Sarah* avait 25 ans lorsqu'elle a arrêté de prendre la pilule. Elle vivait une relation à distance et ne voulait plus utiliser de contraception hormonale en raison du peu de temps passé ensemble. Lorsque ses règles ont cessé, elle ne s'est pas inquiétée dans un premier temps.
Elle est assise sur un tabouret dans un café. Un cappuccino est posé devant elle. Bien que toutes les tables autour soient occupées, le calme règne. Beaucoup lisent ou révisent. Préférerait-elle sortir, là où personne ne peut l'entendre?
Sarah secoue la tête: «Je suis ouverte concernant mon diagnostic». Dans le jargon médical, on parle d'insuffisance ovarienne prématurée. Dans le langage courant, on parle de ménopause précoce. Sarah avait 26 ans lorsqu'elle a appris que son corps subissait déjà la transformation hormonale que connaissent les femmes deux fois plus âgées qu'elle.
A son âge, ce diagnostic est rare: une femme sur 1000 de moins de 30 ans le subit. La situation est différente chez les moins de 40 ans. Là, il s'agit déjà d'1%. Malgré ce chiffre relativement élevé, on sait peu de choses sur les personnes concernées, leurs souffrances et la manière dont elles les gèrent. Il n'existe pas de groupe d'entraide en Suisse. Et même en ligne, on ne trouve que peu de témoignages ou de blogs sur le sujet.
Susanna Weidlinger est médecin-chef au Centre de la ménopause de l'Hôpital de l'Ile à Berne et présidente de la Société suisse d'endocrinologie gynécologique, contraception et ménopause. Chez elle, les cas s'accumulent. Comment explique-t-elle ce tabou?
C'est pendant une pause déjeuner que Sarah a appris la nouvelle qui l'a plongée dans la tourmente. Alors qu'elle venait d'emménager en Suisse, sa gynécologue l'a appelée pour lui annoncer les résultats. La jeune femme est sortie et a fondu en larmes.
Elle a consulté sa gynécologue parce que ses règles étaient certes revenues six mois après la dernière prise de la pilule contraceptive, mais de manière irrégulière. Elle avait ses règles un mois et pas les autres. Parfois, les saignements restaient absents pendant plusieurs mois. «Ces interruptions me rendaient nerveuse. Chaque fois, je me demandais si je n'étais pas involontairement enceinte», raconte-t-elle.
Sa gynécologue lui a fait passer une échographie et lui a prélevé du sang. Deux valeurs hormonales sont essentielles pour déterminer une ménopause précoce: l'hormone folliculo-stimulante (FSH) et l'hormone anti-müllérienne, qui permet d'estimer le nombre d'ovules fécondables dans les ovaires. Sarah avait les valeurs d'une femme de 50 ans. «D'un jour à l'autre, j'ai vieilli de 30 ans», dit-elle en buvant une gorgée de café et en ajoutant:
Sarah souhaite avoir des enfants. Pas maintenant, mais à l'avenir. Avant le diagnostic, elle abordait la planification familiale comme le font beaucoup de personnes de son âge. Sans urgence, sans concrétisation. «Mon avenir, je l'imaginais avec un mari, deux enfants, un travail à temps partiel et une maison», dit-elle. C'est une vision qui appartient désormais au passé.
Peu avant le diagnostic, sa relation à distance a volé en éclats. Depuis, beaucoup de ses pensées tournent autour de l'idée d'avoir des enfants. Lorsque Sarah a recommencé à sortir, elle a toujours été accompagnée par la question suivante: que signifie sa ménopause précoce pour son futur couple? Quand doit-elle en parler? Et dans ce contexte, quelqu'un accepterait-il de s'engager dans une relation avec elle?
Lors du premier rendez-vous, elle n'a jamais mentionné le diagnostic. Mais lorsque les sentiments grandissaient et que les rencontres devenaient plus engageantes, elle engageait la conversation redoutée. «Ma ménopause prématurée concerne aussi mon futur partenaire», dit-elle.
Depuis peu, elle est en couple. C'était étrange de parler d'avoir des enfants. Mais son copain l'a beaucoup soutenue. Les deux se sont rencontrés lorsque Sarah avait de nombreux rendez-vous médicaux. La jeune femme ne se fait pas de faux espoirs. Elle n'a toutefois pas totalement renoncé à son désir d'enfant. Au Centre de médecine de la reproduction de l'Hôpital universitaire de Bâle, son cycle est surveillé. Comme lors de la ménopause régulière, Sarah a encore une ovulation de temps en temps. Chacune d'entre elles est une lueur d'espoir.
Cependant, il est encore trop tôt pour elle et son copain, leur relation est trop récente. C'est pourquoi elle envisage de faire congeler les follicules qui se développent en elle. «Comme la stimulation des ovules ne sert plus à rien dans mon cas, je devrais subir toute la procédure de prélèvement pour un ou, au mieux, trois ovules», dit-elle.
Ce n'est pas seulement une contrainte physique, c'est aussi une question financière. Sa caisse maladie a refusé la garantie de prise en charge correspondante.
Dans le meilleur des cas, elle aurait alors obtenu quelques ovules. A titre de comparaison, dans le cas de la congélation préventive sans raison médicale, il est recommandé de faire congeler au moins 20, voire 30 ovules, afin que la femme ait plus tard de bonnes chances de tomber enceinte.
Dans ce type de cas, les patientes doivent payer elles-mêmes le prélèvement et la conservation de leurs ovules. Il en va autrement de la congélation médicale, où les personnes atteintes d'un cancer font congeler leurs ovules avant leur traitement. En effet, la chimiothérapie peut entraîner la stérilité.
Mais pourquoi les caisses ne paient-elles pas aussi pour d'autres diagnostics qui ruinent un désir d'enfant? Susanna Weidlinger répond:
Si les femmes en ménopause précoce ont un cycle irrégulier, Susanna Weidlinger leur recommande de surveiller étroitement leur cycle, de déclencher l'ovulation par des médicaments au moment optimal, puis d'avoir des rapports sexuels ou de recourir à une insémination. Ces coûts seraient pris en charge par les caisses maladie pendant un an.
Mais quelle est la fréquence de ces grossesses? «On peut espérer une grossesse spontanée chez environ cinq pour cent des patientes», dit-elle. Les jeunes patientes de moins de 30 ans disposent justement d'ovocytes de très bonne qualité. «Une ménopause précoce n'y change rien. Le problème est le timing: elles doivent attraper chacune des rares ovulations.» Sinon, il ne reste que le don d'ovules, jusqu'ici interdit en Suisse, ou l'adoption.
Dès la ménopause normale, les hormones dégringolent à tel point qu'elles peuvent entraîner de nombreux troubles. Par exemple, les bouffées de chaleur, les troubles du sommeil, l'épuisement, l'incontinence ou une baisse de la libido. Toutefois, le degré de souffrance varie fortement d'une femme à l'autre. Certaines ne ressentent que des troubles mineurs, d'autres sont gravement limitées dans leur qualité de vie. Il en va de même pour les jeunes femmes souffrant de ménopause précoce.
La différence, c'est que toutes, même celles qui ne présentent que des troubles mineurs, doivent être traitées par un médecin. L'hormone œstrogène protège contre les maladies cardio-vasculaires, régule le taux de cholestérol et protège contre les os fragiles. Une carence précoce en œstrogènes entraîne donc de graves conséquences.
Toutefois, il faut souvent attendre longtemps avant que le diagnostic ne soit posé. Chez les jeunes femmes, l'absence de saignements est souvent expliquée par le stress. Un temps précieux s'écoule alors. Susanna Weidlinger déclare à ce sujet:
Sarah a rapidement compris. Ses médecins supposent que sa ménopause précoce est d'origine auto-immune. La plupart des autres femmes concernées ne savent rien de ce qui se passe. Les causes sont pourtant nombreuses: elles vont des raisons génétiques aux infections virales en passant par les conséquences des toxines environnementales.
Sarah pose sa tasse de café vide sur la table, lève les yeux. Elle est contente de ne pas avoir de troubles climatériques. Mais il lui arrive de se poser des questions.
Elle a du mal à accepter qu'une personne de son entourage tombe involontairement enceinte et ne se réjouisse pas. Elle a donc cherché un soutien psychologique.
Elle envisage également de faire congeler un ovaire. «Il contient encore quelques follicules immatures. A un niveau très expérimental, on envisage de les faire mûrir en éprouvette plutôt que dans le corps», explique Sarah. Personne ne le recommande pour le moment, «mais que se passerait-il si la recherche en était là dans dix ans? Je ne veux pas me reprocher plus tard de ne pas avoir tout essayé.»
*Sarah est un prénom d'emprunt
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)