Comment s’appelait cette personne, déjà? Où ai-je bien pu poser mes clés? Et à quelle heure est prévu ce rendez-vous avec mon amie? En vieillissant, de tels petits oublis deviennent courants, car, avec l'âge, il est plus difficile de mémoriser de nouvelles informations ou de se rappeler de certains détails.
Ces moments d’égarement suscitent pourtant l’inquiétude. Car on le sait, la maladie d’Alzheimer s’installe de manière insidieuse, et son diagnostic est l'un des plus redoutés.
A ce jour, la maladie reste incurable. Mais plus elle est diagnostiquée tôt, plus son évolution peut être contrôlée. Reconnu comme un moyen de prévention, un mode de vie sain peut ralentir sa progression, une fois détectée. C’est ce que montre une étude publiée dans la revue spécialisée The Lancet.
Le problème était que, jusqu’à présent, le diagnostic de la malade d'Alzheimer reposait sur des examens cérébraux ou une analyse du liquide céphalorachidien. Des procédures complexes et coûteuses, réalisables uniquement dans des cliniques spécialisées. Un test sanguin s'avérerait bien plus simple, rapide et abordable. Il permettrait de détecter la maladie de façon précoce, avant l’apparition de symptômes, et alors que le cerveau n’a pas encore subi de lourds dommages.
Dans l’Union européenne, il existe un tel test, le Precivity AD, qui est autorisé depuis un certain temps et sera bientôt disponible sur le terrain. Aux Etats-Unis, l'agence américaine du médicament (FDA) a également donné en mai dernier son feu vert pour un test sanguin.
En Suisse, on n’en est pas encore là, mais Roche a récemment annoncé que son test sanguin baptisé Elecsys pTau181, développé avec le laboratoire américain Eli Lilly, avait reçu la certification CE. Ce label de qualité est une condition préalable à la mise sur le marché en Suisse et en Europe. Roche prévoit ainsi de proposer le test sanguin en Suisse dès cet automne.
D’après les études, ce test ne permet pas de diagnostiquer Alzheimer avec certitude. En revanche, il permet d’exclure la maladie avec une forte probabilité, un atout pour éviter de lourds examens. Alzheimer Suisse écrit:
En parallèle, Roche développe un second test (Elecsys pTau217) qui, à terme, pourrait établir un diagnostic plus fiable. L’entreprise pharmaceutique prévoit une certification CE au premier semestre 2026.
Tous les tests sanguins ont un point commun: ils détectent dans le plasma les formes altérées de protéines typiques d’Alzheimer, les protéines bêta-amyloïdes et les Tau. Chez les patients atteints par la maladie dégénérative, les bêta-amyloïdes sont mal repliés. Les protéines Tau, quant à elles, présentent certaines modifications à des endroits précis, ce qui fait qu'elles ont tendance à s'agglutiner.
Ces protéines agglomérées endommagent les neurones, et constituent ainsi des biomarqueurs prometteurs, notamment pour distinguer Alzheimer des autres formes de démence. Le test de Roche détecte par exemple si le site 181 de la protéine Tau est modifié, d’où son nom: Elecsys pTau181.
Aussi prometteurs que soient ces tests, leur fiabilité reste limitée, comme le montrent les données du Elecsys pTau181. Plus de 90% des personnes non atteintes d’Alzheimer ont été testées négativement. Mais le test n’a pas détecté environ 16% de cas réels, soit des faux négatifs. Les premières données du test pTau217 suggèrent, quant à elles, que 5% des résultats pourraient être des faux positifs.
Comme l’explique une équipe dirigée par le neurologue Fred Ketchum de l'University of Wisconsin dans la revue Alzheimer’s & Dementia, ces incertitudes posent problème d’un point de vue éthique.
Les résultats peuvent semer le doute, générer de l’angoisse et entraîner des décisions lourdes de conséquences, par exemple si une personne décide de quitter prématurément son emploi. Fred Ketchum et ses collègues parlent d’un dilemme entre le droit de savoir et la protection contre les effets de cette connaissance.
Les répercussions sociales doivent également être prises en compte, car être étiqueté comme malade à partir d’un simple test, alors même qu’aucun symptôme ne s’est encore manifesté, peut entraîner des désavantages sur le plan professionnel, pour les assurances, ou du point de vue personnel. Les chercheurs appellent donc à des règles strictes en matière de protection des données et à une information nuancée.
Rafael Meyer, président de l’association Swiss Memory Clinics et chef de service en psychiatrie dans le canton d’Argovie, appelle lui aussi à la prudence. Il est essentiel d’identifier «les personnes qui vont effectivement développer la maladie dans un avenir proche», a-t-il récemment déclaré à CH Media.
Si ces personnes à risque peuvent être identifiées à temps, elles pourraient non seulement bénéficier des nouveaux traitements par anticorps, mais aussi adapter leur mode de vie au bon moment. Car «la prévention ne s’arrête pas au diagnostic», rappelle Alzheimer Suisse. Les activités physiques et intellectuelles, surtout en groupe, améliorent la qualité de vie et peuvent ralentir la progression de la maladie. L’essentiel est que ces activités soient source de plaisir et non de stress. Des pauses et un rythme adapté sont indispensables.
Les recherches montrent également que la réduction de certains facteurs de risque, comme l'hypertension, le diabète, la perte d'audition, le tabac, l'alcool, le surpoids, la pollution, le cholestérol élevé ou les troubles visuels non traités, peut retarder la maladie. Mais à quel point et pour combien de temps? La réponse reste floue, et il n’existe pas de chiffres scientifiquement établis, précise Alzheimer Suisse.
Une chose est sûre, un diagnostic précoce est crucial non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour leurs proches. La maladie d’Alzheimer est souvent précédée d’une phase éprouvante sur le plan émotionnel, le partenaire répète sans cesse les mêmes questions, oublie les rendez-vous ou se replie sur lui-même. Savoir que ces comportements sont dus à une maladie et non à de l’indifférence ou de la négligence peut aider à réagir avec plus de compréhension et à alléger les relations.
Traduit de l'allemand par Joel Espi