«Pardi, ils vont vite ces cyclistes», laisse échapper une femme venue voir la meute de coursiers lancée à vive allure sur les routes d'Echandens. Les équipes avaient embrayés, spécialement la BikeExchange et la Jumbo-Visma qui lorgnaient sur le bouquet final à Lausanne. Deux trains qui étiraient un peloton nerveux à l'amorce des premières pentes à Ouchy et des caméras qui filmaient des favoris qui frottaient.
«Quoi, c'est tout, ils sont tous passés?», s'étonne un homme, téléphone à la main, sur la route de Montreux au moment où le Team UAE roulait fort pour filtrer les échappées du jour.
Des déclarations qui poussent à une constatation: bien que la fête fut somptueuse dans des décors de carte postale, les amoureux du vélo, les vrais connaisseurs, les fidèles acharnés, eux, restent avant tout derrière leur téléviseur. Ce week-end était placé sous le signe de la ferveur populaire, de la rencontre des spectateurs d'un jour mélangés aux suiveurs du Tour par culture.
Ces personnes présentes pour apprécier le show et goûter à une telle manifestation qui, un peu par hasard, défile sous leurs fenêtres, se désintéressent du vélo. Ils veulent simplement apercevoir la caravane du Tour, saisir l'ampleur de l'événement et un fragment de l'épreuve. On parle de fête, d'une tendance d'un jour; de curiosité plutôt que d'attente.
Un fan veut la moindre info balancée par Thomas Voeckler sur la moto de France Télévisions, ou la rumeur entendue par le consultant RTS Daniel Atienza - comme Stefan Küng qui désire casser son contrat avec sa formation actuelle. Derrière son poste, c'est une vision d'ensemble de la course, une oreille attentive, des images non-stop. On n'en rate pas une miette.
Car dans le cyclisme, tout va vite, très vite, les mouvements de course se succèdent. On s'avance sur le canapé, on remet ses lunettes sur le nez, les yeux rivés sur la tête d'un peloton qui couve un coup de Trafalgar de l'une ou l'autre équipe. Ceux qui s'enorgueillissent à dire que le cyclisme est (aussi) un sport qui se vit sur place n'accordent peut-être pas une attention toute particulière aux tactiques dans les courses de vélo. Le suiveur a le souci du détail, car la course se vit heure par heure, relance après relance, col après col.
Ne vous méprenez pas, on est heureux d'observer ces foules en liesse, c'est même un bonheur de voir les coureurs fendre une horde de supporters, surtout pour des organisateurs qui se sont défoncés pour mettre sur pied le troisième événement sportif mondial. Mais si un tel spectacle est euphorisant pour beaucoup, il est lassant pour le suiveur aguerri. Lui ne voit pas trop l'intérêt de se déplacer pour n'assister qu'à quelques minutes de course après avoir dû esquiver les casquettes Leclerc et autres sachets de bonbons Haribo - du «cheni», comme entendu.
Les «forçats de la route» (Albert Londres), c'est vrai, ont de quoi impressionner les novices. Néanmoins, le Tour de France est «magnifié par la télévision», comme se plaisait à dire Bernard Hinault. Les plans et les caméras au plus près des coureurs racontent une folie embarquée, une beauté de l'effort qu'on ne peut saisir physiquement sur place.
C'est d'ailleurs pour cela que les audiences du Tour en 2021 étaient excellentes: 42,4 millions de téléspectateurs sur l'ensemble des trois semaines, annonce France Télévisions - contre 39,6 millions en 2020.