Les conseils de ce général ukrainien vont intéresser l'armée suisse
En novembre 2023, alors qu’il dirigeait encore l’armée ukrainienne, Valeri Saloujny a fait sensation dans le monde entier avec un article publié dans The Economist. Il y analysait l’échec de l’offensive d’été et exposait comment, grâce à des ajustements stratégiques et technologiques, la guerre contre la Russie pouvait encore être gagnée.
Depuis fin 2023, la guerre a pris un autre tour. Le général quatre étoiles, aujourd’hui ambassadeur à Londres et souvent cité comme potentiel successeur de Volodymyr Zelensky, a donc repris la plume.
Son constat, publié sur le portail en ligne ZN, est limpide: si le conflit n’a pas totalement rompu avec les logiques classiques de la guerre de positions, il s’est transformé en un système de combat hautement interconnecté, technologique, et donc encore plus brutal.
Une guerre de drones
L’élément décisif est l’usage des drones, de plus en plus autonomes grâce à l’intelligence artificielle, et donc de plus en plus meurtriers. Valeri Saloujny constate:
Les engins peuvent être utilisés pour effectuer des frappes, ou alors pour partir en reconnaissance et savoir où envoyer les missiles.
Selon lui, les milliers de drones, radars et capteurs transforment le champ de bataille en une «zone de mort» qui s’étend sur plus de 20 kilomètres derrière la ligne de front. Il écrit:
Quand les soldats se regroupent, ils s'exposent à une mort quasi certaine, selon Saloujny. Les méthodes de protection traditionnelles, comme les tranchées ou les gilets pare-balles, s’avèrent inefficaces face aux essaims de drones. Même les convois, dépôts logistiques, réserves ou zones de rassemblement à l'arrière ne sont plus sûrs. La distance avec la ligne de front n’offre plus de réelle protection.
Les points à retenir
De ce constat, l’ex-chef d’état-major tire plusieurs conclusions:
- Tout d'abord, malgré la robotisation, l’infanterie demeure l’épine dorsale tactique du front. Elle doit être couverte par une défense anti-drones décentralisée, autant que possible soutenue par l’intelligence artificielle. La formation et les tactiques doivent aaussi être adaptées aux réalités du front, avec de petites unités autonomes, capables de résister à l’isolement, de réagir rapidement et de s’ajuster aux évolutions technologiques.
- Il faut également stimuler la technologie au niveau national. Face à une armée russe qui innove sans cesse, l’Ukraine doit lancer des programmes de recherche ciblés, mobiliser massivement ses experts en logiciels et en semi-conducteurs, sécuriser ses chaînes d’approvisionnement en microprocesseurs et renforcer ses alliances scientifiques avec l’Occident.
- Le général ukrainien recommande finalement de réduire la dépendance aux puces électroniques étrangères. La concentration de la production mondiale aux Etats-Unis, en Chine et à Taïwan est l’un des points les plus critiques pour Kiev. Valeri Saloujny va jusqu’à suggérer que l’Occident mette à profit «les capacités uniques» d’institutions comme le Cern, à Genève, pour des usages militaires, une idée qui ne manquera pas de faire grincer des dents dans un centre de recherche fondamentalement civil du plus grand accélérateur de particules au monde situé sous la Cité de Calvin.
La technologie comme clé de voûte de la guerre
Sa conclusion est sans appel: seules l’innovation militaire, l’initiative technologique et l’adaptation permanente des forces armées permettront à l’Ukraine de survivre. De simples percées tactiques isolées, comme l’attaque contre la région de Koursk en 2024, se sont révélées trop coûteuses.
L’analyse de Valeri Saloujny dépasse toutefois les frontières ukrainiennes. Elle adresse un avertissement clair à la Suisse et aux armées occidentales: le champ de bataille devient toujours plus transparent, connecté et létal. Les concepts traditionnels de protection, de zones de repli ou de concentration des troupes sont obsolètes. Ignorer cette réalité, c’est s’exposer à des pertes humaines énormes, à des erreurs stratégiques et à l’échec de sa propre défense.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder