Justine Triet a remporté samedi la Palme d'or pour Anatomie d'une chute, la troisième jamais décernée à une réalisatrice. Elle a profité de la tribune pour lancer une attaque contre la politique du gouvernement français sur la culture et les retraites.
La cinéaste de 44 ans succède à Jane Campion (La leçon de piano, 1993) et Julia Ducournau (Titane, 2021), confirmant le lent mouvement vers l'égalité dans une industrie du cinéma historiquement dominée par les hommes.
En recevant son prix des mains de Jane Fonda, Justine Triet a vivement dénoncé la manière dont le gouvernement français avait «nié de façon choquante» la protestation contre la réforme des retraites.
Réplique immédiate de la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak. Sur les réseaux sociaux, elle s'est dite «estomaquée par son discours si injuste»:
Heureuse de voir la Palme d’or décernée à Justine Triet, la 10ème pour la France ! Mais estomaquée par son discours si injuste. Ce film n’aurait pu voir le jour sans notre modèle français de financement du cinéma, qui permet une diversité unique au monde. Ne l’oublions pas.
— Rima Abdul Malak (@RimaAbdulMalak) May 27, 2023
En conférence de presse, Justine Triet persiste et signe, critiquant une «tendance qui va vers la rentabilité» des aides publiques au cinéma, et pointant le danger que ces aides aillent aux «plus gros films» au détriment du cinéma de création indépendant. Elle a poursuivi:
Sur le plan artistique, ce nouveau couronnement d'une jeune réalisatrice française témoigne du succès des réalisations tricolores dans les festivals internationaux, avec le Lion d'or remis à Audrey Diwan en 2021 à Venise pour L'événement et l'Ours d'or en février à Nicolas Philibert pour Sur l'Adamant.
Le jury, présidé par Ruben Östlund et où siégeait également Julia Ducournau, a choisi un film (dans les salles françaises le 23 août) qui raconte le procès d'une veuve (Sandra Hüller) accusée aux assises d'avoir tué son mari. L'occasion de disséquer les dynamiques de pouvoir au sein d'un couple d'artistes aisés et d'exposer les préjugés sociaux auxquels se heurtent les femmes indépendantes.
Il a également envoyé un message contemporain sur l'effroyable banalité du mal, en donnant le Grand Prix à Jonathan Glazer pour The zone of interest, sur la vie quotidienne du commandant nazi d'Auschwitz, une œuvre radicale.
L'actrice turque Merve Dizdar a dédié son prix d'interprétation dans Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan «à toutes les femmes qui mènent une lutte pour surmonter les difficultés existantes dans ce monde». Le Japonais Koji Yakusho a reçu le prix du meilleur acteur pour Perfect days de Wim Wenders.
Ce palmarès met un terme à la 76e édition, présidée pour la première fois par Iris Knobloch, ancienne de Warner. Elle fut marquée par des polémiques sur le come-back de Johnny Depp, après ses procès pour diffamation autour d'accusations de violences conjugales, par une présence en force du cinéma du continent africain et des réalisatrices, au-delà de Justine Triet.
Cette édition a aussi été une nouvelle démonstration de la lune de miel entre Cannes et Hollywood: en douze jours, le tapis rouge aura accueilli Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro (pour Killers of the flower moon) ou encore Harrison Ford, venu faire ses adieux à Indiana Jones. Quentin Tarantino et Roger Corman, 97 ans, l'un des doyens du cinéma américain, étaient également sur scène samedi soir.
Quant au long-métrage de clôture, le Festival renoue avec la tradition de programmer la dernière création des studios Pixar, rachetés par Disney: le film d'animation Elémentaire, qui sortira en juin, a été présenté en avant-première mondiale après la cérémonie. (sas/ats)