C'est dans la nature des choses que de considérer les rapprochements d'un oeil méfiant. Mais disons-le en toute immodestie: il est des couples dont on sait d'avance qu'ils ne dureront pas. Dont on devine instantanément qu'ils sont mal assortis, unis par la solitude et le manque.
Ils n'ont pas pas les mêmes attentes. Pas la même façon de considérer la vie, l'aventure, l'avenir. Simple question de temps avant qu'ils ne s'entendent pas, si seulement ils s'écoutent. C'est nous; c'est eux. C'est Fabio Celestini et le FC Sion.
A priori, aucun entraîneur ne correspond aussi peu au profil du poste, et plus encore aux standards du charivari sédunois, que Fabio «Pep» Celestini, archétype du technicien conceptuel et carré, un rien intello, comme Christian Constantin aime à les moquer.
Celestini au FC Sion, c'est une forme de décalage, remettre l'église au milieu du bocage. C'est une vision à long terme dans un club qui décide à vue de nez. Un travail de longue haleine dans un club qui ne laisse pas souffler ses entraîneurs. Une méthode qui ne supporte pas la contradiction, encore moins l'ingérence, dans un club géré de manière patriarcale, voire autocratique. C'est le désaccord. C'est l'eau et le divin.
Celestini le dit lui-même, il a bâti sa carrière sur de solides certitudes (et vice-versa) qu'il considère comme indéboulonnables:
Cette lecture des résultats peut différer selon la perception de chacun. Licencié à Lucerne comme à Lugano et à Lausanne, Celestini y a brillé par des idées qui, peu à peu, ont manqué de suites. Ses principes sont grands et juste: l'exigence, le jeu. Mais est-ce toujours le moment? Est-ce bien le lieu?
Non que Sion soit un mauvais endroit, et l'ère Celestini un mauvais moment. Mais leurs styles de management sont totalement incompatibles. Il est naïf de penser qu'un effectif aussi disparate, rompu à un certain confort bourgeois, puisse servir la cause d'une exigence aussi soudaine et extrême. Comme il est orgueilleux pour un entraîneur de vouloir échapper à sa funeste destinée, de prétendre inscrire son éventuel génie dans le temps long jusqu'à occulter l'historique (58 changements d'entraîneurs) comme l'urgence (Sion est avant-dernier de Super League avec un seul point d'avance sur Winterthour).
Alors il arrivera ce qui doit arriver. Face aux idées arrêtées de son technicien, le président fait déjà circuler les siennes: trop de théories, pas assez de points. Face à des résultats médiocres, la parole ne compte plus.
Mais Constantin ne soupçonnait-il pas cet échec avant même d'engager Celestini? N'était-ce pas à ses yeux désabusés de big boss sexagénaire et résigné qu'une aventure de plus, la 58e exactement, avec un homme aux idées séduisantes dont un proche (Pablo Iglesias) vantait les avantages?
C'est Celestini, certes, mais c'eut pu être un autre. C'est Celestini parce qu'il était libre et parce que Sion n'avait pas envie de rester seul, ou pis encore, de rappeler ses ex. Cette alliance contre nature est probablement moins l'effet d'une attirance irrationnelle entre deux figures du football romand, que le hasard d'une rencontre improbable entre de vieux filous solitaires.
S'il fallait un signe que Celestini n'obéirait qu'à ses propres convictions, quoi qu'il en coûte, la nomination des capitaines en est un.
Ce choix est étrange: «Comment peut-on donner le brassard de capitaine à un gars qui manque un entraînement sur deux?», caricaturait un junior valaisan de 13 ans. Pour privilégier le prestige à l'engagement, plus encore à l'exemplarité, le choix de Celestini ne cache pas un certain mépris de classe. Ce mépris a même quelque chose de très provincial.
Puis qu'il est intelligent, Celestini ne peut pas ignorer les critères qui, ailleurs et d'ordinaire, président à la nomination d'un capitaine: l'ancienneté, la loyauté, la personnalité, la supériorité, le rôle de modèle ou de héros local. En quoi son expérience et son palmarès hors normes feraient-ils de Balotelli, entre deux mauvais rhumes et trois vilains gestes, une source d'inspiration pour des joueurs en quête de repères? Faut-il vraiment marcher avec lui, comme lui? Son talent démesuré ne suffit-il pas à attirer une attention que le «fuoriclasse» semble déjà si mal tolérer?
Le choix de Balotelli, comme celui de Reto Ziegler, rappelé en Valais à 37 ans pour «ses qualités de leadership», n'est pas innocent: il crée un entre-soi de vieilles gloires sur le retour et assume une part d'élitisme. En d'autres termes, le capitanat du FC Sion ne met pas en avant les qualités actuelles ou souhaitées d'une équipe en manque de confiance, mais le passé révolu ou oublié d'une coterie en mal de reconnaissance.
Aux dernières nouvelles, Christian Constantin, avec son expérience des vanités ordinaires, n'exclut pas d'ajouter un nouveau changement d'entraîneur à son riche palmarès. Il réclame «de la simplicité», «moins de paroles», des «gens à leur juste place». Et ça, ce n'est pas le portrait de Fabio Celestini. C'est la réaction agacée d'un homme qui ne croit plus en son partenaire. C'est la fin plus ou moins lente d'un duo que tout sépare, et que les déconvenues, bientôt, devraient désunir à jamais.