Christian Constantin n'a peur de rien. Mieux encore: il ose tout. Un jour, alors que le FC Sion cherche un attaquant, un membre du staff suggère de contacter Patrick Rossini, un honnête buteur de Challenge League. «CC» n'est pas convaincu. «Je n'ai pas besoin de Rossini. Appelle Cavani!», lui lance-t-il. L'homme, d'abord incrédule, se débrouille pour avoir le numéro de la star du PSG. Un contact est établi, mais n'aboutit pas. Edinson Cavani rejoint Manchester United, puis Valence, où il vient de signer. Mais il n'a que 35 ans et ce n'est pas dit que, dans un an ou deux, quand il aura atteint tous ses objectifs dans un championnat du Big Five, il ne se souvienne pas de l'intérêt manifesté par le président suisse.
Car Constantin n'est pas seulement doué pour établir le contact; il l'est aussi pour le garder. La signature de Balotelli est le fruit d'une cour assidue ces dernières années. De même, il n'a jamais oublié de prendre des nouvelles d'Alessandro Del Piero, même après le refus du Transalpin de rejoindre Sion en 2012. watson avait croisé l'Italien deux ans plus tard. Il nous avait appris que Constantin continuait de l'appeler régulièrement pour prendre de ses nouvelles.
Le temps, et beaucoup de tact, ont permis à «CC» d'obtenir un réseau capable de lui ouvrir les portes de tous les vestiaires. «Il connaît assez de monde pour pouvoir rencontrer qui il veut. Même Messi», souffle un proche. Il s'agit ensuite pour lui de séduire et convaincre. Mais ça aussi, il sait faire.
Christian Constantin est différent des autres présidents par la proximité immédiate qu'il crée avec ses recrues potentielles. «Déjà, il claque la bise au joueur», pose Paolo Urfer, ancien directeur sportif du FC Sion.
On pourrait croire à une posture, une familiarité de circonstance, mais c'est faux: «CC» ne fait pas semblant d'être proche du footballeur qu'il convoite. Il se renseigne toujours sur lui avant le premier entretien, si bien qu'une intimité entre les deux hommes s'installe dès les premiers échanges. Frédéric Meyrieu (engagé en 1997) n'a jamais oublié. Il raconte:
Nous étions en Valais, en 2008, lorsque le gardien Essam el-Hadary est arrivé au FC Sion. Son visage était fermé, on le devinait marqué par les menaces dont il avait été victime en Egypte, un pays où il était un dieu vivant et qu'il avait quitté dans la précipitation. Après trois minutes de conférence de presse pourtant, il s'était fendu d’une tape amicale dans le dos de son nouveau président.
Quand on avait évoqué ce geste avec lui des années plus tard, «CC» avait banalisé l'épisode. «Les gens qui me connaissent me trouvent assez bonnard.» Il avait ajouté ensuite, malicieux:
Le discours est une autre des armes du président valaisan. «Il te parle comme un directeur sportif, nous a dit un jour Bastien Geiger, engagé en 2007. Certains présidents se comportent comme des chefs d’entreprise. Christian est différent. C’est un véritable amoureux du jeu.» «Lors de sa rencontre avec Del Piero, il a parlé tactique durant plus d’une heure, raconte l’agent Gaetano Marotta. Il lui a expliqué comment fonctionne le système de Sébastien Fournier. Alessandro a été rassuré. Il a immédiatement compris que son interlocuteur connaissait très bien le football.» Très, très bien même..
«Les grands joueurs ne sont pas forcément habitués à des présidents comme Christian, qui parlent rarement d’argent, rappelle Paolo Urfer dans Le Matin Dimanche. En fait, il parle de tout et de rien, et surtout pas d’argent, car c’est son point faible. Il sait très bien qu’il ne peut pas rivaliser avec les grosses écuries européennes, alors il joue la fibre émotionnelle. Il vendra le Valais en disant que c’est Marseille, Naples ou la Corse, et dira au joueur: «Chez nous, tu seras heureux. De l’argent, tu en as déjà assez gagné.»
Frédéric Meyrieu résume toute la dimension du personnage:
Il débarque en Ferrari ou en jet avec un manteau cintré et des chaussures cirées, en éternel séducteur. «Il est charmant. Il a de l’allure», dit de lui Marco Degennaro, ancien directeur général de Tourbillon. «Il drague les recrues comme il drague les femmes», ose Gaetano Marotta, ce à quoi «CC» répond par une saillie dont il a le secret:
Paolo Urfer nous avait révélé un jour la «technique» qu'il avait avec son patron pour engager des pointures. «On n’amenait pas les joueurs en Valais mais sur la Riviera. Quand ils découvraient Montreux, ils tombaient à la renverse. T’as vu le cadre? C’est une véritable carte postale de la Suisse.» Un paysage que Mario Balotelli, à peine arrivé dans son logement de Montreux mercredi, n'a pas manqué de filmer. Il a ensuite partagé sa vidéo à ses 10 millions de followers.
Gennaro Gattuso, Alex Song, Serey Die ou encore Pajtim Kasami habitaient eux aussi au bord du Léman. Seule exception notable: Valon Behrami vivait, pour sa part, à Grimisuat, sa compagne Lara Gut souhaitant être proche des pistes de ski.
«Evoquer Montreux comme lieu de résidence fait partie des atouts pour convaincre un joueur, souligne Nicolas Pillet, ancien responsable de la communication du FC Sion. Les nouvelles recrues savent qu'elles trouveront sur place un cadre de vie idéal avec un bel appartement doté d'une jolie vue, et des écoles internationales pour les enfants.»
Grâce à son jet privé, l'Octodurien peut se déplacer n'importe où en Europe en seulement quelques heures. C'est grâce à ses voyages qu'il a pu convaincre Seydou Doumbia ou Alberto Bigon. «C’est le Bolt des transferts, estime l'agent John Dario. Quand il a fait venir Bigon en 2007, tout est allé très vite. Il lui a parlé au téléphone et, deux heures plus tard, son avion décollait pour Padoue. Il est allé le chercher à son domicile.»
Comme Christian Constantin est le seul maître à bord, qu'il n'a de compte à rendre à aucun comité (le comité, c'est lui), il n'a pas besoin d'autorisation pour boucler une transaction. Il lui suffit d'être sûr de son coup pour foncer. Et foncer, il adore ça. «Il prend du plaisir à se déplacer en personne pour aller convaincre les gens. Je crois même qu’il en fait parfois un défi personnel, songe Nicolas Pillet. Comme avant une échéance sportive importante, sentir l'adrénaline d'un potentiel gros coup à réaliser sur le marché des transferts, c'est sans doute ce qui le pousse encore actuellement. Et quand on lui dit que c'est impossible, ça le motive encore plus. Au final, il réussit là où d’autres n’auraient même pas imaginer essayer.»