Soudain, la route se rétrécit et laisse place aux pavés. La mystique trouée d'Arenberg se dessine dans la forêt. Les coureurs s'y jettent à vive allure. Lorsque le guidon se met à vibrer, le compteur affiche encore 60 km/h.
Le matériel est malmené. Le bruit est perceptible, d'autant que les spectateurs sont tous amassés à l'entrée de la tranchée. Certains sont d'anciens mineurs. A la vue des professionnels recouverts de boue, l'émotion les gagne peu à peu. Et pour cause, ce secteur de «L'Enfer du Nord» rappelle inévitablement la dureté du travail à la mine. En attaquant les 2300 mètres de pavés disjoints, les coureurs ne savent pas réellement ce que le sort s'apprête à leur réserver. Il en était de même pour les ouvriers, lorsque ceux-ci descendaient dans les entrailles de la Terre.
On dit que Paris-Roubaix débute réellement à Arenberg. Il reste alors 95 kilomètres à parcourir pour rallier le vélodrome. La course peut néanmoins basculer à cet endroit. Il y a les exploits sportifs, les crevaisons, mais aussi les chutes.
Le lieu est mythique. Il pourrait pourtant perdre de sa superbe. Les organisateurs de Paris-Roubaix envisagent dimanche la mise en place d’une chicane à l’entrée du secteur, à la demande du syndicat des coureurs (Cyclistes professionnels associés). L'annonce étant tombée un 2 avril, nous avons d'abord cru à un poisson en retard. Il n'en est rien. L’objectif est affirmé: ralentir le peloton. Placer les coureurs en sécurité après cette terrible chute sur les routes d’A travers la Flandre - celle ayant brisé les rêves de Wout van Aert la semaine dernière. «S’ils pouvaient ralentir à 30-35 km/h, ce serait moins risqué», pointe Thierry Gouvenou, directeur de course.
Soyons clairs: nous ne sommes en aucun cas contre les initiatives productives, qui visent à rendre les épreuves plus sûres. Mais ces dernières années, les mesures se sont trop souvent multipliées. Les règlements ont massivement évolué. Certains parcours ont subi des transformations significatives. Des positions ont été interdites. Et les effets escomptés n’ont pas toujours été au rendez-vous. La preuve, les chutes nous paraissent être en augmentation ces derniers mois.
Cette chicane appartient elle aussi à la catégorie des initiatives absurdes. On ne fait que détourner le problème. Tout le monde sait que les aménagements urbains provoquent régulièrement des chutes. Le crash pourrait même survenir en amont de cette succession de virages, puisque le placement sera primordial. Nul doute que les coureurs accélèreront encore pour se replacer. Surtout qu'ils seront poussés à l'oreillette - un dispositif plus dangereux que l'accès à la tranchée.
Alors oui, le peloton roule de plus en plus en vite, et cette trouée est encore plus redoutée de nos jours. Mais au lieu d'en modifier l'approche, ne serait-ce pas aux coureurs de s'adapter? Après tout, ils sont maîtres de leur vitesse et censés maîtriser les risques. C'est aussi à eux d'évaluer la situation, comme lorsqu'ils décident par exemple d'attaquer dans une descente. Que celui qui ne souhaite pas frotter continue à tout faire pour aborder la tranchée de Wallers-Arenberg parmi l'échappée matinale ou en queue de peloton. Laissons en revanche les flahutes s'exprimer sur le terrain qui a fait la renommée de la course, avec les risques qu'ils entendent prendre.
Cette chicane est d'autant plus regrettable qu'elle rend le sport cycliste encore plus aseptisé. A vouloir tout changer, on risque de perdre nos derniers forçats de la route. On pensait que «La reine des classiques», cette course hors du temps, perdurait ainsi. Avec ses dangers, sa mythique tranchée. On pensait qu'elle serait épargnée, contrairement aux autres courses. L'annonce faite mardi a malheureusement prouvé le contraire.