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Economie

Pharma bâloise: Roche et Novartis font chanter la Suisse

La désormais fragile entente entre le CEO de Novartis, Vas Narasimhan (à g.), et le président du Conseil d'Etat bâlois, Conradin Cramer illustrée.
Les grandes firmes pharmaceutiques bâloises veulent des prix plus élevés pour leurs médicaments, et lorgnent du côté des Etats-Unis.Image: Keystone / Unsplash, montage watson
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Big Pharma fait chanter la Suisse

Roche et Novartis réclament davantage d’argent à l’Europe et à la Suisse pour leurs produits. Roche a même retiré un médicament contre le cancer du marché. Un poker-menteur dans lequel Trump est également impliqué.
24.07.2025, 18:5624.07.2025, 19:05
Peter Blunschi
Peter Blunschi
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On les distingue même de très loin, les deux tours érigées par le groupe pharmaceutique Roche, situées dans le paisible centre de Bâle. Avec ses 205 mètres, la tour 2 est le plus haut bâtiment de Suisse. Ces mastodontes écrasent littéralement le paysage urbain bâlois, au point qu’on peut se demander si cela aurait été possible ailleurs.

Du chantage

La domination écrasante des deux tours Roche peut être interprétée de manière symbolique. Elle illustre à quel point la fière ville humaniste de Bâle est devenue dépendante de Big Pharma.

Principalement grâce à Novartis et Roche, le canton-ville dirigé par une majorité de gauche écologiste baigne dans l’argent. Mais cette situation crée également, au bord du Rhin, un risque de concentration potentiellement fatal.

KEYPIX - Drohnenaufnahme mit Blick auf die Tuerme der Firma Roche, links, und das Museum Tinguely, rechts, in Basel, am Donnerstag, 20. Februar 2025. (KEYSTONE/Georgios Kefalas)
Les tours Roche dominent le paysage bâlois. Pour combien de temps encore?Image: keystone

La population bâloise en a récemment pris pleinement conscience. Les deux géants pharmaceutiques, pourtant extrêmement rentables, ont engagé une véritable démonstration de force qui rappelle, de manière à peine exagérée, le chantage des bandits: «la bourse ou la vie!». Ces derniers exigent en effet des prix plus élevés pour leurs médicaments, et n’hésitent pas à employer des méthodes musclées pour y parvenir.

Une décision consternante et cruelle

La semaine dernière, les journaux du groupe Tamedia ont révélé un événement sans précédent en Suisse. Le groupe Roche a brusquement retiré du marché son médicament anticancéreux Lunsumio, présenté comme un véritable espoir dans le traitement du lymphome. Les oncologues se sont dits consternés.

En cause? Un conflit financier. Le Lunsumio n’avait reçu qu’une autorisation temporaire de la part de Swissmedic et de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), en raison de données incomplètes. Lorsqu’il a fallu prolonger cette autorisation, Roche a soudainement rejeté le modèle de prix précédemment négocié. L’OFSP a maintenu sa position et refusé toute augmentation.

Selon Tamedia, les autorités suisses craignaient la création d’un précédent pour d’autres fabricants. Roche, de son côté, a justifié sa décision par les 5,5 milliards de francs investis dans le développement du médicament. Le groupe a donc retiré le Lunsumio du marché. Même une prise en charge au cas par cas, pourtant courante en Suisse, a été refusée. Le médicament ne sera délivré que dans des cas de force majeure.

Novartis CEO Vasant Narasimhan, links, und Regierungspraesident Conradin Cramer, rechts, bei der Enthuellung des Schriftzugs BASEL in Basel, am Dienstag, 6. Mai, 2025. Die Sitzbank wird bis Ende Juli  ...
La désormais fragile entente entre le CEO de Novartis, Vas Narasimhan (à g.), et le président du Conseil d'Etat bâlois, Conradin Cramer, illustrée.Image: keystone

Un concurrent plus conciliant

Le concurrent bâlois, Novartis, adopte une posture plus modérée. Toutefois, son PDG, Vas Narasimhan, a tenu un discours clair lors de la présentation des résultats semestriels la semaine dernière:

«Nous voulons éviter d’avoir à retirer totalement un produit du marché. Mais je pense que cela arrivera plus souvent, à moins que l’Europe ne réforme ses systèmes.»

Autrement dit, Novartis exige elle aussi des prix plus élevés pour ses médicaments. En avril, Vas Narasimhan avait déjà publié une tribune dans le Financial Times aux côtés de Paul Hudson, PDG du groupe français Sanofi, dans laquelle ils réclamaient que l’Union européenne fixe des prix aussi élevés qu’aux Etats-Unis.

epa11844032 Chief Executive Officer of Novartis Vasant 'Vas' Narasimhan speaks during a panel session at the 55th annual meeting of the World Economic Forum (WEF) in Davos, Switzerland, 22 J ...
Vas Narasimhan, au Forum de Davos.Image: keystone

Qu'en dit Donald Trump?

Cette déclaration a provoqué une vive réaction. Afin de contenir les dépenses de santé et les primes d’assurance maladie, l’Union européenne et la Suisse régulent fortement les prix des médicaments. Aux Etats-Unis, ces tarifs sont largement dérégulés, ce qui les rend beaucoup plus élevés. Résultat, les firmes pharmaceutiques européennes réalisent une grande part de leurs bénéfices outre-Atlantique.

Mais le président Donald Trump souhaite changer cela. En mai dernier, il a annoncé vouloir ramener les prix des médicaments américains au niveau européen. Pourtant, son discours est extrêmement contradictoire, et il a récemment menacé d’imposer des droits de douane pouvant atteindre 200% sur les produits pharmaceutiques, ce qui en ferait flamber les prix.

L'objectif principal du président américain est de contraindre les fabricants à produire aux Etats-Unis. Même si certains projets ne sont pas nouveaux, Roche et Novartis ont annoncé des investissements de plusieurs milliards. Un accord aurait été trouvé entre la Suisse et l’équipe de Trump pour exclure le secteur pharmaceutique des sanctions, mais le président n’a toujours pas signé ce document.

Des échecs et des zones de conflits

Selon la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le problème des pharmas bâloises est en partie provoqué par elles-mêmes. Roche souffrirait d’une série d’échecs dans le développement de nouveaux traitements. Il y a trois ans, un médicament prometteur contre Alzheimer s’est révélé inefficace. Ces échecs représentent des pertes financières considérables.

Novartis connaît plus de succès, mais la NZZ souligne que les nouveaux produits pourraient ne pas compenser assez vite les pertes de revenus causées par l’expiration de brevets. De plus, les deux groupes bâlois ont manqué le virage très lucratif des médicaments pour la perte de poids.

De l’autre côté, les autorités politiques cherchent à freiner la hausse des coûts de santé, ce qui pousse à des pratiques discutables. Par exemple, certains gouvernements négocient des rabais de volume confidentiels avec les laboratoires, créant une forme de concurrence entre Etats.

FILE - The injectable drug Ozempic is shown, July 1, 2023, in Houston. (AP Photo/David J. Phillip, File)
Ozempic
A Bâle, on a raté le tournant du lucratif marché des injections pour la perte de poids.Image: keystone

Qu'attendre de l'avenir?

Parmi les critiques, on trouve Kerstin Noëlle Vokinger, professeure de droit et de médecine à l’EPFZ et à l’Université de Zurich. Elle s’attaque notamment au sujet sensible des traitements contre le cancer. Dans la NZZ, elle parle de «taxe cancer», et à déclaré:

«Il n’existe aucun lien mesurable entre l’efficacité des nouveaux médicaments contre le cancer et leurs prix élevés»

Ce poker menteur autour des prix des médicaments risque de s’intensifier. A Bâle, les projets d’expansion de Novartis et de Roche aux Etats-Unis sont suivis avec inquiétude. Résultat, on cède presque à tous les désirs de Big Pharma. En mai, la population a clairement voté en faveur d’un «allègement» de l’impôt minimum de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Malgré le fait que les tours de Roche domineront peut-être l’horizon pour longtemps encore, rien n’est bâti pour l’éternité.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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