«J'aime la sensation d'avoir des ennuis.» Puff Daddy n'a que 24 ans lorsqu'il prononce cette phrase à un journaliste du magazine Vibe, en 1993. Celui qui est né sous le nom de Sean Combs, en 1969, ne croit pas si bien dire. Car, dès l'instant où il goûte à l'ivresse du succès, au début de la vingtaine, sa vie sera perpétuellement entachée par la violence et le scandale.
La tragédie a frappé très tôt à la porte du petit Sean, qui grandit dans l'un des quartiers les plus aisés de Harlem. Il est âgé d'à peine trois ans lorsque son père, propriétaire d'une entreprise de limousines, est abattu d'une balle dans le crâne pour une affaire de business - ou de drogue, ce n’est pas clair.
Pendant des années, on fait croire au petit garçon qu'il s'agit d'un accident de voiture. Mais à force de s'entendre dire que sa famille était la seule de Harlem à rouler en Mercedes Benz, l’adolescent mène ses propres recherches à la bibliothèque pour découvrir que son père est en fait un «arnaqueur». Mais attention: «Le plus grand de son époque», précise-t-il.
Un futur modèle pour Sean, qu’on accuse de plus en plus dans la presse spécialisée d’être dépourvu de talent et de s'approprier celui des autres? Peut-être.
Nous n'en sommes pas encore là. En 1971, c'est donc à sa mère, Janice, qu’il incombe d'élever ses deux enfants. «Ma mère était l'homme de la maison», se souvient-il auprès de Vibe.
Mannequin, chauffeuse de bus, nounou: Janice accumule jusqu'à quatre jobs pour payer la coquette maison de Mount Vernon, une banlieue métisse au nord du Bronx - et offrir pour Noël une piscine à son fils, puisqu'il refuse de partager la piscine publique avec les autres enfants.
C'est vrai. «Puffy», de son surnom (selon certains, parce qu'il bombe le torse pour accentuer sa corpulence maigrichonne; pour d'autres, parce qu'il s'essouffle vite quand il s'énerve), est un ado studieux et bosseur. Et par dessus tout, mordu de musique.
Ça tombe bien. Le début des années 80 est une époque formidable pour un jeune New-yorkais ambitieux et intelligent. Un nouveau style musical s'impose, entêtant, dans les rues du Bronx. Le hip-hop. «J'étais là. J'ai vu tout ça. J'avais 12 ans, et parfois, je restais dehors jusqu'à trois ou quatre heures du matin pour écouter de la musique», se souvient-il, en 1997, dans Rolling Stone.
Après ses études dans une école catholique, il se tourne vers l'université Howard. Trop impatient, trop pressé, il n'y restera que deux ans avant de tout plaquer pour plonger dans l'industrie musicale - juste le temps qu'il faut pour organiser des fêtes monumentales qui resteront gravées dans les annales de l'université.
A force d'insistance et de culot, celui qui passe ses nuits à écumer les boîtes de nuit de Harlem parvient à se dégoter un stage auprès d'Andre Harrell, dans son label Uptown. Entre deux cours et soirées endiablées, Sean Combs se lève à 5h tous les matins pour foncer au studio de Manhattan. «Il était tenace, tenace, tenace», résume un ancien collaborateur, Kirk Burrowes, au New York Times.
«Quand j'ai rencontré Puff, je pouvais presque sentir le feu qui brûlait tout au fond de son âme», témoigne pour sa part l'ancien patron Andre Harrell, avant sa mort, au Hollywood Reporter.
C'est juste après Noël 1991 que le TGV Puffy connait un premier coup de frein. Brutal. Alors qu'il rêve d'offrir un cadeau à sa communauté, un match de basket caritatif avec quelques célèbres invités dont Mike Tyson, l'évènement rencontre plus de succès que prévu. Plus de 5000 personnes fondent sur le City College d'une capacité de seulement 2730 personnes. Huit participants perdront la vie, piétinés dans une bousculade - un neuvième à l'hôpital quelques jours plus tard.
Bien qu'aucune accusation criminelle n'ait été portée contre Sean Combs, l'organisateur porte le poids public du drame - comme le résume un chroniqueur du New York Post, la responsabilité incombe à «un imbécile nommé Puff Daddy».
Quelques mois suffisent toutefois au jeune producteur en herbe pour opérer un retour en fanfare, à l'été 1992, avec What's the 411?, le premier album de Mary J. Blige. Un premier succès écrasant, qui résonne bientôt dans tous les clubs new-yorkais et sur les radios afro-américaines.
Puffy le bulldozer continue sa route. Un an à peine à apprendre les ficelles du métier et courir à travers la ville pour rapporter au patron son cheese-cake de chez Junior's, à Brooklyn et le voilà désormais vice-président d'Uptown. «Je devais nourrir de grands rêves, assure-t-il à Rolling Stone, et je devais y aller en sachant que je serai le meilleur».
Le meilleur, peut-être. Mais surtout le plus malin, le plus fiévreux, le plus impitoyable. Et le plus prétentieux.
Tellement arrogant qu'il est mis à la porte par son patron, Andre Harrell. Mais, là encore, l'ancien protégé rebondit rapidement. Fort de son succès chez Uptown, il signe en 1993 un contrat de distribution de 15 millions de dollars pour fonder son propre label, Bad Boy.
Quatre ans plus tard, Rolling Stone clame que celui qu'on considère encore comme un prodige visionnaire est «peut-être sur le point de devenir le rappeur le plus célèbre d'Amérique». «Et», souligne encore le magazine, «comme il le sait mieux que quiconque, cet accomplissement n'est pas sans risques».
Au fil des années, l'extraordinaire ascension de P. Diddy sera en effet marquée par bon nombre d'évènements dramatiques. L'assassinat de son ami et protégé, Notorious BIG. Ses liens inexpliqués avec le meurtre du rappeur Tupac. Le passage à tabac d'un dirigeant d'un label rival. Des coups de feu tirés dans une boîte de nuit. Des menaces proférées contre un membre de la distribution d'une émission de télé-réalité. L'agression d'un entraîneur de football américain universitaire. Ou encore celle d'un photographe du New York Post.
Des épisodes violents, des polémiques et des casseroles qu'il accumule presque aussi rapidement que les noms de scène - Puffy, Puff Daddy, P. Diddy, Love - et les conquêtes féminines. Dès la fin des années 90 (époque où il aurait commis ses premières agressions sexuelles, selon des plaintes déposées en 2023), Sean Combs a la réputation de «secouer les tables». Et il en est pleinement conscient.
Ce qui n'empêche pas l'ancien bad boy de Harlem, le «Mozart» autoproclamé de son époque, de devenir un conglomérat individuel estimé à plus de 500 millions de dollars au début des années 2000.
Non content de posséder sa propre maison de disques, une ligne de vêtements, un parfum, une société de production cinématographique, deux restaurants, le magnat hyperactif veut écrire des livres, jouer dans des séries, signer des groupes de rock.
En 1998, c'est une autre initiative de Diddy qui agite le petit milieu des riches et célèbres. Tout juste riche (très, très riche), le rappeur s'offre une maison à Long Island, dans les Hamptons. Soucieux de rester le maître du jeu et de s'imposer dans cette enclave dorée et conservatrice, il lance ses célèbres «White Parties».
Des milliers de personnalités se bousculent bientôt dans cet antre du luxe et de la luxure, où une extravagance rivale à une autre.
Les vêtements entièrement blancs cachent des dessous beaucoup plus sombres: les «freak-offs», les désormais tristement célèbres marathons sexuels où se mêlent drogues, viols et abus - et qui valent à P. Diddy le procès retentissant qui s'ouvre cette semaine. Un procès qui acte la chute de l'homme le plus puissant de l'industrie musicale américaine.
Difficile de croire qu'il y a encore deux ans à peine, Sean Combs était encore considéré comme un génie visionnaire, un donateur généreux. En l'espace de quelques mois, de centaines de plaintes et de milliers de récits sordides rapportés par ses victimes présumées, cette aura presque mystique s'est effondrée. Nombreux pourtant sont ceux qui, désormais, affirment avoir vu les germes de sa chute.
«Cette fin était inévitable pour quelqu'un qui croyait pouvoir s'en sortir avec n'importe quoi et qui exigeait que tout le monde autour de lui le fasse», juge l'écrivain et journaliste Touré, qui a suivi l'ascension de Sean Combs, au New York Times.
Au fond, Sean Combs s'en doutait-il peut-être lui-même. «Ai-je lu Gatsby le Magnifique?» demandait-il à The Independent, en 2001. «Mais je suis Gatsby le Magnifique!»
Il avait probablement raison. Puisque, comme Gatsby, l'ascension grandiose de Diddy est sur le point de s'achever dans la douleur et l'amertume. Avec son lot de rêves et de vies brisées.