Il était une fois, en Italie, une petite ville paisible sur les hauteurs du lac de Bracciano, à une cinquantaine de kilomètres de Rome, Trevignano Romano. Peu de gens le savent, mais cette commune de 5689 habitants a longtemps abrité un trésor: une statuette de la vierge Marie, capable d'accomplir des miracles.
Enfin, ça, c'est ce qu'affirme Maria Giuseppe Scarpulla, ex-entrepreneure reconvertie dans la voyance, sous le nom de Gisella Cardia. Prophète autoproclamée, cette Sicilienne aurait ramené une incroyable statue de Madone lors l'un de ses nombreux pèlerinages catholiques à Medjugorje, en Bosnie, il y a quelques années.
Selon sa propriétaire, l'extraordinaire Vierge de Trevignano verserait des larmes de sang, chaque troisième jour du mois. Mais pas seulement. L'idole permettrait également de guérir les malades, de prédire l'avenir (grâce à elle, la voyante prétend avoir vu venir le Covid ou la guerre en Ukraine) ou, mieux encore, de multiplier les aliments. Pizza, gnocchi ou encore lapin, selon la presse italienne. On n'en demande pas plus.
Ces miracles sont si extraordinaires qu'ils suscitent naturellement quelques soupçons. Dès 2016, les policiers passent les larmes de la statuette à la loupe de leurs analyses. Conclusion de leur brève enquête? L'ADN est compatible avec celui de Gisella Cardia. L'affaire est classée, faute de pouvoir formuler une hypothèse de crime.
Il n'en fallait pas plus pour convaincre des centaines de pèlerins et de fidèles d'affluer à Trevignano Romano, chaque 3 du mois, pour rendre hommage à la statuette miraculeuse et assister aux rassemblements organisés par la voyante.
Pour capitaliser à fond sur sa découverte, Gisella Cardia et son mari fondent la «Madonna di Trevignano Romano» dans la foulée, une association à but non lucratif destinée à soigner les enfants malades. Les dons affluent.
Mais comme tout miracle ou presque, celui de la Vierge pleureuse de Trevignano s'avère un peu trop beau pour être vrai. Un bruit se répand bientôt dans la petite commune: la fondation de Gisella Cardia ne serait que de la poudre aux yeux. Une immense arnaque. Les «repentis», comme on les surnomme, sortent du silence.
En mars 2023, Luigi Avella affirme auprès du quotidien La Repubblica avoir fait don de 123 000 euros à la voyante. De son plein gré, admet-il. Sa femme et lui croyaient sincèrement aux apparitions et aux messages de la Madone.
La somme aurait servi à financer un sanctuaire pour la statue, certes, mais aussi une nouvelle voiture et un garage pour la voyante. Une autre victime présumée confie au journal: «Au début, je la croyais, mais ensuite, elle m'a fait peur.»
Devant l'ampleur du cas, Andrea Cacciotti, enquêteur privé de son état, décide de se saisir de l'affaire et de mettre les choses au clair. Selon ses propres analyses, le sang qui badigeonne chaque mois le visage de la Madone de Trevignano ne serait rien de plus que du... sang de porc.
Début mars, l'affaire explose: le diocèse local annonce une enquête pour «approfondir l'éventuelle phénoménologie des faits» et «comprendre si les événements ont un caractère surnaturel». Habillés en civil, plusieurs inspecteurs de la Curie épiscopale, des «prêtres 007», se glissent dans les réunions. Mêlés à la foule, ils interrogent les personnes rassemblées autour de la statue.
Un mois plus tard, le détective privé Andrea Cacciotti annonce avoir déposé une plainte pénale pour fraude contre la prophète, auprès du bureau du procureur local.
Le lendemain, la voyante est aperçue en train de charger mari, sacs et valises et des sacs dans le coffre de sa voiture. Sans oublier d'y glisser, évidemment, sa statuette pleureuse. Gisella Cardia disparaît. On la dit cachée dans le couvent voisin de San Vincenzo, à Bassano. Ou à l'étranger. Son avocate, elle, assure que sa cliente est «en vacances».
Le 3 mai, la voilà de retour en rock star, vidéaste et garde du corps à bord de son minivan, à Trevignano Romano, clamant que «la Madone est avec moi».
Dans la folle affaire de Trevignano, il ne manquait plus que la prise de position de Sa Sainteté, le pape François, sur ces prétendus miracles. Sans évoquer directement le cas de la Vierge de Trevignano, le souverain de l'Eglise est allé de son (subtil) commentaire le 4 juin dernier, sur le plateau de la télévision publique italienne.
L'allusion est un coup pour Gisella Cardia, qui espérait depuis longtemps une reconnaissance du Vatican. D'ailleurs, en parlant de la «prophète»: l'insaisissable voyante était de retour à Trevignagno le 3 juin dernier, pour assurer son rendez-vous mensuel. «Un flop de plus», juge pour sa part la presse locale, devant ce sermon qui ressemblait à un appel à peine voilé aux derniers fidèles à ne pas prendre leurs jambes à leur cou.
Alors que le procureur local hésite toujours à ouvrir une enquête officielle, Gisella Cardia peut au moins se consoler: jamais encore le Saint-Père ne s'était encore jamais rendu dans un studio de télévision.
Au fond, la voyante est à l'origine d'un petit miracle.