Au cours des derniers mois, Bakhmout s'est vu attribuer le sombre surnom de «hachoir à viande», en raison du grand nombre de soldats y ayant péri. C'est autour de cette ville que se concentre actuellement le gros des combats entre Russes et Ukrainiens. Des combats d'une intensité et d'une violence extrêmement élevées.
Les deux parties ont admis avoir subi des pertes importantes à Bakhmout au cours des derniers mois, mais le nombre exact de victimes est difficile à vérifier de manière indépendante. Notamment quand ce sont les belligérants eux-mêmes qui avancent des chiffres.
Dimanche soir, par exemple, Volodymyr Zelensky a affirmé que plus de 1100 soldats russes avaient été tués à Bakhmout en moins d'une semaine, du 6 au 12 mars. Le président ukrainien a également mentionné plus de 1500 «pertes sanitaires», soit des combattants ennemis suffisamment blessés pour ne pas être en mesure de poursuivre les combats.
Le même jour, renchérissait un porte-parole de l'armée ukrainienne, 239 soldats russes avaient été tués et 293 avaient été blessés dans le secteur en l'espace de 24 heures.
Ces déclarations officielles font écho à celles formulées par les autorités russes. Dimanche toujours, le ministère de la Défense affirmait sur Telegram que plus de 220 militaires ukrainiens avaient été tués au cours de la journée écoulée. Pendant le seul mois de février, Kiev aurait perdu 11 000 soldats, assurait il y a quelques jours le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou.
Des responsables occidentaux ont déclaré à la BBC qu'ils ne confirmaient pas les chiffres avancés par Choïgou. Si les bilans diffusés par la Russie sont accueillis avec méfiance en Occident, les estimations ukrainiennes sont tout aussi problématiques.
Il est généralement admis que les deux belligérants avancent des chiffres non crédibles. Dans leurs bilans, les deux pays ont en effet tendance à sous-estimer leurs propres pertes, tout en gonflant celles subies par l'ennemi. «La raison est compréhensible», nous expliquait fin janvier l'expert militaire Alexandre Vautravers.
Les autorités ukrainiennes diffusent tous les jours, depuis bientôt une année, une liste des pertes subies par les Russes. La dernière mise à jour, datant de ce lundi, fait état de près de 160 000 soldats ennemis tués, un chiffre «sans doute exagéré», selon Alexandre Vautravers.
"Life is a storm, my young friend. You will bask in the sunlight one moment, be shattered on the rocks the next. What makes you a man is what you do when that storm comes."
— Defense of Ukraine (@DefenceU) March 13, 2023
Alexandre Dumas
Total combat losses of the enemy from February 24, 2022 to March 13, 2023: pic.twitter.com/IKA52QgZlE
Les services de renseignement de plusieurs pays occidentaux, dont notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège, diffusent également des estimations sur les pertes militaires en Ukraine, des bilans qui sont considérés comme plus fiables. Les derniers chiffres révélés au public datent déjà d'un mois, mais ils permettent néanmoins de saisir l'écart avec les déclarations ukrainiennes.
Le 17 février, le ministère britannique de la Défense a indiqué que les forces russes avaient subi entre 175 000 et 200 000 «pertes» sur le champ de bataille, mot qui comprend les morts, les blessés, les prisonniers et les déserteurs. Le nombre des militaires tués oscillerait, toujours selon Londres, entre 40 000 et 60 000. Le même jour, Kiev faisait état de 141 260 Russes tués. Soit plus du double.
Revenons à Bakhmout. Après avoir établi qu'il faut considérer les déclarations ukrainiennes avec précaution, est-il tout de même possible de savoir combien de soldats russes sont morts en tentant de conquérir cette ville?
Oui. La semaine passée, les mêmes responsables occidentaux ayant remis en doute le bilan formulé par Sergueï Choïgou ont avancé le chiffre suivant: 20 000 à 30 000 soldats russes ont été tués ou blessés depuis le début de la bataille de Bakhmout, qui a démarré en été.
Traditionnellement, le nombre des blessés est le double de celui des morts. Les estimations du ministère de la Défense britannique concernant les pertes totales de la Russie respectent par ailleurs ce ratio. Si on applique cette proportion aux 20 000 à 30 000 victimes dont on vient de parler, cela voudrait dire qu'environ 6500 à 10 000 hommes ont été tués. Les calculs d'un analyste basé à Moscou et ayant des liens avec le ministère russe de la Défense, relayés par le Guardian, confirment notre approximation: 6000 à 8000 soldats russes sont morts à Bakhmout, selon lui.
Remarquons finalement que les pertes sont également très élevées du côté ukrainien. Fin janvier, une source au sein des services secrets allemands révélait au Spiegel que les forces de Kiev subissaient quotidiennement des pertes «à trois chiffres». (asi)