Lorsque j'ai récemment discuté avec ma fille adolescente de son application de vidéos courtes préférée, la conversation s'est déroulée de manière assez inattendue. Elle m'a révélé qu'elle avait délibérément limité sa consommation de TikTok. Et ce pour plusieurs raisons.
Au passage, j'ai été surpris de constater qu'elle en savait beaucoup sur le côté obscur de l'application.
Alors, c'est grave?
Leur algorithme de recommandation fait des ravages et, contrairement à d'autres plates-formes, surprend en diffusant également de nouveaux contenus qui touchent une corde sensible. En tant qu'utilisateur, on reste accroché et on continue à faire défiler pour obtenir notre shoot de dopamine.
Les courtes vidéos imaginatives, originales et impertinentes répondent exactement aux besoins de la plupart des utilisateurs de smartphones: on se perd dans un flux constant de divertissement et de distraction. Et ce, sans aucun effort.
Si vous voulez savoir comment fonctionne en détail le légendaire algorithme de TikTok, je vais vous décevoir: c'est un secret bien gardé. Tout ce que nous savons grâce aux informations divulguées reste assez banal.
Question inverse: combien de temps as-tu devant toi?
Réponse courte: le vrai problème de TikTok est la quantité de données personnelles que l'application collecte. Les paramètres par défaut, qui ne sont pas modifiés par la plupart des utilisateurs, lui accordent beaucoup plus d'autorisations que nécessaire. De plus, il est difficile de vérifier ce qui se passe exactement avec les données collectées et qui y a accès.
Le célèbre expert américain en sécurité informatique Bruce Schneier a caractérisé TikTok et la société de développement chinoise, l'entreprise d'IA ByteDance:
Ce qui nous amène au problème principal...
Si nous simplifions l'équation, TikTok est une entité basée en Chine, là même où le Parti communiste chinois (PCC) fait valoir son pouvoir.
On peut le nier publiquement, comme vient de le faire le patron de TikTok à Washington DC. Mais il n'en reste pas moins que les entreprises chinoises ne peuvent pas se soustraire à l'emprise de l'Etat chinois. Et les dirigeants chinois ont bien sûr identifié depuis longtemps la valeur de cette application si populaire en Occident et ils ne la céderont pas.
Imaginons le scénario suivant: aucune interdiction générale de TikTok n'est décrétée en Occident, l'application reste sous le contrôle de la Chine, ou dans sa sphère d'influence, et elle continue de progresser massivement en termes de nombre d'utilisateurs. Imaginons ensuite que le conflit entre l'Occident démocratique et les ennemis de la démocratie que sont la Chine et la Russie s'intensifie.
TikTok pourrait être utilisé pour diffuser des messages politiques et manipuler l'opinion publique. L'application influence la perception des utilisateurs et peut déformer leur vision des thèmes et événements politiques. Par ailleurs, elle atteint un groupe cible intéressant: les jeunes, qui sont avides de connaissances et influençables.
Si le déclin annoncé de Facebook et autres se poursuit, TikTok sera peut-être bientôt l'outil de désinformation et de propagande le plus puissant au monde.
Mao Ning, diplomate chinoise et porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, s'en est récemment pris avec délectation à l'ennemi juré de l'Occident: «Dans quelle mesure une superpuissance mondiale comme les Etats-Unis peut-elle être aussi peu sûre d'elle pour craindre à ce point l'application préférée des jeunes»?
Question inverse: pourquoi Pékin n'autorise-t-il qu'une version strictement censurée de l'application TikTok dans son propre pays?
Spoiler: Parce que la liberté d'expression lui fait horreur et qu'elle connaît les risques et les effets secondaires des plateformes de médias sociaux contrôlées par des algorithmes.
Et comme nous l'avons vu plus haut, le régime chinois considère l'application TikTok comme un outil précieux pour déstabiliser les sociétés occidentales.
Ne nous faisons pas d'illusions: Vladimir Poutine est la brute qui veut briser les structures démocratiques à coups de masse. Mais Xi Jinping, qui agit avec intelligence et patience, est bien plus dangereux.
Certaines personnes gagnent beaucoup d'argent, voire un sacré paquet d'argent, grâce à ces courtes vidéos virales. Mais les conséquences négatives prédominent largement.
Résumons:
Personne n'a dit que la «redescente» était facile. Aucune drogue ne l'est.
C'est discutable.
Une interdiction telle que celle qui menace les Etats-Unis peut sembler sans précédent, mais il existe un précédent important.
En juin 2020, TikTok comptait plus de 200 millions d'utilisateurs en Inde (c'était le plus grand marché en dehors de la Chine). Le gouvernement indien a alors décrété le blocage de plus de 200 applications chinoises en invoquant la protection des données et la souveraineté nationale.
Cette décision a été prise deux semaines après un grave incident à la frontière nord avec la Chine, qui a coûté la vie à au moins 20 soldats indiens.
L'interdiction de TikTok a provoqué la colère de nombreux utilisateurs. Mais les protestations initiales se sont calmées et, à l'exception de quelques influenceurs qui avaient gagné beaucoup d'argent avec TikTok, tout le monde s'en est remis. «Nous n'avons pas été désavantagés», estime Anand Lunia, fondateur d'une société indienne de capital-risque et critique bien connu de la technologie.
Oui, il y a des géants américains dans tout ça: quand on parle des conséquences négatives des plateformes de médias sociaux, on ne peut pas passer à côté des GAFAM.
L'influence négative des plateformes américaines sur notre société et sur le bien-être des utilisateurs devrait nous inciter à faire mieux la prochaine fois.
Avec Facebook et autres, nous avons suffisamment vu et ressenti à tous les niveaux ce que des algorithmes de recommandation incontrôlables peuvent faire.
Mais restons réalistes: tant que nous ne tiendrons pas les géants américains de la technologie en laisse, par une réglementation plus stricte et une taxation conséquente, les milliardaires de la Silicon Valley continueront à nous danser sur le ventre.
On l'a déjà constaté après l'interdiction de TikTok en Inde: des capital-risqueurs locaux ont tenté de marquer des points avec de nouvelles apps. Le succès a été très limité. Les grands bénéficiaires ont été les groupes technologiques américains qui, grâce à leur puissance sur le marché, ont poussé leurs alternatives à TikTok (YouTube Reels, etc.).
Il n'est donc pas étonnant que Zuckerberg et ses acolytes participent activement, en arrière-plan, aux efforts visant à interdire TikTok en Occident et fassent du lobbying.
Les estimations et les retours d'information en provenance des Etats-Unis divergent à ce sujet. Cela ne devrait pas être facile.
TikTok tente de soulever ses nombreux utilisateurs contre ce projet et a même déjà payé des influenceurs pour qu'ils protestent.
L'entreprise contrôlée par la Chine va certainement aussi mettre en marche une armée d'avocats et se défendre par tous les moyens juridiques possibles. Exactement de la même manière qu'il est possible de le faire dans un Etat de droit démocratique en Occident.