Les interrogations sur l'intelligence artificielle (IA) touchent désormais le divertissement pour adultes. L'essor des modèles générés par la technologie ne fait que commencer, si bien que lorsque nous entendons parler de la création de modèles IA pour générer de l'argent sur OnlyFans, l'idée première était d'essayer l'expérience et de créer un avatar.
Nous nous sommes adressé à James*, qui s'est plongé dans le sujet comme il nous l'explique en quelques mots: «Le projet est parti d'un délire de deux gars qui aiment modéliser des personnages sur des jeux vidéo».
Une fois la discussion lancée, il décrit le processus créatif et les chemins de traverse pour y parvenir. Car il y a un bel obstacle pour procéder à la création de contenus dits explicites en Suisse. L'opération n'est pas simple; il n'est pas facile de vendre les charmes d'un modèle IA pour son créateur et d'empocher de gros sous. Il y a, outre un dilemme éthique, les différentes lois sur le numérique.
Car il y a une chose à savoir, fondamentale:
C'est là où le bât blesse.
Un petit coup de fil au Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence nous le confirme: «Les droits des personnes concernées en matière de protection des données découlent en premier lieu de l'art. 28a CC. Des prétentions pénales sont également envisageables».
James nous confirme que la Suisse est très pointilleuse concernant la diffusion de contenus; les lois sont strictes sur la protection de la vie privée, le droit à l'image et la lutte contre la cybercriminalité.
Pour faire simple, toute personne détient un droit sur sa propre image. Dès qu’une personne représentée est reconnaissable sur une photo, celle-ci est considérée comme une donnée à caractère personnel.
Pour mener à bien le projet, les deux acolytes ont donc décidé de se débarrasser de tout embêtement, en misant sur les «feet pics», les photos de pieds, en français dans le texte. Il n'y avait donc jamais de visage et aucune partie corporelle n'est présentée aux futurs abonnés.
Pour ce faire, notre interlocuteur nous expose les bases: il a acheté une prothèse de pied (sur un site chinois) et l'a ensuite photographiée sous différents angles, avant de modeler les clichés avec l'intelligence artificielle.
Si les lois sont déjà assez complexes pour mener à bien l'entreprise, la création de l'avatar demande également beaucoup de ressources et de connaissances.
«Le logiciel Blender est recommandé pour façonner son modèle 3D, tout en y ajoutant le moteur graphique Metahuman de Unreal Engine pour finaliser la création d'avatars ou de membres (corporels) réalistes», complète James.
Une fois que le modèle est défini, il est possible de dupliquer l'exemple et le générer à l'infini grâce à des «prompt». Un quoi? Un prompt est une série de données fournies à un système d'IA, qui utilise ces informations pour générer des réponses ou des créations en texte, image, ou autre forme de média.
Pour passer un cap et créer un avatar avec un visage, «il faut envisager des réseaux de neurones pour la synthèse d'images. Cela s'appelle un StyleGan», renseigne James.
Mais que signifie un StyleGan? C'est un système qui dépend du logiciel CUDA de Nvidia. En gros, nous parlons d'un système neuronal artificiel capable de compulser de nombreuses photographies pour les analyser et accoucher d'une photo d'une personne – et la possibilité de produire un nombre illimité de portraits.
Pour vraiment aller jusqu'au bout, avec des travaux sur différents faciès, l'utilisation de moteurs graphiques tels que Unity peuvent générer des mimiques, des traits, des décors.
Le tout assemblé et mis en boîte, il fallait encore user d'un chatbot conversationnel, dans la même veine que ChatGPT.
Là aussi, l'organisation demande de la réflexion. «Au début, on répondait aux questions, aux requêtes. On a ensuite mis en place un chatbot durant deux mois», estime James.
Il s'est tourné vers un site de commerce électronique et a façonné une véritable étude de marché en plaquant sa stratégie à l'aide d'une carte du monde. Pour faire simple, James a ciblé les régions et les pays où ses photos plaisaient le plus souvent. «Les résultats donnaient des pays d'Asie (réd: le Japon notamment) ou encore des pays tels que l'Argentine».
Un travail d'orfèvre qui lui a permis de cumuler 5000 francs en 6 mois.
Après avoir convaincu ses fans de souscrire un abonnement, James a dû répondre à différentes demandes, parfois très étranges.
James nous assure être resté sur du basique: «Le plus souvent, c'était une manucure avec des couleurs définies ou des mains qui caressaient les pieds, ou un pied avec des bas, parfois un peu déchirés.»
Ces contenus façonnés par l'IA ne sont pas neufs sur ce genre de plateformes. Forbes consacrait un article à ses créateurs d'OnlyFans, qui apparaissent «comme des pionniers inattendus dans l'intégration de l'IA au sein de l'économie des créateurs». Leurs approches innovantes pour exploiter l'IA pour un engagement personnalisé, l'optimisation du contenu et la croissance de l'audience établissent de nouvelles normes pour ce qui est possible dans l'espace du contenu numérique, résumaient le magazine américain.
Une nouvelle tendance qu'OnlyFans surveille. Contactée, la société nous a répondu qu'elle restait attentive l'utilisation de l'IA.
Le porte-parole nous renvoie à la charte du site, qui interdit également l'usage de chatbot pour converser avec les fans. Pas d'IA sur le désormais célèbre réseau social, que de l'authentique.
*prénom d'emprunt