Une chose est sûre: le match France-Maroc sera riche en émotions. Pour le Maroc bien sûr, qui n'est jamais allé aussi loin dans une Coupe du monde et qui porte sur ses épaules les espoirs de tout un continent. Mais aussi pour la France qui, sur la voie d'un troisième titre mondial, se heurte à un adversaire qui lui est très proche sentimentalement.
1,5 million de Marocains vivent en France, dont beaucoup sont de la troisième ou quatrième génération. La plupart mènent une vie à la française, en tant qu'ouvriers, chauffeurs de bus, dentistes, etc. Certains ont accédé à des postes de ministre (Najat Vallaud-Belkacem), écrivains (Tahar Ben Jelloum) ou encore dirigeants de l'Unesco (Audrey Azoulay). Parmi eux, on trouve également des juifs sépharades qui occupent des postes de conseillers importants auprès du roi marocain Mohammed VI.
Lorsque le Maroc a joué contre les Bleus en 2007, l'hymne français a bien provoqué quelques huées, mais elles sont restées limitées. Ce constat en dit long: le Maroc est devenu indépendant en 1956 sans effusion de sang, alors que la brutale guerre d'Algérie – le pays voisin – a encore des répercussions aujourd'hui. L'ancien empire chérifien est donc plus détendu, plus sûr de lui aussi, face à l'ancienne puissance coloniale.
Mohammed VI est actuellement en conflit avec le président français Emmanuel Macron: ce dernier a des vues sur le gaz naturel de l'Algérie, l'ennemi juré du Maroc dans le conflit du Sahara occidental.
Ceci mis à part, les Marocains et les Français s'entendent très bien. Ils sont attachés aux plaisirs de la vie, ce que confirment tous les Français qui se rendent dans leur riad (villa) à Marrakech pour des week-ends prolongés. Les immigrés marocains en France, dont un tiers possède la double nationalité, entretiennent également des liens étroits.
Sur le plan du football, ils sont désormais à couteaux tirés. «Je suis née au Maroc, mais je vis en France depuis des décennies», a expliqué une femme en célébrant la qualification de son pays d'adoption avec 20 000 fans sur les Champs-Elysées.
Sa fille arborait les couleurs françaises sur sa joue gauche, et le drapeau marocain sur sa joue droite. Un Marocain plus âgé a avoué qu'il soutenait les Bleus depuis l'époque de Zinedine Zidane. «Mais cette fois, mon choix est clair», a-t-il ajouté, presque en s'excusant. Le Maroc, bien sûr.
Face à cette effervescence de sentiments, Le Parisien écrit presque poétiquement:
Les autres médias français se montrent également très optimistes. Ils mentionnent, toutefois, en passant que pas moins de 2000 policiers seront déployés sur les Champs-Elysées. Plus que lorsque les supporters des Bleus se déchaînent habituellement sur la prestigieuse avenue parisienne.
Les forces de l'ordre anticipent, en effet, des émeutes, au vu de ce qui s'est passé après la victoire du Maroc contre le Portugal, en quart de finale. Les abris de bus et les vitrines des magasins de luxe ont volé en éclats, des scooters et des voitures ont pris feu. 91 émeutiers ont été arrêtés et 20 policiers blessés. Des émeutes ont également éclaté dans certains quartiers de la banlieue. A Fréjus, au bord de la Méditerranée, le maire a retiré les subventions municipales au quartier des Marocains.
Pour le match de mercredi, des appels à un rendez-vous nocturne sur «les Champs» circulent sur les réseaux sociaux. Ils ne concernent pas directement le football, ni même le Maroc. C'est plutôt une Internationale des émeutiers qui se met en place. En prenant comme prétexte les scènes de fraternisation arabo-africaine à Doha, elle lance des appels agressifs contre le «colonisateur», c'est-à-dire la France. On soupçonne même des trolls russes d'être à l'origine de ces appels; ils ressemblent en effet à ceux de la guerre contre le terrorisme au Mali, où des hackers russes font ouvertement de la propagande contre la France.