Dimanche soir, l'émir Tamim ben Hamad Al Thani ouvre sa Coupe du Monde. Un discours en arabe, sous la lumière crue des projecteurs du stade Al Bayt et les yeux plus ou moins attentifs de 60 000 spectateurs.
A cet instant, peu importe les polémiques, la clim' à fond malgré les 25 degrés, la défaite imminente du match d'ouverture, ni même le sang des ouvriers qui imprègne encore la pelouse rutilante du terrain: le prince vient de remporter une victoire. Ce moment est à lui, ce Mondial est le sien.
L'apogée d'une montée en puissance entamée tout jeune. Tamim ben Hamad Al Thani est né il y a 42 ans, au cœur de ce minuscule émirat du Qatar, au sein d'une famille qui brasse du pétrole et des centaines de milliards de dollars (335, pour être exact).
Quatrième fils de l'émir Hamad bin Suhaim Al Thani et de sa seconde épouse, la cheikha Moza, c'est peu dire qu'il n'est pas le premier nom sur la longue liste de succession.
Le jeune homme possède d'autres atouts. Une apparente stabilité au milieu de frères, jugés ou trop fêtards, ou trop religieux, tous recalés par le conseil de famille. Des diplômes des plus prestigieuses écoles du Royaume-Uni. L'appui de sa mère, Moza, l'une des femmes les plus influentes du Moyen-Orient, qui nourrit de grands projets pour son «préféré».
Et finalement, de bonnes relations avec son père, qui «l'adore», en dépit de leurs styles différents. Hamad, lui, a dû se battre et jouer des coudes pour conquérir le pouvoir - en 1995, il a profité d'un séjour de son propre père en Suisse pour le renverser.
Le jeune Tamim n'aura pas besoin de coup d'Etat. Il est, pour sa part, désigné héritier présomptif de l'émirat en 2003. Calmement. A la faveur d'une modification de l'ordre de succession. Dix ans plus tard, son père malade lui cède les rennes. Tamim ben Hamad Al Thani accède à la tête du pays le 25 juin 2013, à l'âge de 33 ans, devenant le plus jeune chef d'Etat du monde arabe.
On décrit le nouvel homme fort du Qatar comme réfléchi et doté d'un bon sens politique. «Il a, lui aussi, une vision pour son pays», commente un diplomate de Doha au Figaro, en 2013.
On le dit aussi prudent. Il en faut, pour diriger cet Etat aussi microscopique qu'opulent, coincé entre deux voisins géants hostiles, l'Arabie saoudite et l'Iran. L'objectif est d'abord de fédérer tous les Qatariens, afin d'offrir le minimum de prise aux ennemis de cet agaçant émirat. L'émir n'ignore pas non plus que, tôt ou tard, le besoin de davantage de démocratie pourrait se faire sentir.
Autre valeur cardinale, outre la prudence: la discrétion. Les journalistes du Point peuvent en témoigner. Il leur faudra cinq ans pour parvenir à décrocher une interview avec le mystérieux cheikh... et en ressortir avec tout aussi peu de réponses.
Et quoi de plus logique que sa passion comme rampe de lancement vers l'influence mondiale? Amateur invétéré de chasse au faucon et de tennis (on dit même qu'il se débrouille bien sur le court), le cheikh Tamim utilise le sport pour fixer Doha comme un carrefour mondial que les autres puissants auront tout intérêt à soutenir et faire perdurer.
Comité olympique local, organisation des Jeux asiatiques de 2006, championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, de gymnastique artistique en 2018 et d’athlétisme en 2019: le sport est imbriqué à la carrière prolifique de l'émir, avant même qu'il ne succède à son père. Lequel affirmait haut et fort «que si le Koweït avait organisé une Coupe du monde, il n'y aurait pas eu d'invasion».
Autre pilier de cette politique d'influence? Le PSG, dont Tamim est le propriétaire. «Le PSG, c'est son bijou. Mais ce n'est pas un caprice de prince», assure le spécialiste du Qatar Nabil Ennasri à franceinfo.
Et il fallait bien cela pour justifier une candidature à la Coupe du monde, l'apothéose de sa stratégie.
Un Mondial obtenu à la surprise générale, le 2 décembre 2010, quelques jours seulement après un déjeuner à l’Elysée, en compagnie du président Sarkozy et de celui l'UEFA, Michel Platini. Un déjeuner resté célèbre, qui a tout fait basculer.
Côté privé, l'émir partage sa vie avec pas moins de trois femmes différentes - il peut en avoir quatre, en vertu de la loi islamique, à condition qu'il subvienne aux besoins financiers de chacune et les traite de manière égale.
La première, Jawaher bint Hamad bin Suhaim Al Thani, est une cousine éloignée. Le futur prince héritier du Qatar se doit d'être issu d'une union pure entre deux membres de la famille régnante. Parents de quatre enfants, deux garçons et deux filles, la succession de la dynastie Al Thani est assurée.
En 2009, Tamim Al Thani épouse en «secondes noces» une roturière: Sheikha Al-Anoud bint Mana Al Hajri, qui a donné naissance à trois filles et deux garçons. Avant de s'unir à Noora bint Hathal Al Dosari en 2014, alors qu'il était émir depuis un an, et avec laquelle il a eu quatre enfants entre 2015 et 2020.
De ces trois unions sont nés treize enfants. Sept garçons et six filles, dont l'un sera appelé à régner à la place de son père. Un jour.