Lorsqu'ils font connaissance, au milieu de l'été de 1971 et d'un terrain de polo au Great Windsor Park, rien ne laisse augurer du rôle déterminant que jouera un jour cette amusante jeune femme de 24 ans, trépidante et sociable, auprès du futur souverain. Pour l'instant, Camilla Shand est juste une fille populaire, cool et exubérante. Infiniment séduisante. Une tentatrice digne des livres de contes.
«Sexy Shand» porte bien son nom. Plus sexy que jolie, avec sa tignasse épaisse, sa voix grave, son rire profond et contagieux. Un physique accoutumé à l'effort, aux longues promenades à cheval et avec les chiens. «Terreux», décrivent ceux qui la connaissent . Et en anglais britannique, c'est un compliment. Sans compter cette personnalité «chaleureuse, amicale, drôle», résume l'autrice Kate Mosse, subjuguée, après leur rencontre dans la queue pour les toilettes, à un dîner.
Au début des années 70, il n'en faut pas plus pour que cette débutante délicieuse et sincèrement dépourvue d'ambition fasse un carton au sein de la bonne société londonienne. Après des études en Angleterre et en Suisse, qui se résument à l'apprentissage du rôle de lady et de parfaite épouse d'aristocrate, Camilla Shand n'aspire qu'à s'amuser et vivre d'amour, de grand air et d'eau fraîche. Être reine? Et puis quoi, encore?
C'est sans doute ce naturel qui désarme le jeune Charles, d'un an son cadet. Ce caractère solaire, calme et terre-à-terre l'apaise, lui, le prince en carence affective qui a toujours eu tendance à s’apitoyer sur son sort. D'autant que Camilla est sans doute la seule personne à le traiter d'emblée comme un être humain normal. Voire à le rabrouer quand il se comporte comme un enfant gâté.
Avant d'être une maîtresse, Camilla est une véritable amie. Lors de leurs rencontres, à l'occasion d'un dîner mondain ou d'une partie de chasse, le monde peut bien disparaître. Rien ni personne n'existe plus. Il n'y a guère qu'une institution millénaire pour résister à l'ouragan. La monarchie.
Au fond, Charles et Camilla ne se sont jamais bercés d'illusions. La maîtresse royale sait qu'elle ne «conviendra» jamais. Ni assez jeune ni assez jolie, et, surtout, pas assez vierge pour espérer s'unir un jour avec l'héritier du trône britannique. Si Camilla s'en accommode, en tombant amoureuse de son premier mari, le fringuant officier de cavalerie et très séduisant Andrew Parker Bowles, Charles le vit nettement moins bien.
Mais le prince de Galles a grandi avec un certain sens du devoir. Il sait quels ravages peut provoquer le choix de la «mauvaise femme». Le traumatisme de l'abdication de son grand-oncle, Edward VIII, pour épouser Wallis Simpson, imprègne encore les murs et les moquettes du palais de Buckingham. Comme une odeur de moisi.
C'est un prince vaguement mélancolique qui s'embarque dans la Royal Navy, en 1973, pour de longs mois loin de sa Camilla. Un mois plus tard, les jeux sont faits. Son amante se fiance avec Andrew Parker Bowles. Lorsqu'il apprend la nouvelle dans les pages du London Times, Charles est à près de 7000 kilomètres de là. Impuissant, coincé dans les eaux turquoise des Caraïbes. Des initiés glissent que, blessé, il coupera les ponts pendant six mois. Il ne tiendra pas bien longtemps. Les amants reprennent leur affaire en 1978.
L'heure n'est pas au batifolage, pourtant. Pour l'éternel célibataire «le plus prisé du Royaume-Uni» de 32 ans, il y a urgence. La Couronne a besoin d'un héritier et le bassin de prétendantes collant au profil idéal (une jeune et jolie vierge de confession protestante) diminue dangereusement. Sous pression médiatique, dynastique et familiale, le choix de Charles se porte finalement sur une certaine Lady Diana Spencer. Une erreur monumentale. Les conséquences dévastatrices de cette union, prononcée le 29 juillet 1981 devant 750 millions de téléspectateurs, se font sentir encore aujourd'hui.
En coulisses, alors que le monde s'extasie sur ce couple de contes de fées, le cauchemar a déjà commencé. Quelques jours avant de monter l'allée, la future mariée a déniché dans les affaires de son promis, le ventre noué, un bracelet gravé aux initiales «GF». Est-ce pour «Glady&Fred», l'émission radio dont raffolent Charles et Camilla? Ou «Girl Friday», un surnom dont le prince affuble son ancienne maîtresse? L'histoire ne le dit pas et le résultat reste le même. Le futur roi est définitivement hanté par son histoire d'amour impossible.
Du côté de Camilla, les vrais problèmes commencent. Cette intruse qui a osé tenter de «rivaliser» avec la princesse du peuple. Face au trésor national et objet d'adoration mondial, elle est le «rottweiler», la cible du dégoût des ménagères et des tabloïds.
Tout au long des années 90, un scandale succède à un autre. Des punchlines froides de la princesse de Galles en interview aux ripostes ratées et maladroites de Charles, en passant par les écoutes téléphoniques, les intrusions dans sa vie privée et son propre divorce.
Et si les choses semblent enfin s'apaiser après le divorce du prince et de la princesse de Galles, le répit de Camilla sera de courte durée. En l'espace d'une nuit tragique d'août 1997, la princesse des cœurs disparaît brutalement et la «troisième personne du mariage» devient l'exutoire de la douleur d'un pays.
Recluse dans sa maison de Ray Mill House, l'amante royale laisse couler et attend. Stoïque. Bien avant qu'elle ne rejoigne la famille royale, la femme la plus détestée du pays a intégré leur mantra: Never complain, never explain.
Derrière la façade, toutefois, on murmure que, aujourd'hui encore, la reine porte les stigmates de cette période. «Camilla a définitivement des cicatrices du passé, lorsqu'elle était l'ennemie publique n°1», glisse un ami au Telegraph. Et même si elle entretient désormais une franche camaraderie avec le public, une aisance que peu d’autres membres de la famille royale peuvent revendiquer, «elle peine toujours à s'attendre à un accueil chaleureux».
La réhabilitation publique prendra des années. Un labeur patient et silencieux. Camilla ne décourage pas. Petit à petit, elle vient à bout des résistances des Britanniques et de cette Firme qui ne veut pas d'elle. A commencer par sa belle-mère, la reine Elizabeth. Non pas que les deux femmes ne s'apprécient pas personnellement. Il est entendu que, bien avant les scandales, Elizabeth et Camilla, qui partagent de nombreux points communs, s'apprécient. Mais la reine est surtout exaspérée devant l'incapacité de son fils à faire fi de ses sentiments et à faire passer le sens du devoir avant ses apitoiements.
La reine finira par admettre que son successeur s'est trouvé en Camilla la partenaire idéale pour partager cette vie de souverain souvent étrange, parfois solitaire. «Il est très, très chanceux d'avoir trouvé son âme sœur. Tous les deux sont très proches, ils travaillent parfaitement ensemble», confirme l'expert royal Richard Fitzwilliams, au quotidien britannique Metro.
Là où Charles peut se montrer irritable, capricieux et sujet à l'abattement, sa moitié est imperturbable, stable et résiliente. Tous les membres du personnel du palais vous le diront: alors que l'irritabilité et les crises de colère du patron sont légendaires, Camilla leur facilite grandement la vie. «C'est le yin et le yang», va jusqu'à affirmer sa sœur, Annabel Elliot, sur la BBC.
Souvenez-vous, en septembre 2022, quelques heures après la mort d'Elizabeth II, lorsqu'un Charles épuisé et à bout de nerfs, s'emporte comme un enfant contre son stylo-plume. Camilla, sereine, absorbe la crise de nerfs en silence. La reine murmure quelques mots rassurants, avant de s'asseoir avec l'outil incriminé, pour apposer sa propre signature. Un flegme tout britannique dont elle n'a cessé de faire la démonstration, tout au long des 17 mois de règne.
Alors que son mari a entamé il y a quelques mois son traitement contre le cancer, une période forcément difficile et pleine d'incertitudes, Camilla s'est révélée plus cruciale que jamais. Mais rassurez-vous: «C'est une putain de brique», clamait en février dernier un ami proche, au Daily Mail. Une brique, un rocher. Non seulement pour Charles, mais aussi pour la monarchie. Comme s'il fallait encore une preuve que cette femme solide et déterminée de 77 ans, loin d'être une faiblesse, est une force.
Cet article a été initialement publié le 11 février 2024. Il a été mis à jour et republié.