C'est plutôt ironique de voir Mark Zuckerberg, qui s'est enrichi en vendant les données de ses utilisateurs, insister sur la préservation de sa vie privée: le multimilliardaire de 39 ans veut à tout prix éviter que des images de son projet de construction d'un gigantesque bunker à Hawaï ne soient publiées.
Hélas. Grâce à l'enquête du magazine Wired, Zuckerberg n'a pas pu planquer longtemps le fait qu'il se concocte une véritable forteresse sur l'une des principales îles hawaïennes. Pour lui, il s'agit notamment de rassurer et de gagner la confiance de la population locale, depuis qu'il s'est payé un gros bout de ses terres.
Son arme fatale? Organiser des actions caritatives.
Mais le patron de Meta est loin d'être le seul super-riche à se préparer à l'effondrement de la société.
Le 14 décembre, le magazine américain Wired a dévoilé ce projet estimé à plus de 270 millions de dollars, dans un sujet baptisé «A l'intérieur du complexe ultra-secret de Mark Zuckerberg à Hawaï».
Au cours de leurs recherches, les journalistes ont rencontré plusieurs informateurs anonymes qui sont, ou ont été, liés au projet. De quoi plonger la tête la première dans les plans, mais aussi les documents judiciaires.
Officiellement, «personne n'est autorisé à en parler». Pratiquement tous ceux qui franchissent le sas de sécurité à l'entrée du site sont liés par un accord de confidentialité strict (NDA). Du menuisier à l'électricien, en passant par le peintre et les agents de sécurité.
Selon certaines sources, différentes équipes de construction sont affectées à plusieurs missions au sein de ce grand chantier. Et ces équipes ont l'interdiction d'évoquer leur travail entre elles.
Un architecte local a déclaré en plaisantant que ce procédé lui rappelait les premiers souverains qui, selon la légende, faisaient tuer les concepteurs de leurs constructions les plus ambitieuses, pour qu'ils emportent les secrets dans leur tombe.
Nous n'en sommes évidemment pas là. Mais il n'est pas étonnant que les spéculations et les rumeurs jouent des coudes face à cet épais mystère. Selon Wired, une personne aurait entendu dire que les Zuckerberg construisaient «une immense ville souterraine». Beaucoup d'autres supposent qu'en cas d'effondrement de la civilisation, l'endroit deviendrait une sorte de bunker post-apocalyptique.
Selon les plans, la forteresse des Zuckerberg comprend deux villas luxueuses, onze cabanes dans les arbres (reliées entre elles) ainsi qu'un bunker. Les deux propriétés, qui seront érigées au centre du complexe, s'étendent sur une superficie totale de 5300 mètres carrés. Elles disposeraient de plusieurs ascenseurs, de bureaux, de salles de conférence et d'une cuisine de taille industrielle. Le rapport indique surtout qu'il est prévu de créer un abri souterrain, notamment protégé par une porte blindée résistante à n'importe quelle explosion.
Sans oublier le fait que ce site devrait fonctionner en totale autarcie, c'est-à-dire avoir son propre approvisionnement en énergie et en nourriture, et coûter plus de 270 millions de dollars, si l'on inclut le prix d'achat du terrain. Le complexe, qui est en cours de construction, abritera à terme plus d'une douzaine de bâtiments, totalisant au moins 30 chambres et 30 salles de bains.
Selon les «documents détaillés» consultés par Wired, le bunker s'étend sur plus de 5000 mètres carrés et contiendra une grande pièce à vivre, une salle des machines et une sortie de secours. Les deux villas seront reliées par un tunnel central. L'approvisionnement en eau sera assuré par un système de pompage propre, alimenté par un réservoir de 17 mètres de diamètre et de 5 mètres de hauteur. On apprend enfin que sur ce terrain de 1400 hectares, l'élevage et l'agriculture permettent déjà de produire une multitude de denrées alimentaires naturelles, nous dit Wired.
La propriété, connue sous le nom de Koolau Ranch, se situe sur Kauai, la plus petite des quatre îles principales d'Hawaï. Elle doit son surnom «d'île jardin» aux forêts tropicales humides qui couvrent une grande partie de ses 1430 kilomètres carrés.
Environ 73 000 habitants vivent sur Kauai. Selon Wired, il s'agit principalement de descendants d'Hawaïens autochtones ainsi que d'immigrés chinois, japonais, philippins et portoricains venus à la fin du 19e et au début du 20e siècle pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Avec le développement du tourisme, de nouveaux (et riches) arrivants — notamment des Américains — se sont ajoutés au cours des dernières décennies.
Zuckerberg est loin d'être le seul milliardaire à y acheter des terrains et à appeler Kauai sa «résidence secondaire». Un peu au sud du terrain du patron de Meta, le propriétaire de Melaleuca, Frank VanderSloot, y a récemment investi 51 millions. Selon ses propres indications, sa société est la plus grande pourvoyeuse de bien-être du monde.
Evidemment. Et, cela, depuis un certain temps.
En 2016, les Zuckerberg ont fait construire un mur de deux mètres de haut autour de leur propriété, provoquant la colère des habitants, car il limitait (sans surprise) l'accès au rivage, mais aussi la vue.
En 2017, il a été rendu public que le couple s'était engagé dans des poursuites judiciaires contre leurs voisins directs, avant de faire marche arrière. Il faut dire que près d'une douzaine de petites parcelles de l'immense propriété appartenaient à des familles de la région. Les Zuckerberg ont alors tenté de forcer ces familles à se séparer de leurs terres au plus offrant dans le cadre d'une vente aux enchères publique organisée par le tribunal.
En juin 2020, une pétition en ligne appelant à «empêcher Mark Zuckerberg de coloniser Kauai» avait recueilli plus d'un million de signatures. Mais ces dernières années, Mark et Priscilla semblent avoir lancé une offensive de charme pour s'assurer du soutien de la population locale. Leur organisation caritative, baptisée Chan Zuckerberg Kauai Community Fund, a fait don depuis 2018 de plus de 20 millions de dollars à différentes associations de l'île, révèle Wired.
Sans oublier les liens forts que le couple entretient désormais avec le maire de Kauai, Derek Kawakami. Et pour cause: jusqu'à maintenant, grâce à ses dons, aux emplois créés et aux centaines de milliers de dollars de taxe foncière annuelle, la famille Zuckerberg a déjà eu un impact considérable sur la vie des habitants de l'île. Enfin, comme le rappelle Wired, du rab leur est demandé, en public, sur Facebook.
Soyons honnêtes, c'est le bunker de luxe qui attire le plus de ragots. Mais la porte-parole de la famille Zuckerberg, Brandi Hoffine Barr, a refusé de s'exprimer sur l'ampleur ou les caractéristiques de cet abri VIP.
Elle a également refusé de répondre aux critiques concrètes des voisins des Zuckerberg, en rappelant, selon Wired, que les anciens propriétaires avaient prévu la construction de «80 maisons de luxe sur le terrain».
Le cofondateur de LinkedIn, Reid Hoffman, déclarait déjà en 2017 qu'il estimait que «plus de la moitié des milliardaires de la Silicon Valley» avaient investi dans une sorte «d'assurance apocalypse». En d'autres termes: un bunker souterrain. On peut citer entre autres Larry Ellison de la société Oracle, qui possède désormais la petite île hawaïenne de Lanai.
Sinon, comme Elon Musk, Yishan Wong a été membre de la soi-disant «mafia Paypal», puis un ancien employé de Facebook et, plus tard encore, le patron de Reddit. Il a expliqué les motivations des super-riches de la Silicon Valley:
Sam Altman d'Open AI, quant à lui, s'est déjà constitué un bon stock d'armes, d'or, d'iodure de potassium, d'antibiotiques, de batteries, d'eau, de masques à gaz de l'armée israélienne et possède, of course, un immense terrain à Big Sur où il peut se réfugier... en avion.
Si la situation devait devenir ingérable aux Etats-Unis, Altman a pris ses précautions en concluant un accord avec le milliardaire Peter Thiel (oui, lui aussi de la «mafia Paypal»): en cas d'événement apocalyptique, les deux hommes devaient se rendre en jet privé sur l'une des propriétés de Thiel en Nouvelle-Zélande.
La Nouvelle-Zélande est considérée par certains comme le lieu idéal pour attendre sereinement un événement apocalyptique, constate Wired. C'est pourquoi les îles du Pacifique sud-ouest sont désormais «parsemées de bunkers pour l'élite de la Tech». Il convient de noter que Peter Thiel est toujours en litige concernant le projet de construction d'un lodge de luxe sur l'île du Sud. L'affaire pourrait être portée devant un tribunal début 2024.
Et c'est au plus tard à ce moment-là que Robert A. Johnson va défier les milliardaires. Ce diplômé de Princeton, directeur du fonds spéculatif Soros Fund Management, se rend régulièrement au Forum économique mondial de Davos (WEF). En 2009, après l'éclatement de la crise financière, il a été nommé à la tête d'un groupe de réflexion, l'Institute for New Economic Thinking.
Puis, en janvier 2015, Johnson a tiré la sonnette d'alarme au WEF: les tensions causées par l'augmentation des inégalités sociales sont telles que les plus fortunées ont pu prendre des mesures pour s'isoler en cas de catastrophe.
Traduit et adapté par Noëline Flippe