La dernière fois que la petite ville agricole de Houliaïpole, en Ukraine, a vu autant d'armes, c'était il y a 101 ans lorsque l'Armée rouge a affronté les paysans ukrainiens rebelles dirigés par le leader anarchiste Nestor Machno. Depuis des semaines, l'armée ukrainienne rassemble, cette fois-ci sans grand bruit, artillerie et soldats dans la steppe entre Zaporijjia et Donetsk. Car c'est ici, entre les territoires tenus par Kiev et la bande côtière de la mer d'Azov occupée par la Russie, que se situe un front plutôt tranquille, depuis le mois de mars.
Mais après le calme vient la tempête. Jeudi, les Russes ont bombardé la ville qui comptait un peu plus de 13 000 habitants avant l'invasion russe, mais en grande partie désertée depuis le mois de mai. «Seules quelques personnes âgées s'abritent dans les caves sans eau courante ni électricité», raconte Vasil, ancien professeur d'école primaire, au téléphone.
L'armée ukrainienne a choisi les steppes peu peuplées autour de Houliaïpole comme zone de déploiement depuis le nord, vers le centre logistique russe installé à Melitopol, situé à environ 60 km au sud. Si Melitopol, la plus grande ville occupée de la région, tombe, les Ukrainiens auront également la voie libre vers la péninsule de Crimée, annexée en 2014.
Une attaque contre la ville de Kherson, avec ses 150 000 habitants, serait bien plus difficile à maîtriser. Outre la centaine de kilomètres de terre boueuse qui séparent la ville de Melitopol, le fleuve Dniepr – allié naturel des occupants russes – est également une barrière importante. Ces derniers ont en effet rendu inutilisable tous les ponts de la région avant de se retirer des territoires situés à l'ouest du Dniepr.
Si les Ukrainiens s'avançaient massivement vers le sud-est en empruntant des pontons improvisés, ils se retrouveraient pris au piège. Car les soldats russes continuent de bombarder presque quotidiennement le centre-ville de Kherson depuis la rive sud-est du fleuve, encore occupée. Mercredi, deux civils ont été tués dans ces attaques dans le centre-ville.
Raison pour laquelle l'armée ukrainienne s'est déplacée vers le nord. A une distance sûre de Zaporijjia et de la centrale nucléaire occupée sur la rive du Dniepr près d'Enerhodar, on assiste depuis une semaine aux premières avancées ukrainiennes vers le sud. Récemment, des attaques ciblées de missiles Himar ont endommagé un pont près de Melitopol, un élément important pour l'approvisionnement russe de la Crimée occupée depuis 2014.
Polohy, le point le plus septentrional de la bande côtière occupée par la Russie, est également régulièrement attaqué par les Ukrainiens. Il ne s'agit encore que de petites percées, mais les services de renseignement occidentaux prédisent une frappe ukrainienne vers le sud-est probablement avant la fin de l'année.
«Nous avons peu de munitions, donc nous utiliserons peu d'armes, mais ça va bientôt démarrer», a déclaré jeudi le chef d'état-major ukrainien Valeri Zaloujny, sans préciser la direction de l'attaque. «Quelque chose de grand se prépare», a-t-il ajouté de manière mystérieuse.
L'objectif des Ukrainiens sera probablement de frapper un grand coup près de Melitopol, dans la bande côtière occupée par la Russie entre la Crimée et le Donbass. Les Russes eux-mêmes s'attendent à une attaque imminente, comme le montre l'utilisation de prisonniers pour la construction de barrages antichars et de tranchées autour de Melitopol.