L'homosexualité est-elle taboue au Maroc?
Maryam Touzani: Pire, c'est un délit interdit par l'article 489 du Code pénal. La personne qui se fait prendre peut être condamnée à trois ans de prison. C'est une honte.
Pourquoi ce film?
Je ne fais pas de films pour lutter contre les lois. Pour cela, il y a d'autres moyens. Le point de départ a été un homme de Casablanca que j'ai rencontré lors des recherches réalisées pour mon premier film Adam. Il m'a tout de suite marqué.
Pourquoi?
Il était coiffeur et je sentais qu'il cachait une partie de sa vie. Ce n'était peut-être que le fruit de mon imagination, nous n'en avons jamais parlé. Mais il gardait probablement certaines choses secrètes. J'avais déjà rencontré ce genre de personnage dans mon enfance. Généralement, on comprend la situation sans trop poser de questions. Mais cette fois-ci, j'ai voulu me pencher sur son cas.
Pourrez-vous projeter votre film au Maroc?
Oui, mais je ne sais pas comment il sera accueilli. Il faut espérer qu'il provoquera un débat. Jusqu'à trois ans de prison pour l'homosexualité? Ce n'est pas possible. L'amour ne devrait jamais être condamné.
Cette peine est-elle réellement mise en pratique?
La menace et les jugements sont présents et existent.
Pourtant, au Maroc, il existe des bains publics où les hommes et les femmes homosexuels peuvent se rencontrer.
Les hammams permettent peut-être de brèves rencontres sexuelles, mais pas de véritables relations. Deux hommes ou deux femmes ne peuvent pas décider de passer leur vie ensemble au Maroc.
Pouquoi Le bleu du caftan?
Ce vêtement est également lié à des souvenirs d'enfance. Le caftan était accroché dans l'armoire de ma mère. Enfant, je l'admirais en pensant: qui sait, peut-être que je pourrai le porter quand je serai grande. La sensation de le toucher est merveilleuse. On sent combien d'heures de travail ont été nécessaires pour le fabriquer, des jours, voire des mois.
Vous avez également voulu rendre hommage à ce métier ancien?
Oui car malheureusement c'est un métier qui se perd. Il n'y a pratiquement plus de jeunes qui veulent l'apprendre. Nous vivons dans un monde où tout doit se faire à la vitesse de la lumière. C'est triste. Certaines traditions doivent être préservées, d'autres remises en question.
Le personnage principal incarne cette idée.
Exactement. Halim est un tailleur passionné. J'ai toujours vu le film comme une sorte de double déclaration d'amour: à son métier et à sa personne.
En tant que femme, comment cela se passe-t-il pour vous de tourner des films au Maroc, dans une société encore patriarcale?
Honnêtement, cela n'a jamais été un frein. J'avais les mêmes possibilités que les hommes.
Comment avez-vous trouvé votre voie en tant que réalisatrice?
A la mort de mon père, j'ai réalisé mon premier court-métrage. Pourquoi? Parce qu'en tant que femme, il y a des choses que je n'ai pas le droit de faire, par exemple aller au cimetière pour enterrer quelqu'un. Ce n'est pas interdit, mais contraire à la tradition. Je me suis battue contre ça.
La mort joue également un rôle central dans Le bleu du caftan. Pourquoi?
C'est un sujet qui me préoccupe depuis mon court-métrage. Rien de morbide, je pense simplement que plus on est conscient de sa propre mortalité, plus on peut vivre en toute conscience. Le fait qu'un de mes personnages soit confronté aussi directement à la mort m'a permis de dire d'autres choses plus facilement, cela a été une sorte d'accélérateur. Et puis... il y a autre chose.
Comment ça?
C’est compliqué à formuler. Mais j'aimerais savoir quand est-ce que je vais mourir. Beaucoup de gens ne comprennent pas. Peut-être que je suis morbide, après tout? C'est difficile à dire.
Une dernière question pour conclure: où se trouve le caftan de votre mère?
Chez moi, dans l'armoire. Je le sors lors d'occasions particulières.
«Le bleu du caftan» est disponible sur les écrans romands depuis le 22 mars 2023.