C'est un vendredi soir comme un autre dans la foule du centre-ville. La fête bat son plein lorsque soudain un barman s'en prend à une femme sans raison apparente. Il lui agrippe fortement le bras à plusieurs reprises et s'adresse à elle avec dédain en lui sommant de quitter le lieu.
L'échange musclé est désagréable, inattendu et extrêmement déstabilisant pour la victime. Les nombreux témoins de la scène ne disent rien. Il est difficile de se défendre, car la peur et la surprise paralysent. Le peu de paroles prononcées par la femme ne sont pas entendues par l'homme. De plus, il est physiquement beaucoup plus fort qu'elle.
Comment expliquer l'absence de réaction lors d'une agression verbale, physique ou sexuelle? Pourquoi les témoins ont-ils du mal à réagir? Et surtout, vers qui se tourner pour demander de l'aide?
Nous sommes allés poser ces questions à deux expertes. Voici leurs réponses.
«On ne choisit pas la manière dont on réagit sur le moment», explique Dre. Alessandra Duc Marwood, médecin adjointe au centre de consultation Les Boréales du Chuv (service destiné aux personnes ayant subi des violences ou abus sexuels dans le cadre de la famille).
Face à une agression, trois stratégies de survie sont adoptées: faire le mort, fuir ou se battre (en anglais, freeze, flight ou fight). Dans un cas de stress majeur, des hormones de stress sont libérées. Elles envahissent l'espace cérébral et déconnectent la partie du cerveau qui permet de réfléchir ou de réagir rapidement.
«La stratégie de survie se met en place sur le moment selon les possibilités à disposition», poursuit la doctoresse.
De plus, dans une situation exceptionnelle jamais expérimentée, notre cerveau ne dispose pas d'un schéma clair, car il n'a pas acquis les informations nécessaires qui permettent de savoir comment réagir.
«Souvent, eux non plus ne savent pas quoi faire», précise la doctoresse. Les personnes autour peuvent être déconnectées de ce qui se passe, avoir peur ou être en train de «faire le mort». Elles mettent également en place des stratégies de survie, car l'agression active les mêmes peurs chez elles que chez la victime.
Comment peut-on réagir dans ces situations? «Il faut appeler la police au 117», insiste Albane Bruigom, cheffe de l'unité de la police de Lausanne dédiée aux victimes de violences. Sa réponse est sans équivoque. Pourtant, de nombreuses victimes ne pensent pas à contacter les autorités, par certitude qu'elles ne se déplaceront pas, parce qu'elles choisissent un autre moyen de défense ou parce qu'elles ne savent tout simplement pas quoi faire.
«Il n'y a pas besoin d'avoir du sang sur le trottoir» pour solliciter une intervention, assure Albane Bruigom. Une fois sur place, la police prend acte de ce qui s'est passé, récolte les déclarations, apaise la situation et explique les procédures, par exemple si un dépôt de plainte est possible (et souhaité).
La cheffe de l'unité spéciale assure qu'une intervention «fait toujours son effet» et a majoritairement tendance à calmer l'agresseur.
Si celui-ci n'est pas identifié ou quitte les lieux, des témoins ou le matériel de vidéosurveillance peuvent aider à le retrouver. «Adressez-vous aux employés ou au service de sécurité de l'établissement, en attendant que la police arrive sur les lieux. Ils pourront peut-être le reconnaître.»
Dre. Alessandra Duc Marwood recommande quant à elle (dans la mesure du possible) d'appeler au secours, de hurler, de demander l'aide des témoins. Cela permettra d'en sortir certains de leur état de sidération. Pour pouvoir se préparer au mieux, elle préconise aussi d'apprendre une stratégie de combat ou de faire des cours de self-défense, afin «d'acquérir une plus grande palette de stratégies de survie à disposition, qui permettent d'agir sans devoir réfléchir».
«De nombreuses victimes ressentent un sentiment de honte après une agression. Elles se sentent responsables et pensent qu'elles auraient pu se comporter différemment», décrit la doctoresse. Et pour cause:
L'épilogue de notre soirée semble donner raison à la spécialiste: une partie des témoins présents sur les lieux a effectivement minimisé l'agression. Dre. Alessandra Duc Marwood rappelle cependant qu'il n'y a pas une agression plus minime qu'une autre et qu'il ne faut jamais laisser passer.