La difficulté de la prospective est particulièrement marquée pour ce conflit car les «surprises» militaires, diplomatiques et stratégiques ont été nombreuses.
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D'un côté, la combativité des forces ukrainiennes, le soutien de l'Union européenne (UE) et des Etats-Unis à Kiev et les difficultés logistiques et tactiques des forces armées russes ont pris Moscou de court. D'un autre côté, la résistance de l'économie russe aux sanctions, l'ampleur des migrations ukrainiennes vers l'Europe, le blocage des instances de l'Organisation des nations unies (ONU) ainsi que le soutien mesuré de la Chine, de l'Inde et de plusieurs pays d'Afrique à la Russie ont surpris les chancelleries occidentales. Trois scénarios majeurs sont aujourd'hui envisageables.
Sur le plan militaire, les forces armées de Moscou lanceraient une nouvelle offensive sur Kiev, comme en février 2022, ainsi que sur le bassin du Don (le Donbass, dont une large partie se trouve toujours aujourd'hui sous le contrôle des Ukrainiens) et sur la province de Kherson afin d'essayer d'obtenir un succès éclatant aux yeux de la population russe. Mais ces attaques échoueraient.
Elle constaterait que son objectif stratégique initial (le changement de régime à Kiev) s'est soldé par un échec. L'Ukraine reprendrait des bastions russes dans le bassin du Don et ferait mouvement vers la Crimée.
Plusieurs facteurs pourraient consacrer cette défaite russe. Sur le plan intérieur, la mobilisation et l'entraînement des réservistes se heurteraient à plusieurs limites:
La réalisation de ce scénario est subordonnée à plusieurs conditions:
Le chef d'état-major ukrainien, Valeri Zaloujny, a exprimé un certain nombre de souhaits en décembre: 300 chars, 600-700 véhicules de combat d'infanterie, 500 obusiers pour la victoire.
Enfin, sur le plan international, ce scénario suppose que la Russie perde la position de force que lui a conférée en 2022 la hausse des prix des produits énergétiques. Il faudrait pour cela que ses clients développent des sources d'approvisionnement alternatives, ce qu'ils ont déjà commencé à faire.
Toutefois, si la défaite russe est d'ampleur, un désordre politique interne pourrait paralyser le leadership russe et instaurer à Moscou un chaos privant le pays de la capacité à s'engager réellement dans des négociations. Pour que de telles négociations soient couronnées de succès, il conviendrait donc tout à la fois que la Russie considère la guerre comme durablement perdue, et qu'elle conserve une chaîne de commandement efficace. Deux points redoutablement durs à traiter seraient le sort de la Crimée et l'avenir de la candidature de l'Ukraine à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). En somme, ce scénario serait l'extrapolation des contre-offensives ukrainiennes réussies d'août à octobre 2022.
La double contre-offensive de l’Ukraine dans le sud et dans le nord-est du pays est pour l’instant un succès. Mais a-t-elle les moyens de remporter une victoire militaire décisive et incontestable ? https://t.co/gtV31FGCt7
— The Conversation France (@FR_Conversation) September 11, 2022
Le scénario inverse consisterait en une série de succès militaires pour la Russie à partir de la fin de l'hiver. Par exemple, la Russie réussirait à reprendre l'essentiel de la province de Kherson, menacerait directement Kiev en pénétrant dans ses faubourgs à partir de la Biélorussie et reprendrait une progression marquée vers le sud-ouest en direction d'Odessa.
Du côté russe, cela supposerait la réussite de plusieurs actions pour le moment infructueuses. Notamment, la mobilisation réalisée à l'automne 2022 serait efficace en matière d'entraînement et correctement utilisée sur le plan tactique. Et les chaînes logistiques russes résisteraient aux difficultés d'approvisionnement sur trois fronts majeurs (nord sur Kiev, est dans le Donbass et sud en direction de Kherson). L'armée russe a déjà disposé de centres logistiques à plus de 80 km de la ligne de front, soit une distance hors de portée des Himars, tirant les leçons de la contre-offensive ukrainienne.
Ces succès déboucheraient sur une victoire nette de la Russie en Ukraine: les annexions illégales dans l'est seraient consolidées, le gouvernement de Kiev (fragilisé et possiblement renversé en raison de l'offensive russe) serait issu de négociations de paix et prendrait une orientation plus ou moins ouvertement pro-russe, l'ouest du pays revendiquerait une forte autonomie avec le soutien de la Pologne, etc. L'objectif stratégique de la Russie serait ainsi atteint: disposer d'une zone tampon avec l'Otan.
Du côté ukrainien, ce scénario du pire pourrait gagner en crédibilité si plusieurs évolutions se constatent:
Sur le plan international, ce scénario suppose un maintien des cours et des exportations de produits énergétiques russes vers l'Asie (Chine et Inde au premier chef); une stratégie de prix de la part des puissances gazières; une mobilisation des réseaux diplomatiques russes pour montrer que le pays n'est isolé qu'à l'ouest; un appui marqué de la Chine face à l'influence américaine; une perte d'influence dans l'UE des gouvernements les plus favorables à l'Ukraine, notamment en Europe du Nord (législatives finlandaises en février) et en Pologne (élections générales à l'automne 2023).
Un troisième type d'évolution pour ce conflit pourrait être caractérisé par l'incapacité des deux protagonistes à prendre l'ascendant sur l'autre sur une période de plusieurs années.
Il se manifesterait par une stabilisation (violente et meurtrière) des grandes lignes de front sur les positions actuelles mais des batailles régulières pour des localités d'importance secondaire, des nœuds routiers, des verrous fluviaux ou des ponts.
De son côté, l'Ukraine pourrait essayer de pousser son avantage à partir de Kherson vers le sud afin de menacer le bastion criméen à l'horizon d'août 2023. Ce scénario n'exclut pas - loin de là - des combats intensifs, des changements de zones de contrôle et des succès limités de part et d'autre. Mais l'équilibre général du conflit ne serait pas modifié, la Russie continuant à contrôler 15% à 20% du territoire ukrainien dans des zones essentielles (Crimée, Donbass, région de Kharkiv) et l'Ukraine démontrant sa capacité à résister sur le long terme.
Plusieurs facteurs pourraient se conjuguer pour faire advenir cette situation. Un «plateau» pourrait être atteint dans l'aide militaire occidentale à l'Ukraine en raison de l'état des stocks et de la nature des armements envoyés sur le front. La combativité ukrainienne pourrait demeurer sans pour autant produire les effets spectaculaires de la fin de l'été 2022 en raison d'une «courbe d'apprentissage» du côté russe, notamment dans l'articulation entre les différentes armées et les autres forces (milices Wagner, Kadyrovtsy).
Côté russe, ce statu quo violent pourrait advenir en raison des limites structurelles de l'outil militaire, manifestées en 2022: rigidité tactique, logistique déficiente, étirement des fronts et des chaînes d'approvisionnement, limites des ressources humaines, culture du mensonge dans les administrations publiques, etc.
Des facteurs exogènes pourraient conduire à un pourrissement militaire et diplomatique. Aucun des deux protagonistes n'est en mesure de faire accepter à sa propre population et à son propre réseau d'alliances l'entrée en négociation sur la base du rapport de force militaire actuel.
Entrer en négociation serait un aveu d'échec pour Vladimir Poutine et le mettrait à risque. Accepter de discuter serait pour Volodymyr Zelensky un renoncement qui lui ferait perdre le soutien très large dont il bénéficie aujourd'hui à l'intérieur et à l'extérieur: un autre leadership devrait se mettre en place et serait vraisemblablement moins soucieux de compromis en raison des coûts irrécupérables de cette guerre.
Dans cette option, l'Ukraine deviendrait en 2023 un nouveau conflit non résolu de l'espace post-soviétique, mais de grande envergure. Cela n'empêcherait pas un durcissement des hostilités, notamment contre les populations civiles ou les prisonniers, bien au contraire.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original