Vous avez peur des araignées? Okay. Pas super original, mais okay. Votre pouls s’accélère devant quelques gouttes (ou litres) de sang? Mmhh, je vous comprends… un peu. Je me sens un brin fébrile aussi à la vue d’une coupure ensanglantée, mais uniquement s’il s’agit de ma propre hémoglobine (je ne dis pas que votre artère fémorale peut se vider sans que ça ne me provoque au moins un petit haut-le-cœur, rassurez-vous). Mais non, moi, ma came, enfin ma non-came, c’est… Les bananes. Rien que de l’écrire, j’ai un frisson.
Mes proches, mes amis, mes collègues le savent. Et majoritairement, ils font attention à ne pas me traumatiser. Majoritairement.
Cette peur irrationnelle n’a pas toujours fait partie de ma vie. D’ailleurs, on m'a fait manger de ces choses ignobles quand j’étais enfant, et je ne considère même pas ça comme de la maltraitance. Je n’en ai jamais raffolé, je n’en ai jamais acheté. Il peut d’ailleurs m’arriver, dans certaines circonstances, de (devoir) en manger aujourd’hui, et y parvenir sans que le sol ne s’ouvre sous mes pieds; j’y reviendrai.
L’origine de cette phobie, donc. Elle remonte à une dizaine d’années. Ne me demandez pas pourquoi, mais mes collègues de l’époque, d’éminents journalistes, instruits et éduqués, décident de tenter une expérience pour meubler un après-midi d’été où nous ne croulions pas sous le boulot: gonfler la banane qui traîne à la cafét’ depuis plusieurs jours avec la pompe à vélo du bureau.
Vous serez sans doute aussi déçus qu’eux d’apprendre que ça ne se gonfle pas comme un ballon. D’ailleurs, il ne se passe rien du tout, à part que la bouillasse de banane trop mûre, ça salope l’embout de la pompe.
C’est armé d’une raquette de tennis que l’un d'eux décide d’envoyer la banane par la fenêtre (ça vaaa, on était au rez). Sauf que, comment dire? Disons que ce collègue ne gagnera jamais Roland-Garros. Ça n’est ainsi pas sur la voiture d’un commercial, garée devant la fenêtre de nos locaux, que la banane s’est écrasée. D’ailleurs, elle ne s’est pas réellement écrasée. A un stade de décomposition déjà fort avancé, le fruit défendu s’est désagrégé, envoyant dans les airs comme des petits tas de vomi brun-jaune. Et devinez qui se trouvait sur la trajectoire de ces flaques volantes dégueulasses?
New fear unlocked: les bananes volantes en décomposition.
Toutefois, j’ai eu «de la chance». Seules quelques particules mi-solides, mi-liquides du fruit, déjà largement décédé avant le coup de raquette fatidique, m’ont atteinte. Mais suffisamment pour déclencher, désormais, tremblements, sueurs froides et pulsations à 180 à la vue d’une banane.
Attention, n’allez pas croire que je suis zinzin (en tout cas, pas pour ça). Je sais bien qu’une banane est une arme un peu moins létale qu’un flingue.
Ne me demandez pas de les détacher les unes des autres en revanche. Des fois que de la bouillasse arrive à s’échapper et à me toucher le doigt... (Oui, j'ai eu un haut-le-cœur rien que d'y penser.)
Il m’est même arrivé d’en remanger après le déclenchement de ma phobie. Certes, il y avait un contexte: vacances au Sri Lanka, et dans l’assiette du petit-déjeuner, des rondelles de bananes, un peu de melon… et c’est tout. Après avoir pesé les pour et les contre (et pété un câble), j’avais décidé de ne pas me laisser crever de faim.
Récemment encore, j'ai pris une part de cake, qui s'est avéré être à la banane. Après avoir crié au scandale, mon amie a mangé le reste de ma tranche (mais j'ai fini le morceau que j'avais dans la bouche, comme une grande).
En fait, quand la banane est inerte et qu’il n’y a personne pour me menacer avec, ça va. Si je peux éviter d'en manger par inadvertance, c'est cool. Je n’irais pas jusqu’à lui coller des yeux et lui donner un prénom, mais elle et moi pouvons nous trouver dans la même pièce sans que je n’hyperventile. C’est surtout quand elle est entre de mauvaises mains que mon pouls s’accélère…
Croiser quelqu’un dans la rue mangeant une banane? Immonde. Et flippant. Avoir l’audace de faire ça devant tout le monde… A propos de choses qu’on ne fait pas devant tout le monde, on m’a demandé si c’était sa forme phallique qui me rendait fébrile. Hum. Non. Il m’arrive (attention, on se calme) d’ailleurs de manger des choses (j’ai dit quoi?) de la même forme sans aucun problème (stop). Grande passion pour les hot-dogs de chez Ikea, par exemple.
Ça n’est pas la forme, le problème. Son goût me débecte, mais est supportable (disons, entre ça et crever de faim au Sri Lanka…). Son odeur me répugne, mais moins que [insérez ici un truc qui pue à votre convenance, je suggère une couche de bébé, par exemple]. C’est bien la vue de la banane lorsqu’elle est en mouvement qui me fait vriller.
En revanche, dans un espace clos… C’est plus compliqué. Mes collègues m’ont tous déjà vue en panique quand l’un d’entre eux s’est abandonné à la dégustation d’une de ces choses. La plupart du temps, ils jouent le jeu, et vont manger leur banane dans les conditions qui conviennent à la pratique de cette activité douteuse: en planque à la cuisine, en jetant la peau au fond de la poubelle, avant de la recouvrir d’autres détritus. Ils savent qu'il s'agit d’une cause perdue; ils ne cherchent plus à comprendre ou à m’aider à «vaincre ma peur».
Un illustre inconnu a tenté sa chance, récemment, en vacances de surf. Au petit-déjeuner, nombre de sportifs mangent des bananes «pour prendre des forces». Mon amie, rencontrée lors d’un voyage similaire, s’est interposée. Elle sait, puisque c'est littéralement dans ce même contexte bananesque que nous nous sommes connues: j’avais dû me lever de table lorsque quelqu'un avait commencé à manger sa chose face à moi.
Une amie qui fait barrière de son corps pour vous protéger, c’est chic. Ce qui ne l’est pas? Quand l’illustre inconnu tente de voir à quel point la phobie est réelle en vous mettant sa chose sous le nez. S’il a cru plaisanter, moi, j’étais parfaitement sérieuse lorsque j’ai, la voix tremblante, une dégaine de chaton, menacé de lui coller mon poing dans la tronche. Un épisode qui a eu le mérite de planter le décor: this is real, man, okay?
L’une de mes meilleures amies ne supporte pas non plus la proximité de ces choses. «J’observe les gens en manger avec un mélange de dégoût et de curiosité. Comme s’ils mangeaient une limace», m'explique-t-elle lorsque nous comparons nos manières de réagir.
Problème: ses enfants raffolent des bananes. Et qui dit «petits humains» dit «il faut les leur peler, en plus». Mais toujours selon cette héroïne, «devenir maman, ça te donne des forces insoupçonnées pour affronter tes peurs». Mmhh. Un frisson d’horreur me parcourt l’échine rien que d’y penser.
D’ailleurs, certaines pensées me terrorisent. Des cas de figure qui ne se sont (encore) jamais produits. Jusqu’à quand?
Que fais-je le jour où, pile au-dessus de l’Atlantique, mon voisin, qui ne parle ni français, ni anglais, se met à manger une banane alors que je somnole à côté? Dois-je réagir avec dignité, en me mettant à hurler ou en rampant sous les sièges, par exemple, ou est-il préférable d’arracher le hublot avec mes ongles pour pousser le malotru à l’eau, 30 000 pieds plus bas?
Peur du vide, du feu, du noir... Les individus les moins conscients du danger étaient les premiers à passer l'arme à gauche, jadis. Certes, on parle d'une époque où nos ancêtres vivaient dans des grottes, mais vous voyez ce que je veux dire.
Je vous l'accorde, passer d'une «peur de se faire dévorer par un ours polaire à dents de sabre» à une «phobie des bananes, hiiiiiii elle va m'attaquer, au secours», on a dû foirer un truc dans l'évolution. Ça n'est pas aujourd'hui que je vais essayer de comprendre le pourquoi du comment; vous raconter tout ça m'a déjà donné suffisamment de sueurs froides pour la semaine.