Ce 1ᵉʳ décembre, c'est la journée mondiale de lutte contre le sida, un virus découvert en 1983 qui a fait plus de 30 millions de morts dans le monde. En Suisse, en 2021, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) recensait 318 nouveaux diagnostics de VIH et quelques 17 350 personnes vivant avec.
Zaq Guimaraes, président de l'association Personnes Vivant Avec (PVA) à Genève, a fait partie de la génération qui a connu le pire dans les années 1990, une époque durant laquelle on recensait environ 1300 cas par an en Suisse.
Pour watson, il revient sur son histoire et raconte son quotidien.
En 2022, à quoi ressemble la lutte contre le VIH?
Avec mes collègues de l'association, nous allons beaucoup dans les écoles par exemple, ou dans les événements LGBTIQ+. Nous nous sommes rendus compte que certains jeunes de moins de 25 ans ne connaissent pas le VIH et le sida. D'autres, en revanche, le connaissent globalement, mais ne savent pas comment il se transmet ou ce qu'est une trithérapie. C'est important de les sensibiliser, pour qu'ils puissent se protéger.
Les mentalités ont-elles évolué?
Oui, heureusement. La société a changé, les gens sont mieux informés. On rencontre, toutefois, encore des stigmatisations dans les milieux plus conservateurs, surtout parce qu'on touche à des sujets sensibles comme la sexualité ou l'homosexualité. Et puis, certaines personnes qui viennent à l'association n'osent pas dire à leurs proches qu'elles sont séropositives. Le tabou et la peur du sida n'ont pas totalement disparu.
Les écoles et les parents sont aussi plus réceptifs à ces thématiques.
On est loin des terribles années 1990.
Absolument. Je vais avoir 60 ans cette année, j'ai donc traversé cette période et j'ai survécu. Une image de «survivant» qui est d'ailleurs parfois difficile à porter: on me met sur un piédestal.
Quand est-ce que vous avez été diagnostiqué séropositif?
J'ai une histoire un peu compliquée. J'ai quitté le Brésil au début des années 1980, à la fin de la dictature. Je travaillais au Club Med et je suis parti à Agadir, au Maroc. C'est là que j'ai commencé à perdre du poids, mais à l'époque, on ne parlait pas encore de VIH ou de sida. Mon employeur a toutefois souhaité que je fasse des analyses, mais on ne m'a jamais communiqué les résultats. Quelques mois plus tard, j'ai été licencié. Je suis alors parti à Paris, puis à Genève dans les années 1990. A ce moment-là, on parlait beaucoup du virus et j'ai donc refait un test, qui s'est avéré positif.
Vous ne savez donc pas exactement quand vous avez été infecté?
Non. Je pense au début des années 1980. Une fois le diagnostique tombé, je suis retourné à Paris pour informer les personnes avec qui j'avais eu des relations. Heureusement, elles étaient en bonne santé. Je n'arrivais pas à croire que ça m'arrivait à moi. Mais après avoir été dans le déni, j'ai accepté la situation et je me suis dit: «Quelles sont mes options pour la suite?»
Les premiers traitements existaient déjà, mais vous n'avez pas voulu les prendre?
Non.
Pourquoi?
Parce qu'à l'époque, les médicaments étaient très toxiques pour le corps. J'ai eu de la chance, mon système immunitaire était fort. J'étais, d'ailleurs, en couple à cette période avec un homme qui, lui, en revanche, suivait un traitement. Pendant trois ans, nous avions une rage de vivre énorme et nous étions persuadés que nous pourrions nous soigner. Mais son état de santé s'est fortement dégradé. Les trois dernières années, nous avons essayé tous les traitements. Il est décédé en 1995.
Vous avez tout de même fini par suivre une trithérapie?
A l'approche de la quarantaine, mon système immunitaire a commencé à faiblir. J'ai donc été obligé de me soigner. Il faut savoir que chaque traitement est personnalisé. Les trois molécules utilisées – aujourd'hui contenues dans une pilule, à prendre chaque jour – sont dosées selon l'état de santé de la personne et sa charge virale. Moi, j'ai eu de la chance: mon dosage était de moins en moins fort et la trithérapie a très bien fonctionné.
Comment ça se passe concrètement?
Pour la faire simple, en ce qui me concerne, le virus est désormais réparti dans mes ganglions.
Vous n'êtes donc plus contagieux.
Non, depuis longtemps d'ailleurs! Quelques mois après le début d'une trithérapie, nous devenons «indétectables»: le virus est endormi, inactif. Alors certes, j'ai encore quelques problèmes de santé comme un estomac fragile. Mais j'ai un bon régime alimentaire, donc tout va bien.
C'est un soulagement de ne plus transmettre le virus?
Ça m'a enlevé un poids énorme, au niveau relationnel et juridique. Je ne suis plus obligé de le mentionner à mes partenaires – même si je le fais quand même, par souci d'honnêteté – et surtout, je ne risque plus être condamné pour l'avoir transmis.
Aujourd'hui, vous n'avez plus peur de mourir?
Vous savez, au Brésil, la mort est quelque chose de très symbolique, de joyeux: on expose le corps et on célèbre le défunt. J'ai donc une vision assez positive de la mort, elle ne m'a jamais impressionné.
Heureusement...
Oui, surtout qu'à l'époque, on nous apprenait à mourir: il y avait des groupes de parole, on nous montrait comment rédiger un testament, etc.
Et puis un jour, on nous a ressuscités grâce aux médicaments. Nous avons alors dû apprendre à ralentir. J'ai, d'ailleurs, parfois encore des pulsions qui me font accélérer, mais j'arrive à me dire qu'elles n'ont plus leur place. Ce qui me fait sourire, c'est que depuis la pandémie de 2020, mes proches me disent qu'ils comprennent enfin ce que c'est de vivre avec la peur d'attraper, ou de transmettre, un virus mortel. Pour moi, le Covid-19 a permis aux gens de comprendre ce que nous avons vécu pendant tant d'années.