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Champs Phlégréens: vivre avec le risque d'une super-éruption

Ces Italiens risquent l'apocalypse «demain», mais ne veulent pas déménager

En Italie, des chercheurs mettent en garde contre une possible éruption imminente du supervolcan situé dans la région très peuplée des Champs Phlégréens, près de Naples. Comment les autochtones gèrent-ils la menace qui les guette?
05.01.2024, 06:0505.01.2024, 06:59
Dominik Straub, Pouzzoles / ch media
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Pouzzoles est un endroit où l'on peut sentir le danger - cela dépend de la direction du vent.

La Solfatare de Pouzzoles. L'ancienne attraction touristique est restée fermée aux visiteurs depuis qu'un accident qui a fait trois morts s'est produit ici en 2017.
La Solfatare de Pouzzoles. L'ancienne attraction touristique est restée fermée aux visiteurs depuis qu'un accident a fait trois morts en 2017.

Le danger sent le soufre et les vapeurs âcres proviennent de la Solfatare, un volcan d'environ 500 mètres de diamètre situé à l'entrée ouest du village. Plusieurs brèches dans le sol laissent échapper dans l'air du sulfure d'hydrogène à plus de cent degrés, mélangé à du CO2 gazeux et à de la vapeur d'eau.

Les morceaux de roche autour de ces fumerolles sont jaunis par le soufre. L'accès à la Solfatare de Pouzzoles est interdit depuis 2017 pour des raisons de sécurité, suite à un tragique accident qui s'y était produit. Un garçon de onze ans, son père et sa mère avaient été emportés dans un gouffre qui s'était soudainement ouvert sous leurs pieds alors qu'ils visitaient le site. Tous trois avaient été ébouillantés et asphyxiés par les gaz volcaniques sous les yeux de leur deuxième fils, âgé de sept ans seulement.

Le sol se soulève de plus en plus

Pouzzoles, située à seulement 15 kilomètres à l'ouest de la mégapole Naples, est connue en Italie comme la ville natale de Sophia Loren, probablement la plus célèbre des actrices italiennes.

Mais depuis quelques mois, cette ville portuaire et touristique de 80 000 habitants fait la une des journaux à cause du supervolcan qui sommeille sous les pieds de ses habitants. Pouzzoles se trouve au milieu des Champs Phlégréens, une caldeira d'environ 150 kilomètres de diamètre. En raison de l'énorme pression qui règne dans le sous-sol volcanique, le sol ne cesse de s'élever, de 2 mètres déjà depuis 2006.

Les habitants le ressentent aux nombreux tremblements de terre - même s'ils ne sont pas encore très violents - qui secouent la région sans arrêt. En Italie, on appelle ce phénomène «bradisismo», en français «essaim de séismes».

Le quai des pêcheurs du port de Pozzuoli est resté presque sans eau de mer en raison du bradyséisme qui, en cette période, s'intensifie dans toute la région des Campi Flegrei qui repose sur la pl ...
Voici un des effets de ce soulèvement du sol, le port de Pouzzoles, autrefois le plus grand de l'Empire romain, est presque asséché.Image: imago-images

C'est dans le port de Pouzzoles que le soulèvement de la surface terrestre est le plus impressionnant: le mur du port s'élève déjà à environ trois mètres au-dessus de l'eau, tandis que le port lui-même est devenu si peu profond qu'à certains endroits, le fond marin sablonneux émerge de l'eau. Là où les pêcheurs amarrent leurs bateaux, l'eau n'a parfois plus que quelques dizaines de centimètres de profondeur.

«Si cela continue, il faudra draguer des chenaux pour pouvoir encore utiliser le port»
Bruno, pêcheur.
Pouzzoles: Le pêcheur Bruno répare ses filets - et se plaint du mur du port, qui dépasse désormais de trois mètres de l'eau.
Le pêcheur Bruno répare ses filets et se plaint du mur du port qui dépasse désormais de trois mètres de l'eau.

Bruno, un pêcheur en train de réparer les filets sur son bateau explique:

«Avant, je pouvais passer les caisses avec la pêche du jour à hauteur des yeux des poissonniers sur le mur du port. Aujourd'hui, je dois les hisser péniblement de très bas.»

Une «étude choc» fait trembler l'Italie

Est-ce que cela «va continuer» et quel est le vrai risque d'une éruption dévastatrice du supervolcan? Voici les grandes questions qui préoccupent actuellement les habitants des «Campi Flegrei», les Champs Phlégréens.

La caldeira est surveillée par un réseau dense de stations de mesure: celles-ci transmettent en permanence la température du sol, la concentration de gaz volcaniques, les vibrations du sol et d'autres valeurs au siège de l'Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV). A cela s'ajoute la mesure au millimètre près de l'altitude du sol par des satellites GPS.

Jusqu'à récemment, les scientifiques de l'INGV pensaient que seuls les gaz volcaniques et la vapeur d'eau étaient responsables de l'élévation du sol, et non le magma ascendant. Cela avait été quelque peu rassurant. Mais de nouvelles études ont fait naître des doutes sur cette évaluation de la situation.

Fin octobre, la «Commission nationale des risques majeurs» avait déclaré que les indices selon lesquels du magma était remonté de la chambre magmatique située à sept kilomètres de profondeur - jusqu'à quatre kilomètres sous la surface de la terre - s'étaient renforcés.

La nouvelle «étude choc», comme l'ont qualifiée les médias italiens, a fait réagir les autorités: le ministre de la Protection civile Nello Musumeci a envisagé de faire passer le niveau de danger des Champs Phlégréens de «jaune» à «orange». Cela aurait notamment pour conséquence que les hôpitaux, les prisons et en partie aussi les écoles devraient être évacués à titre préventif.

Le ministre de la Protection civile, Nello Musumeci, fournira des informations sur une éventuelle augmentation du niveau de danger prochainement
Le ministre de la Protection civile, Nello Musumeci, fournira des informations sur une éventuelle augmentation du niveau de danger prochainement

Mais le gouvernement de Giorgia Meloni avait hésité à prendre une décision aussi radicale. Le Sénat romain avait tout de même approuvé, la première semaine de décembre, le «décret Campi Flegrei», grâce auquel 52 millions d'euros seront mis à disposition pour les premières mesures de prévention. Il est question en premier lieu du «bradisismo», afin de protéger les bâtiments contre les dommages causés par les tremblements de terre.

Plusieurs fissures sur les façades et les murs

A Pouzzoles, de nombreux bâtiments présentent désormais des fissures sur leurs façades - le crépi s'est détaché dans certains cas. Les habitants des Champs Phlégréens perdraient leur maison, leur travail, leur vie quotidienne et des dizaines de milliers d'entre eux, qui n'auraient peut-être pas pu être évacués à temps, pourraient même perdre leur propre vie.

Les habitants de Pouzzoles se consolent en se disant que la dernière grande éruption remonte à environ 39 000 ans et que depuis, il n'y a eu qu'une seule mini-éruption, en 1538.

«Nous sommes habitués aux tremblements de terre et au risque permanent d'éruption»
Carmen Colonna, habitante de Pouzzoles
La peintre Carmen Colonna (à droite) avec une collègue devant le Palazzo Migliaresi, dans la vieille ville de Pozzuoli, où les deux exposent actuellement leurs œuvres.
La peintre Carmen Colonna (à droite) avec une collègue devant le Palazzo Migliaresi, dans la vieille ville de Pozzuoli, où les deux exposent actuellement leurs œuvres.

L'artiste peintre Carmen Colonna souligne : «Lors du dernier "bradisismo", dans les années quatre-vingt, j'avais sept ans. Il est arrivé que mes parents me réveillent la nuit pour me faire monter dans la voiture. Nous y dormions souvent, c'était comme un jeu pour nous les enfants.»

Maintenant, elle a elle-même deux enfants de 10 et 14 ans, et pour eux, c'est pareil:

«Ils n'ont pas peur, pour eux c'est normal»

Les villes des Champs Phlégréens existent depuis l'Antiquité. Contrairement à Pompéi et Herculanum, elles n'ont pas été détruites lors de la fameuse éruption du Vésuve en 79 après Jésus-Christ. A l'époque romaine, Pouzzoles avait été pendant de nombreux siècles le port le plus important de l'empire. La ville abrite encore aujourd'hui la troisième plus grande arène jamais construite par les Romains: l'amphithéâtre de Flavius pouvait autrefois accueillir 40 000 visiteurs. Le Colisée de Rome ne pouvait accueillir que 10 000 spectateurs de plus.

L'amphithéâtre de Pouzzoles, en Campanie, dit aussi amphithéâtre de Flavius, fut construit à la fin du ier siècle, du temps de l'empereur romain Vespasien, de la famille des Flavius.
L'amphithéâtre de Pouzzoles, en Campanie, dit aussi amphithéâtre de Flavius, fut construit à la fin du ier siècle, du temps de l'empereur romain Vespasien, de la famille des Flavius.Image: imago-images

Guglielmo Misso ne se laisse pas non plus abattre par cette étude. «Je ne dis pas que le problème n'existe pas, mais même les géologues soulignent que personne ne sait si et quand une nouvelle éruption du supervolcan aura lieu. Cela peut être demain, ou dans cent ou mille ans», souligne l'ingénieur de 36 ans.

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Selon lui, la peur de l'éruption est sciemment entretenue par les politiciens locaux, car cette crainte favorise les affaires spéculatives et la corruption:

«Les politiciens et les promoteurs reçoivent des millions de Rome et de Bruxelles pour rénover les maisons endommagées par les séismes ou pour construire des voies d'évacuation.»

Mais souvent, seule la façade des maisons est rénovée, l'intérieur restant inhabitable. «On a commencé à construire des routes et des tunnels qui ne sont toujours pas terminés. On peut encore visiter les chantiers aujourd'hui», s'insurge Misso. L'argent dépensé pour ces travaux s'est évaporé on ne sait où.

Des voies d'évacuation pas encore construites

Les voies d'évacuation et les plans d'évacuation de l'Etat dans les Champs Phlégréens sont un chapitre en soi. Il existe certes des plans datant des années huitante, mais il n'est pas nécessaire d'être ingénieur en transport pour se rendre compte que dans cette région vallonnée aux routes étroites et sinueuses, l'évacuation d'une population qui a atteint aujourd’hui 480 000 personnes représentera un défi énorme.

Carte de la région de Naples et Pouzzoles
Carte de la région de Naples et PouzzolesImage: imago-images

Selon le chef de la protection civile nationale, Fabrizio Curcio, au moins trois des voies d'évacuation prévues dans le plan actuel doivent encore être construites ou achevées et plusieurs routes doivent être élargies.

Mais en fin de compte, une évacuation réussie dépend de toute façon du temps disponible: Les plans actuels prévoient un délai de 72 heures pour une évacuation complète. Or, l'expérience montre qu'il est quasiment impossible de prévoir le moment exact d'une éruption.

L'artiste Carmen Colonna le sait aussi et pourtant, il ne lui est jamais venu à l'idée de tourner le dos à Pouzzoles:

«Le risque de super-éruption fait partie de notre vie, il fait partie du jeu. Et c'est peut-être le prix à payer pour pouvoir vivre dans un si bel endroit».

Traduit de l'allemand par Léon Dietrich

Les enfants sont formidables
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Les enfants sont formidables
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Un drone filme des images incroyables d'un volcan avant de…fondre
Video: watson
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