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Nahel tué à Nanterre: les banlieues n'ont plus rien à gagner

Nahel tué à Nanterre: les banlieues n'ont plus rien à gagner
Emeutes de banlieues, en 2005.
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Les banlieues s’embrasent, mais elles n’ont plus rien à gagner

Les émeutes suite à la mort de Nahel par un tir policier rappellent celles de 2005. A l'époque, il y avait pour ainsi dire tout à obtenir. Depuis, les banlieues ont perdu le monopole de la revendication et la France est lasse.
28.06.2023, 19:0030.06.2023, 12:52
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En octobre 2005, la mort de deux adolescents, dans l’enceinte d’un transformateur électrique où ils s’étaient retranchés pour échapper à un contrôle de police, avait provoqué trois semaines d’émeutes dans les banlieues. Les faits déclencheurs s’étaient produits à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris. A l’époque, la responsabilité des forces de l’ordre dans le décès des deux jeunes était indirecte.

Elle est on ne peut plus directe dans celui de Nahel, 17 ans, mardi matin à Nanterre. Des mots comme à la guerre, la mise en joue, le coup de feu: une vidéo a enregistré la scène, partiellement, certes, mais c’est bien une balle de policier tirée à bout portant qui a provoqué la mort du jeune homme. Au vu et au su de tous, désormais. Dès lors, va-t-on assister à un embrasement de longue durée des banlieues françaises, comme en 2005?

L’Histoire repasse rarement les plats. Quelle était la situation il y a 18 ans? A l’époque, les banlieues, pas toutes, mais beaucoup, singulièrement Clichy-sous-Bois, loin de tout en termes matériels et symboliques, formaient comme un pays étranger, en France même. Les émeutes, du moins l’analyserait-on ainsi, en prenant les choses si l’on peut dire positivement, témoignaient d’un fort besoin de faire partie, à tout point de vue, de la France.

L'éclosion de la diversité

C’est à compter des émeutes d’octobre-novembre 2005 que se mit en place une réelle ouverture à ce qu’on appelait la diversité. Cela se fit principalement en politique et dans le champ culturel, la chose s’avérant plus difficile dans le domaine de l'emploi, en raison, d’une part, de discriminations à l’embauche, d’autre part, d’une formation professionnelle déconsidérée, seule comptant l'inscription à la fac ou, plus prestigieux encore, dans les grandes écoles.

Parallèlement, les émeutes furent suivies d’un plan d’investissement massif dans la rénovation du bâti. Depuis 2004, ce sont des dizaines de milliards d’euros qui ont été investis dans les quartiers populaires, les rapprochant, quand il le fallait, des centres urbains et autres bassins d’emplois.

En novembre 2007, de nouvelles émeutes éclatèrent, à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, côté nord-ouest de la banlieue parisienne. Deux adolescents avaient perdu la vie dans la collision de leur moto-cross avec une voiture de police qui les pourchassait. Toujours les mêmes schémas. On était encore, à ce moment-là, dans la configuration de deux France vivant séparées l’une de l’autre et n’ayant comme rien à se dire.

Est-on sûr qu’il n’y a plus aujourd'hui qu’une France? Non, mais les choses se sont améliorées. A la télévision, à la radio, au cinéma, dans la littérature, la diversité a explosé dans le bon sens. Les cultures urbaines ont parfois pris le dessus sur la «culture populaire» d’antan, la blanche, pour parler en termes raciaux, une importation des Etats-Unis, dont l'empreinte politico-sociétale dans les banlieues n'a cessé de s'agrandir.

Les banlieues ont perdu leur monopole

Alors, oui, il reste des territoires séparés, coupés, éloignés, mais les banlieues (comprendre: les «Noirs et les Arabes») n’ont plus le monopole de cet état de relégation, dont on a vu qu’il avait été grandement atténué par endroits ces dernières années grâce à des politiques volontaristes.

D’autres territoires, les ruraux, les périphériques, sont à leur tour entrés dans le système de la rétribution symbolique due aux victimes sociales. Les gilets jaunes (près d’un an d’émeutes sporadiques, tous les samedis, entre 2018 et 2019) se sont en quelque sorte ajoutés aux banlieues, les supplantant, peut-être, dans le registre du besoin de reconnaissance.

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Autrement dit, il n’est pas du tout sûr que des émeutes en banlieues de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, suite à la mort violente du jeune Nahel, puissent déboucher sur de quelconques gains. On peut penser – les scores de Marine Le Pen aux dernières élections, présidentielles et législatives, l’attestent – que la disposition des «Français» à consentir des efforts supplémentaires pour leur «diversité» est asséchée. La France est lasse. D’autant qu’entre-temps, depuis 2005, elle a été secouée par des attentats islamistes, dont les auteurs principaux ont des origines maghrébines.

Il n’y a donc plus grand-chose à obtenir ou négocier. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle en termes sécuritaires. On risque d'assister à ce que l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérard Colomb, avait prophétisé en quittant son poste en 2020: deux France qui vivaient jusqu’ici côte-à-côte pourraient se retrouver face-à-face. Malgré tous les progrès d’intégration accomplis. A ce titre, Nanterre, collée à Paris, est objectivement mieux lotie qu’une bourgade rurale en voie de dépeuplement.

Demeure une situation urbaine qui s'appelle toujours «banlieues», mentalement constituée. Pour une part, elle s'est davantage ouverte au monde, mais s'en est progressivement détachée pour une autre en investissant dans un islam identitaire peu disposé à transiger. D’où le tweet, en forme de récupération de la mort de Nahel, du militant islamiste Elias d’Imzalène, bien connu des renseignements.

Macron rompt avec Sarkozy

Au président de la République de jouer finement, avec toute l’humanité requise en pareille circonstance. L’objectif immédiat étant de mettre fin à la séquence «émeutes». Le chef de l'Etat doit condamner un acte qui n’a pas encore été jugé (le fait de tirer à bout portant sur un individu apparemment non armé), sans donner l’impression d’être faible en lâchant sa police face à la pression de la rue. Exercice d’équilibriste.

«Mesure» et «émotion»: les mots de l’Elysée et du gouvernement vont dans le sens de l’apaisement. Ils tranchent avec les coups de menton de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, durant les émeutes de 2005, dont divers analystes avaient estimé qu’ils avaient ajouté à la tension.

En 2005, une grenade lacrymogène de la police avait atterri (à moins qu’elle n’y ait été jetée volontairement) dans la mosquée de Clichy-sous-Bois. Cet incident avait eu un effet démultiplicateur sur les émeutes. L’Aïd el-Kébir, la fête du sacrifice qui a commencé ce mercredi et qui s’achèvera le 1er juillet, pourrait contribuer à calmer la situation ou, par effet indirect, si des fidèles devaient être blessés dans des accrochages avec les forces de l’ordre, compliquer la donne sécuritaire.

Le présent agenda «musulman» du gouvernement tombe plutôt mal. L'exécutif est aux prises avec des tenues abayas portées par des collégiennes et lycéennes.

Par ailleurs, le conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative du pays, doit encore dire si les «hijabeuses», ces footballeuses voilées, peuvent ou non jouer dans les championnats de la Fédération française de football. Certains argueront que c'est un tort de mêler l'islam au drame de Nanterre. Sauf que des musulmans y voient des liens de cause à effet: la police a tiré parce que Nahel avait un faciès d’Arabe, partant, de musulman, peut-on lire en substance sur les réseaux sociaux.

Donner des gages

Le gouvernement n’entrera bien sûr pas publiquement dans ces considérations. Pour l’heure, seule compte la fin des émeutes. Pour cela, il donne des gages. La condamnation, par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, d’un tweet commis par un certain Bruno Attal, secrétaire général du syndicat France Police, qui doit être celui dans lequel il disait préférer «une racaille tuée à un flic tué», est une façon de tendre la main à la famille de la victime.

En ajoutant avoir donné instruction «d’étudier les modalités d’une dissolution de ce groupuscule», France Police, donc, le ministre va encore plus loin. Nous disions qu'il n'y avait plus grand-chose à négocier entre l'Etat et les banlieues, sauf, peut-être, les rapports jeunes-police. Une tâche immense, dont les modalités ne feront de toute façon pas l'unanimité, les constats n'étant pas les mêmes.

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