«Le principe n'est pas de vous faire peur». C'est ainsi que Stéphane Justin introduit ce qu'il s'apprête à nous faire vivre: une séance d'hypnose. Hypnotiseur professionnel, actif tant dans le domaine thérapeutique que dans celui du spectacle, l'homme a une mission ambitieuse: nous faire accomplir «un voyage dans l'espace et dans le temps». La destination? La Grèce antique.
Nous sommes à Bâle. La séance d'hypnose suit une conférence de presse organisée pour présenter la prochaine exposition du Musée d'Art et d'Histoire de Genève, appelée «Archéologie des fluides». Elle s'interroge sur la capacité des oeuvres d'art à nous transporter à travers les époques, jusqu'au moment de leur conception. Pour nous donner un avant-goût de cette sorte de voyage spatio-temporel, les responsables ont décidé de faire appel à Stéphane Justin.
Pascal Rousseau, commissaire de l'exposition, explique:
L'hypnotiseur prend la parole. «Je ne vais pas prendre le contrôle de votre corps ni de votre esprit», nous rassure-t-il. «Je vais me contenter de vous guider. Pendant la prochaine demi-heure, je vais vous faire vivre une aventure.»
On plonge dans le noir. Avec une certaine appréhension, pour ce qui me concerne. Je n'ai pas peur que Stéphane Justin prenne le contrôle de mon corps, mais de l'inverse, en quelque sorte. Que ça ne marche pas, que je réfléchisse trop. Sans oublier que fermer les yeux entouré d'inconnus n'est pas une sensation à laquelle je suis habitué. On verra bien.
Il s'agit d'abord de trouver une posture confortable. Déplier les jambes, tenter de s'allonger, adhérer au dossier de la chaise en fil. «Vous allez tranquillement laisser votre corps se détendre», reprend l'hypnotiseur. A ce moment, une musique feutrée commence à se répandre discrètement dans la salle. Elle accompagne la voix calme et agréable de Stéphane Justin pendant le reste de la séance.
Ce dernier commence à s'attaquer à notre respiration, qui, des poumons, doit en quelque sorte se déplacer vers l'estomac. «Respiration abdominale», précise la voix de Stéphane Justin. «Très efficace pour se détendre».
Je m'exécute. Enfin, je tente. Car ce n'est pas évident de respirer avec le ventre. Je suis peut-être encore dans le contrôle, mais je cherche à me laisser aller. Vider la tête, s'enfoncer dans la chaise. L'hypnotiseur nous exhorte, toujours très calmement, à nous relaxer. «Agréable», «plaisant», «relaxant» sont des mots qui reviennent souvent.
Et là, quelque chose se produit. L'espace d'un instant, je ressens une couche d'air chaud et collant sur mes joues. C'est rapide, mais je comprends que ça fonctionne. Que mon organisme commence à entrer dans une autre dimension.
«Laissez la détente envelopper votre visage, tous les muscles de votre visage. Ceux de votre front, de votre tempe, de vous sourcils...», énumère Stéphane Justin. Qui commence à passer en revue chaque muscle, chaque morceau de notre corps. Pour les détendre et, je commence à m'en apercevoir, les éteindre, un par un.
Puis les épaules, le cou. Les jambes, les orteils. Petit à petit, le corps relâche sa tension. Et, ce faisant, il s'alourdit. Tout en plongeant dans un état de relaxation encore plus profond. Une «lourdeur agréable», comme l'appelle Stéphane Justin, gagne mon organisme. Il nous invite à l'accueillir.
Mon corps commence à céder sous le poids de sa propre lourdeur. La tête s'enfonce dans mes épaules, puis commence à se pencher en avant, vers mon ventre. Je plonge dans moi-même. Les muscles de ma bouche se relaxent complètement, j'ai l'impression que mes pieds pénètrent dans le plancher. Mon corps me quitte, ou je quitte mon corps. Il est, comme le dit Stéphane Justin, «à la fois là, et ailleurs». C'est agréable.
Je suis simultanément absorbé et lucide, alors que mon corps s'endort, littéralement. Je me rends compte que je ne sens plus mes mains. Elles sont posées sur mes genoux. Je n'arrive pas à les bouger. Je n'arrive pas à redresser ma tête, bien que celle-ci commence à peser sur mon cou. Je ne peux pas ouvrir les yeux. Ou, plus précisément, oui, je pourrais. Mais je sens que je ne veux pas, que ce n'est pas le bon moment, que ça me coûterait un effort considérable. L'espace d'un instant, cette sensation m'inquiète. Mais la voix calme de l'hypnotiseur, la musique me tranquillisent. Je bouge légèrement un doigt.
Pour passer de l'état de relaxation à l'état hypnotique proprement dit, Stéphane Justin nous annonce qu'il va décompter, de dix à un. «Dix. Neuf. Huit. Plus on se rapproche du chiffre un, plus vos ondes cérébrales ralentissent. Sept. Six...» Je me demande bien ce qu'il va se passer lorsqu'il aura prononcé le dernier chiffre.
«...Un».
Pas grand-chose, mais c'est vrai que je me trouve déjà dans un état assez incroyable. Confusément, je me dis que ça doit être ça, l'hypnose. En tout cas, nous sommes prêts pour la deuxième partie de sa séance. Le voyage spatio-temporel.
Pour ce faire, l'hypnotiseur nous raconte le périple d'un jeune Athénien. Nous sommes invités à suivre ses pas, s'identifier à lui, voir le paysage à travers ses yeux. Son voyage le mène de la capitale à l'île de Délos, en passant par Delphi et Alexandrie.
La musique se fait plus suggestive, légèrement exotique, Stéphane Justin évoque des lieux, des paysages, des scènes de vie. Je reste dans mon état de relaxation profonde, mais une partie de moi arrive à percer la couche envoûtante qui entoure mon subconscient pour se demander si tout cela peut bien marcher.
Je ne sais pas si mon esprit rationnel commence à reprendre le dessus, mais l'effet me semble mitigé. Bien sûr, des images surgissent. Des paysages arides, la mer azur, des statues blanches défilent dans ma tête, mais je ne peux pas dire que cela suscite une sensation particulièrement intense. Il faut aussi dire que ma posture flasque commence à devenir inconfortable. J'ai peut-être recommencé à (trop) réfléchir.
Le corps, lui, reste profondément prostré. A tel point que, lorsque Stéphane Justin annonce qu'on va bientôt sortir de l'état hypnotique, une légère inquiétude s'empare de moi. Réussirai-je, le moment venu, à ouvrir les yeux? Mon corps parviendra-t-il à retrouver le mouvement? Je me rends compte qu'il s'agit de questions improbables, mais je ne peux rien y faire.
Comme il y a quelques minutes, l'hypnotiseur procède à un décompte. Cette fois, de un à dix.
Les chiffres s'enchaînent, une sensation étrange gagne mon corps. J'ai envie d'ouvrir les yeux, de retrouver le mouvement. Mais j'hésite, j'attends la fin du décompte.
«...Neuf. Et, à votre propre rythme, à compter de maintenant... dix.» Soudainement, j'ouvre les yeux. C'est comme remonter à la surface depuis le fond d'un étang. Traverser, en un bref instant, une couche d'eau dense et visqueuse. Mon corps est engourdi, mes mains aussi. Elles retrouvent le mouvement. Les personnes qui m'entourent regardent autour d'elles, légèrement désorientées. Il me faut quelques secondes pour retrouver mes esprits.
Que retenir de l'expérience? Je ne peux pas dire que la deuxième partie de la séance ait été très efficace, mais, en retrouvant progressivement mes facultés physiques, je comprends à quel point j'étais loin. A quel point l'état relaxation où l'hypnotiseur m'a plongé était profond, intense.
D'autant plus qu'il l'avait dit, avant de commencer: «Vous n'allez pas perdre la conscience de ce qui vous entoure, vous allez rester conscients que, quelque part, vous êtes ici, mais, en même temps, dans l'aventure».
Je n'ai donc peut-être pas foulé le sol de la Grèce antique, mais j'ai sondé les profondeurs de moi-même de manière inédite. Ce qui, d'une certaine manière, est encore plus intéressant.
L'exposition «Archéologie des fluides» est à découvrir au Musée d'Art et d'Histoire de Genève du 19 juillet au 27 octobre 2024.