Vendredi 7 février, Louise a été poignardée à mort à Epinay-sur-Orge, en France. Elle avait 11 ans. Après leur enquête, les forces de l'ordre ont interpellé Owen L., âgé de 23 ans. Ce dernier est rapidement passé aux aveux durant sa garde à vue, révélant qu'une dispute en ligne avec un autre joueur sur Fortnite l'aurait poussé à commettre le crime. Il n'en a pas fallu beaucoup plus pour relancer le débat sur le lien de causalité entre violence et jeux vidéo, comme à chaque fois qu'un déséquilibré passe à l'acte en ayant le gaming parmi ses hobbies.
Si le jeu vidéo rassemble désormais près de trois milliards de personnes dans le monde, ce dramatique fait divers n'a pas manqué de relancer le débat autour de son impact sur la société. C'est évidemment sur C8, la chaîne polémiste de Vincent Bolloré (dont l'existence est désormais menacée), que le sujet a été abordé, sur le plateau de Pascale, Eric, Yann et les autres, ce 13 février. L'écrivain et réalisateur Yann Moix, que vous connaissez sûrement pour ses aventures tendancieuses avec Gérard Depardieu en Corée du Nord, a souhaité livrer son point de vue sur le sujet. Comme à son habitude, il n'a pas hésité à user de tout son mépris pour afficher son avis.
Sur CNews, autre chaîne réactionnaire du groupe Bolloré, on a pu assister à l'expertise de la psychanalyste Laura Lehber, qui a affirmé que «le risque d’agression chez les jeunes qui jouent aux jeux vidéo est similaire à celui des consommateurs de cocaïne ou de MDMA».
Ce genre d'arguments, on les entend depuis 1992, avec l'arrivée de Mortal Kombat, le premier jeu vidéo violent à avoir été diabolisé, puisque l'aspect ludique du jeu vidéo a toujours été rattaché à l'enfance. Depuis, un schisme s'est installé, entre ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas, totalement déconnectés les uns des autres. Les «gamers» restent encore victimes de stéréotypes et de préjugés profondément ancrés, souvent peu flatteurs.
Il serait peut-être bon de rappeler à Monsieur Moix qu'en Europe, 75 % des joueurs sont des adultes, dont l'âge moyen est de 31 ans, et que 54% des Européens jouent aux jeux vidéo, soit une personne sur deux. Ce qui fait, tout de même, beaucoup de «demeurés».
Premièrement, il est important de rappeler que les études scientifiques actuelles ne démontrent aucune corrélation entre les jeux vidéo et les comportements violents dans la réalité. Au contraire, selon une étude de l'université de Stanford, des scientifiques ont constaté que les enfants jouant aux jeux vidéo au moins trois heures par semaine obtenaient de meilleurs résultats aux tests que ceux qui ne jouaient pas du tout. Une autre étude menée par une équipe de l'Université d'Oxford révèle que jouer aux jeux vidéo de manière intensive n'aurait pas d'impact significatif sur la santé mentale des joueurs adultes.
Cependant, le jeu vidéo peut être vécu comme une échappatoire, et comme tout refuge, il peut être lié à un mal-être qui va rendre la pratique excessive et conduire à des conséquences négatives significatives. Si l'usage du jeu vidéo peut déclencher des violences chez certaines personnes, c'est avant tout parce que celles-ci présentent à la base des vulnérabilités psychologiques, familiales ou socio-économiques, qu'elles cherchent à oublier en se distrayant.
Ce n’est pas le fait de jouer qui est négatif, mais plutôt le fait de sacrifier ses heures de sommeil ou de ne pas privilégier d'autres activités. Quelqu'un qui passerait des heures à lire un roman de Yann Moix, à regarder C8 ou à scroller sur TikTok jusqu'à tard n'en tirerait aucun bénéfice cognitif, alors qu'avec les jeux vidéo, c'est au moins possible.
Quant à Fortnite, cessons de le diaboliser à tout prix. Beaucoup de parents, qui n'ont jamais pris la peine de s'intéresser aux hobbies de leurs adolescents, se focalisent uniquement sur l'aspect violent du jeu, alors qu'il ne l'est pas plus que des pistolets NERF tirant des projectiles en mousse. Ce jeu, le plus populaire chez les 16-25 ans, offre aussi de formidables opportunités de socialisation, puisqu'il s'agit d'un jeu communautaire où les joueurs peuvent s'affronter et s'entraider. Sans compter toutes les exigences cognitives que ce type de jeu implique, comme la vigilance, la capacité d'adaptation aux situations et la stratégie. Ce n'est donc pas pour rien que ce jeu est devenu une discipline d'e-sport.
Les jeux vidéos sont avant tout des œuvres de divertissement au même titre que le cinéma, les livres ou la musique, et pour certains, des œuvres d'art à part entière, qui combinent le meilleur de chaque médium. Certains jeux disposent d'une mise en scène qui n'a rien à envier au 7ᵉ art ou se dévoile avec de nombreux textes à lire qui tiendraient dans un roman.
Si Yann Moix avait pris la peine de jouer à Assassin's Creed, peut-être aurait-il pu, comme moi, explorer l'Antiquité égyptienne ou grecque d'une manière aussi enrichissante qu'une visite de musée. Je le défie également de résoudre une énigme de Myst, de ne pas rester insensible aux moments bouleversants de Life is Strange ou The Last of Us. Peut-être même que cultiver son jardin dans Animal Crossing l'aurait rendu un peu moins aigri.
Le problème avec les gens comme Yann Moix, c'est qu'ils sont des ignorants aveuglés par leur propre vanité et leur élitisme. Les mêmes qui vous diront que la bande dessinée, ce n'est pas de la littérature et que le rap, ce n'est pas de la musique. En tout cas, sachez-le, je suis très fier d'être un demeuré. Ce qui est sûr, ce que ce ne sont pas les jeux vidéo qui ont pu vous rendre si misogyne, vous qui, selon les dernières révélations du journal Libération, disiez à votre ami Gérard «qu'il faut cogner les femmes».