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«The bear»: la meilleure série de l'année est un cauchemar en cuisine

Jeremy Allen White, parfait chef beau gosse, à la tignasse et à la vie en pétard.
Jeremy Allen White, parfait chef beau gosse, à la tignasse et à la vie en pétard. disney+

«The bear»: la meilleure série de l'année est un cauchemar en cuisine

The bear est enfin servi en Europe et c'est Disney+ qui dresse les plats. En huit épisodes de 30 minutes, un talentueux chef jongle avec un deuil brutal et des cuistots caractériels, dans un bouiboui de son Chicago natal qui a plus de dettes que de clients. Un chef-d’œuvre intense et rassis sur l'os.
07.10.2022, 16:4808.10.2022, 11:29
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Le gras, c'est la vie. Et il a fallu attendre The bear pour que l'adage adhère enfin avec panache à une fiction récente. En huit petites bouchées de 30 minutes, cette série américaine, imaginée et filmée par Christopher Storer, catapulte nos estomacs de citadins pressés là où personne n'ose guigner à l'heure du repas: sous la graisse qui n'a que faire de la grâce.

Une fois branchés sur Disney+, nous voilà à huis clos, dans l'arrière-boutique d'un casse-dalle défraîchi de Chicago. Un jeune chef croit pouvoir digérer un deuil brutal en portant à bout de bras (tatoués) l'avenir d'un bouiboui familial dysfonctionnel dont il a hérité. Le beau gosse s'appelle Calmy, la trentaine ébouriffée, mais aussi creusée par l'existence et la rigueur harassante des fourneaux étoilés de New York, qu'il ne pensait jamais devoir quitter.

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Tranches de vie (et de bœuf)

Sauf que son frère aîné, Mikey, s'est tiré une balle dans la tête quatre mois plus tôt. Laissant derrière lui un souk incommensurable à défaut d'une simple explication. Si Calmy a fui le «meilleur restaurant du monde» et un avenir bien tracé entre deux Saint-Jacques, c'est bien pour espérer noyer ses larmes dans sa ville natale. Et ce sera dans une cuisine, une ambiance et une comptabilité qui baignent dans leur jus.

Au menu, des tranches de vie et de bœuf en cuisson lente qui explosent en bouche.

«Ton bistro, on dirait qu’un gamin l’a peint avec son cul»
Un créancier venu toqué à la porte
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Sans surprise, en reprenant cette vieille échoppe à beef, Calmy prend des baffes. Et la première est sociale. Dans cette cuisine délabrée, loin de sa gastronomie à la perfection militaire, les éclats de voix d'une demi-douzaine d'âmes bien trempées s'entrechoquent et slaloment entre le tintamarre des lames et les tics-tacs de l'horloge. Les clients sont d'ailleurs inexistants dans The bear. Seules comptent les quelques minutes avant le coup de feu. Et les casseroles. Particulièrement celles que les protagonistes trimballent aux fesses depuis leur naissance.

Parmi eux, le gérant un peu beauf, Richie, meilleur pote macho du suicidé, qui vampirise et gueule très fort pour oublier qu'il n'a aucune autorité. Ou encore Marcus, le pâtissier discret et baraqué qui, au fil des épisodes, dévoile un tendre fétichisme pour les donuts parfaitement ronds et colorés. On y croise aussi deux vétérans du bouiboui que tout oppose, sauf le manque d'entrain naturel à suivre les nouvelles directives du talentueux gamin mal peigné.

D'ailleurs, que ceux qui ont grandi avec la série Shameless se réjouissent: Jeremy Allen White incarne admirablement ce Calmy aux yeux cristallins.

Ça, c’est la jeune Sydney.
Ça, c’est la jeune Sydney. disney+

Et puis il y a Sydney. Ce bébé cordon bleu, précoce et ambitieuse, qui manque plus volontiers d'expérience que d'orgueil. Ce qui ne l'empêchera pas d'incarner, souvent malgré elle, une certaine voix de la raison, dans le chaos des factures en souffrance et la descente aux enfers de l'ex-bobo de la Big Apple. Car Calmy n'a pas uniquement hérité d'une verrue commerciale et de (délicieux) sandwichs italiens à la viande. Il se coltine cette ribambelle de bagages émotionnels certes attachants, mais lourds et incontrôlables.

L'équation semble d'ailleurs impossible à résoudre: comment redresser les finances, l'organisation et la bouffe d'une gargote populaire, lorsqu'on a été éduqué par une toque new-yorkaise sociopathe? Lorsqu'on ressent la douleur fantôme d'une balle logée volontairement dans une cervelle familiale? Quand on a envie de tout envoyer bouler, mais que la colère souffreteuse nous menotte à la rôtisseuse?

D'autant que tout ce monde a beau tendre vers une horizontalité hiérarchique de l'époque (en s'invectivant par des «oui chef!» jusqu'au stagiaire), viser la perfection fait souvent ressurgir les travers tyranniques du métier à la moindre friction. Les quelques phalanges en sang rajoutées sur l'addition peuvent en témoigner et Calmy déglace sa mauvaise humeur dans la patience limitée de sa brigade. Les protagonistes pètent les plombs. Quand ce ne sont pas les toilettes qui dégueulent.

The bear, une série qui s'écoute en rythme

Les (deux) caméras de The bear filment d'aussi près la viande fraîche que les visages tendus. Au point de nous faire sans arrêt tanguer entre eau à la bouche et haut-le-cœur. Les coups de feu sont aussi cruels que les coups de sang. Et le spectateur n'a aucune issue de secours. Sauf quand le papa du chef-d’œuvre, Christopher Storer, le décide: les flashbacks à New York, les liens familiaux aussi effilochés qu'un pulled pork, les clopes consumées sur le trottoir et les (nombreuses) respirations hilarantes.

La cadence est maîtrisée, mais infernale. La pellicule est chaude, mais granuleuse. Les dialogues canardent autant d'insultes que de jargon du métier. Et la bande-son est d'ailleurs si dense que The bear pourrait s'écouter les yeux fermés. (Mention spéciale à l'élégance musicale, de Pearl Jam à Sufjan Stevens.)

The bear est bien plus qu'un énième témoin des cauchemars en cuisine et ne s'enlise jamais dans le pathos des quartiers populaires américains qui s'envoient de la junk food dans la panse et des poings dans la gueule. En huit épisodes qui s'avalent sans mâcher, on a plus volontiers droit à une brutale et bruyante introspection personnelle. Ici, pas de morale. Juste cette méchante boule à l'estomac, braisée à feux doux, dont tout le monde souffre au moins une fois dans sa vie.

«Y a-t-il un mot pour décrire quand tu as peur qu'un truc bien arrive, car tu penses qu'un truc mauvais va arriver?»
Calmy, dans un rare moment d'accalmie. (On vous laisse regarder la série pour entendre la réponse.)

The bear est aussi un petit doigt d’honneur à cette bistronomie moderne, qui ne peut s’empêcher d’inonder Instagram et les tables vintages de concepts, dans l'espoir d'une caresse de Gault&Millau.

Calmy et sa brigade nous rappellent que l'appétit est bête comme un muscle, que le travail d’équipe demande un chef qui comprenne son équipe et que la cuisine n'est rien sans une puissante huile de coude pressée à chaud. Sydney l'avoue d'ailleurs à sa manière: «Si je suis ici, c'est que je ne voulais pas gérer des brunchs, que Dieu me pardonne».

On ressort de là affamé et repu, épuisé et excité, mais surtout gorgé d'un espoir au réalisme foutrement rafraîchissant. De loin, la série la plus intense et la plus réussie de l'année. (On exagère à peine.)

Disponible depuis mercredi 5 octobre sur Disney+.

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