Dans la nuit du 11 au 12 novembre, Giulia Cecchettin, 22 ans, fraîchement diplômée en ingénierie biomédicale, a été poignardée à mort à 26 reprises par son ex-compagnon Filippo Turetta, âgé lui aussi de 22 ans. Son corps a été retrouvé le 18 novembre dans un ravin près du lac Barcis, à une centaine de kilomètres au nord de Venise. Le coupable a été arrêté en Allemagne après plusieurs jours de cavale. Il a avoué son crime et est désormais en prison.
Un féminicide qui secoue l'Italie depuis près d'un mois, qui a engendré une mobilisation sans précédent et déclenché un débat national sur les raisons de la persistance des violences faites aux femmes dans le pays.
Le 25 novembre, soit quelques jours après la découverte du corps de Giulia, avait lieu la journée internationale contre les violences faites aux femmes. Des manifestations réunissant des milliers de participants ont eu lieu à travers l'Italie. A Rome, un demi-million de personnes a défilé, «du jamais vu» selon Mediapart. A Milan, le rassemblement avait pour titre «Le patriarcat tue» et a mobilisé quelque 30 000 personnes. Un crime «devenu fait social jusque dans cette Italie de province peu habituée aux mobilisations féministes» poursuit le média en ligne.
Dans les rues, la foule a crié haut et fort sa colère. Sur les vidéos, on voit par exemple les nombreux manifestants à Rome qui hurlent et applaudissent. A l'université de Padova, où étudiait Giulia Cecchettin, les personnes ont brandi leurs trousseaux de clés qu'elles ont fait tinter dans les airs. Un geste hautement symbolique. En effet, tenir les clés de sa maison entre ses mains permet d'ouvrir la porte rapidement, mais aide aussi à se défendre face à d'éventuels agresseurs, rappelle le Huffington Post.
Un appel au bruit qui a été lancé sur Instagram le 25 novembre par Elena Cecchettin, la petite sœur de Giulia. La publication a récolté plus de 124 000 «❤️» et près de 3000 commentaires. Elle a également publié une lettre dans le Corriere della Sera dans laquelle elle dit refuser la minute de silence décrétée par le ministre italien de l'Education. Elle dénonce la société patriarcale responsable, selon elle, de la mort de sa sœur:
Et d'ajouter:
Outre la forte mobilisation dans les rues du pays, le féminicide de Giulia a fait la une des médias nationaux. Ils ont suivi l'affaire de près depuis l'annonce de sa disparition début novembre. La Repubblica, par exemple, a écrit plusieurs articles qui lui rendent hommage. Le quotidien a notamment retranscrit le discours de Elena Cecchettin prononcé lors des funérailles mardi 5 décembre.
L'enterrement a été diffusé en direct à la télévision italienne. Camarades d’universités, représentants du monde politique – dont Sergio Mattarella, le président italien et Giuseppe Valditara, le ministre de l'Education – ou citoyens ordinaires se sont rendus à la basilique Sainte-Justine de Padoue, près de Venise, pour rendre un dernier hommage. Les policiers, vêtus de leur uniforme, «ont salué le cercueil comme s'il s'agissait d'un chef d'Etat», relaye La Repubblica. A la fin, la foule rassemblée à l'extérieur a, à nouveau, fait tinter les trousseaux de clés.
Gino Cecchettin, le père de Giulia, a également prononcé un discours qui sera désormais repris dans les établissements scolaires.
Il a appelé à l'instauration de programmes éducatifs dans les écoles pour sensibiliser et prévenir contre la violence de genre. Il demande aux pouvoirs politiques de mettre de côté leurs différences idéologiques pour affronter ensemble ce fléau. Il souhaite que les forces de l'ordre soient formées pour reconnaître les violences et protéger les victimes.
Quelques jours plus tard, dimanche 10 décembre, il était invité sur le plateau de l'émission Che tempo fa: «Je suis ici ce soir parce que je veux mener une bataille dont je n'avais pas conscience. Lorsque j'entendais parler de féminicide, j'étais désolé pour la famille de la victime. Ensuite, je tournais la page, comme la majorité des personnes.» Il poursuit:
Et maintenant, quoi? De réels changements sont-ils envisageables en Italie, pays à majorité catholique où les stéréotypes de genre et la culture patriarcale sont très ancrés? Selon un rapport gouvernemental de juillet 2021, dans certaines régions, jusqu’à 50% des hommes estiment que la violence est acceptable dans le cadre de relations.
Le meurtre de Giulia a «déclenché des sonnettes d'alarme dans toute l'Italie», écrivait lundi 11 décembre le Corriere della Sera. L'avocate Manuela Ulivi, présidente de l'association Casa delle donne (Maison des femmes) à Milan, explique qu'en moyenne 40 femmes sont accueillies chaque mois au sein de son établissement.
Dernièrement, ce chiffre a été atteint en une seule semaine. Ce qui a également surpris l'avocate, c'est le profil des femmes qui sont venues chercher de l'aide: elles sont jeunes et accompagnées parfois d'amies ou de parents effrayés. La plupart sont des étudiantes qui s'identifieraient à Giulia, selon les dires de Manuela Ulivi. Elle explique:
Dans la foulée du décès de Giulia, le Sénat italien a adopté à l'unanimité un projet de loi visant à mieux protéger les femmes, notamment en accélérant les procédures, en renforçant les mesures d'éloignement des conjoints et en instaurant une formation accrue des professionnels amenés à gérer ce genre de situation. Des voix se sont toutefois élevées contre le caractère trop sécuritaire et pas assez préventif de ces propositions.
De leur côté, les démocrates veulent modifier la définition du viol et du consentement et réfléchir ensemble à la manière de lutter contre les féminicides. Un appel auquel la Première ministre catholique et conservatrice Giorgia Meloni n'aurait pas donné suite, selon Le Temps.
Quelles autres solutions sont envisagées? Camilla, militante au sein de l'association Non Una di Meno de Padoue, explique à Mediapart qu'elle revendique une éducation sexuelle et affective dans les écoles. En effet, l'Italie est l'un des derniers pays de l'Union européenne où l'éducation sexuelle n'est pas obligatoire au sein des établissements scolaires. En 2020, un rapport indépendant du Conseil de l'Europe avait déjà appelé l'Italie à dispenser des cours sur l’affectivité, la sexualité et la santé reproductive.
La militante ajoute:
Giorgia Meloni est accusée d'être la principale représentante de cette société patriarcale. Le Temps rappelle que son parti de droite radicale Fratelli d'Italia s'oppose à la Convention d'Istanbul en vigueur en Italie, qui vise à prévenir et à lutter contre les violences faites aux femmes.