Ce n'est pas parce que leurs œuvres d'art étaient hyper moches et qu'on les considère toujours – à tort – comme des barbares arriérés, que les hommes et femmes du Moyen Age étaient sinistres. Le manuscrit de Heege, dont des extraits viennent d'être publiés, en est la preuve.
C'est en farfouillant les étagères de la Bibliothèque nationale d'Ecosse que le chercheur britannique James Wade est tombé sur un curieux ensemble de textes. Un véritable «festin comique», qu'il trouve tellement poilant qu'il décide d'y consacrer une étude approfondie. A l'intérieur de ce bouquin, vieux de cinq siècles: des récits burlesques, des blagues sur les seigneurs comme sur la plèbe, ou encore des appels à la débauche et à la picole. En somme, une sorte de mode d'emploi pour les premiers pratiquants de stand-up.
Le manuscrit de Heege a été retranscrit vers 1480 dans la région des Midlands, en Angleterre, par un certain Richard Heege (d'où le nom du bouquin, vous avez pigé). Si vous voulez vous faire une idée, il devait ressembler à ça. 👇
Il faut croire que cet éminent membre du clergé et de la noblesse anglaise s'ennuyait ferme pendant une soirée, vu sa phrase d'introduction:
Oui oui, c'est méta, on vous l'accorde. Mais c'est justement cet autoréférencement qui confère à ce livre une sensibilité moderne très étonnante.
En fait, Richard de Heege n'a inventé aucune des blagues de son livre. Le scribe s'est contenté de recopier ses sketches préférés, piqués à un ménestrel de l'époque, et de les rassembler dans un seul et même ouvrage.
Si votre mémoire médiévale vous fait défaut, un ménestrel désigne ces humbles artistes qui voyageaient de châteaux en château pour chanter des contes sur le train-train quotidien des paysans. Etant donné que la plupart de ces braves gens étaient analphabètes, peu de traces écrites de leur répertoire comique ont été conservées. D'où l'intérêt du manuscrit de Heege.
Plus intéressant encore: le livre est bourré des notes et d'aides-mémoires pour la performance en direct du ménestrel. Les scènes s'avèrent parfois si absurdes qu'il était indispensable de les mettre par écrit, faute de réussir à les mémoriser.
Méchant, sarcastique, court, souvent grossier et très bien adapté aux pauses entre les repas, le livre comprend notamment un récit comique sur un lapin tueur digne de Monty Python, un faux sermon qui tourne la noblesse en ridicule, une invitation à se saouler et une bonne dose de blagues paillardes et absurdes.
Bref, un tableau assez complet l'humour anglais de la fin du Moyen Age. Pas si différent de celui d'aujourd'hui, alors que l'autodérision reste la base de la comédie stand-up britannique. Qu'on adore, ou qu'on déteste.