Il s'appelle Jeremy Meeks et son visage est visible sur la place du Marché à Vevey (VD), par exemple, ou dans les trains CFF. Vous ne le connaissez pas? Le beau gosse et mannequin-acteur, dont la carrière a démarré le 18 juin 2014 – par hasard. La diffusion de sa photo sur le compte Facebook du département de la police de Stockton, en Californie, a provoqué une déferlante de commentaires et de likes sous la photo du caïd de 30 printemps.
Depuis son «mugshot» (une photo prise par les autorités au moment de l'arrestation) au buzz planétaire, son visage lui garantit pas mal de fric et l'industrie de la mode lui a ouvert grand les bras. Une nouvelle vie s'offre à celui qui a été reconnu coupable de vol aggravé et port d'armes illégal.
Et si je vous raconte tout ça, ce n'est pas pour exiger qu'on boycotte le bonhomme. Jeremy Meeks a purgé sa peine, il peut bien s'afficher sur les écrans de Times Square si ça lui chante. Mais l'ex-détenu offre un miroir intéressant à nos passions actuelles.
Récemment, l'écrivain Sylvain Tesson a été cloué au pilori pour ses fréquentations avec l'extrême droite. Une tribune parue dans Libération exigeait qu'il ne soit pas le parrain du Printemps des poètes. Le célèbre auteur français a alors répondu lors du 20h de France 2:
Et c'est bien ça le problème. L'écrivain est menacé de boycott alors qu'il n'a jamais été condamné par la Justice. Jeremy Meeks, lui, est officiellement un criminel. Il a purgé 27 mois de prison, mais cela n'a jamais été un obstacle à sa carrière.
Vous la voyez l'indignation à deux vitesses?
Car Sylvain Tesson n'est pas le seul concerné. Dans le monde de la culture, du sport et de la mode, où le moindre écart est sanctionné par une mise au ban, la justice est souvent reléguée au second plan. L'opinion publique tranche dans le vif. Kevin Spacey, Armie Hammer, Johnny Depp, pour n'en citer que quelques-uns, ont été sous le feu des critiques et visés par des boycotts violents alors même qu'ils ont été blanchis par la justice.
Il n'est pas question de savoir qui est coupable ou innocent, qui est plus fréquentable ou l'est moins, mais plutôt de rester droit dans ses bottes. L'exemple de Jeremy Meeks est édifiant, puisque si nous suivons la logique de notre époque, c'est un boycott professionnel et social en bonne et due forme qu'aurait dû prendre dans les gencives le «détenu le plus sexy d'Amérique».
Alors pourquoi Jeremy Meeks réussit-il à passer miraculeusement entre les mailles du filet dans une ère où l'hygiénisme règne en maîtresse?
Sois beau et tais-toi, Jeremy.
Surtout, Meeks n'a pas de passé, n'a pas à étrenner la pancarte de célébrité. Avant, il n'était personne, il était un simple caïd des quartiers de Stockton, sans pédigrée, dont la célébrité lui est tombée dessus du jour au lendemain. Il n'incarne pas grand-chose qu'un simple visage, qui lui permet d'enjamber les tourments de l'opinion publique.
Evitez d'avoir un passé glorieux, évitez d'être trop intelligent (ou de le paraître).
L'exemple du mannequin-acteur est une bonne leçon de morale typique de notre ère pour cerner le fonctionnement de notre société et son baromètre d'acceptation.
Si vous voulez boycotter, au moins soyez cohérents.