmes étaient souvent victimes de violences. Ce qui leur était fait pendant la guerre me mettait en colère, tout comme le type de reportage qui se concentrait uniquement sur des représentations sensationnelles. Elles étaient maltraitées une deuxième fois à travers ces reportages. Je sentais que je devais m'en mêler et apporter un ton différent. Je me suis renseignée auprès de diverses organisations d'aide allemandes, qui m'ont fait comprendre, sans complaisance, ce qu'il en était: ce sont des musulmanes violées, on ne peut de toute façon plus les aider.
Vous êtes donc partie en zone de guerre?
Je me suis rendue début 1993 en camion à Zenica, dans le centre de la Bosnie. En raison du tracé de la ligne de front, j'ai dû emprunter de nombreux chemins forestiers. Au milieu de la zone de guerre, à Zenica, j'ai trouvé des femmes spécialisées qui étaient prêtes à monter avec moi un centre de thérapie. Vingt se sont associées à moi, dont beaucoup étaient infirmières, médecins ou psychologues, pour s'occuper des femmes tombées enceintes à la suite d'un viol. Les interruptions de grossesse n'étaient pas autorisées (dans un premier temps).
Les femmes qui travaillaient à l'hôpital tenaient donc également à créer un lieu où les femmes et les enfants traumatisés se sentent pris en charge. Tout est allé très vite. Nous avons construit un centre de thérapie et chaque mois, une nouvelle partie du projet s'ajoutait: un jardin d'enfants pour les enfants réfugiés gravement traumatisés, un centre de documentation où nous consignions tout ce qui nous était rapporté, et ainsi de suite.
Comment les femmes ont-elles découvert le centre?
Nous avons fait beaucoup de travail médiatique et d'information pour sensibiliser la population, afin que les femmes ne soient pas stigmatisées et exclues. Nous nous sommes rendus dans les zones de front pour parler aux femmes dans les centres d'accueil pour réfugiés. Nous nous sommes également rendus sur la ligne de front croate, car nous savions que de nombreuses femmes s'y cachaient. Il était important pour nous de faire passer le message que chacune a le droit d'être soutenue pour retrouver sa place au sein de la société. Nous avons développé des concepts pour permettre à celles traumatisées par la guerre – ainsi qu'à leurs enfants – de revenir à la vie pendant la guerre.
Quelles sont les conséquences de la violence sexualisée?
Les personnes concernées ne peuvent pas parler de ce qui leur est arrivé. Elles sont souvent gravement traumatisées. Elles ne font plus confiance à personne et développent des troubles relationnels. Le traumatisme devient rapidement chronique si la personne n'est pas suivie par un spécialiste. Les troubles liés au stress peuvent être transmis à l'enfant, par la mère comme par le père.
De quelle manière?
Sans un soutien approprié, il est impossible de surmonter les expériences vécues. Si elles ne sont pas traitées, les conséquences perdurent et s'inscrivent profondément dans la vie des personnes concernées.
C'est le cas pour les enfants et petits-enfants dans les familles dans lesquelles le viol a été passé sous silence ou est tabou. Cela vaut également pour les enfants qui ont été témoins de violences sexuelles ou conçus à la suite d'un viol. Les victimes de viol ont souvent du mal à se rapprocher émotionnellement de leurs enfants et d'autres personnes proches. D'un autre côté, cela signifie aussi que si nous renforçons les femmes, cela a un effet préventif sur d'autres traumatismes et d'autres violences. Briser ce cycle est la mission et la préoccupation de Medica mondiale depuis 30 ans.
Les victimes accordent-elles toujours une importance à la justice?
Les femmes du monde entier souhaitent la justice et agissent en ce sens, en Suisse également, malgré le fait qu'il n'y a pas de réelle justice pour les femmes qui ont subi des violences sexuelles. En Suisse, il n'y a que peu de condamnations, donc de nombreuses femmes n'osent pas porter plainte. Elles savent que le procès sera très difficile. De plus, la police et le personnel judiciaires ne sont pas forcément formés pour prendre en charge correctement les personnes ayant subi ce genre de trauma. Il y a un risque d'être re-traumatisé. Mais revenons au sujet: de manière générale, la justice peut se manifester sous des formes très différentes: lorsqu'une femme a été violée et est gravement blessée, la justice peut demander à ce qu'elle soit soignée et opérée à l'hôpital. Des tribunaux peuvent également être créés pour les crimes de guerre, où les coupables seront jugés.
La Cour internationale de justice de La Haye est-elle mieux formée pour traiter ces traumatismes?
Non, là aussi, le système n'est pas encore suffisamment adapté à la prise en charge des femmes traumatisées. Et lorsque les femmes ne se sentent pas bien prises en charge, il est d'autant plus difficile pour elles de ressentir une part de justice. Mais pour beaucoup d'entre elles, la justice peut aussi consister en une réintégration au sein de la société. La justice peut se manifester non seulement par l'aide médicale, et ce dans le but de survivre, mais aussi par l'aide sociale, afin d'obtenir une reconnaissance et une place dans la société.
Y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement touchée?
En Bosnie, de nombreuses femmes étaient veuves. Toutefois, les maris de certaines d'entre elles avaient survécu à la guerre. Un jour, l'un d'eux est venu nous voir au centre de thérapie pour femmes Medica Zenica. Sa femme a été violée à plusieurs reprises pendant sa captivité en Bosnie orientale. Elle ne parlait plus, ne mangeait plus, ne jouait plus avec les enfants. Elle ne faisait que végéter. Elle ne voulait plus vivre. Mais son mari n'a rien lâché et a fini par demander conseil au centre de thérapie. Après quatre mois d'accompagnement au centre, elle a repris goût à la vie et trouvé de la force pour sa famille.
Qu'est-ce qui vous motive à faire et à poursuivre ce travail?
A l'âge de 12 ans, ma grand-mère m'avait raconté comment elle était tombée enceinte à la suite d'un viol et comment elle avait été mariée de force à l'homme qui lui avait fait ça. Cela m'a motivée très tôt à m'engager sur cette problématique.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)